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Assises de la Recherche et de l’Innovation : Contribution de Catherine Jeandel

I- Quelques éléments d’ordre nationaux

I-1 – Agir pour la réussite de tous les étudiants

La réussite du plus grand nombre dans l’enseignement supérieur est à la fois un facteur de justice sociale et une condition de l’émergence d’une société responsable. Le système d’ES français souffre depuis des décennies de deux faiblesses :

  1. il reste figé dans une dualité qui contribue à perpétuer les inégalités sociales et écarte les jeunes de la recherche ;

2) les fortes sommes dépensées pour les filières de prestige (classes préparatoires et « grandes » écoles) cachent une sous-investissement chronique dans la formation de la majorité des étudiants. Il est impératif d’amener le financement moyen par étudiant et le taux d’encadrement (pédagogique comme administratif) à la moyenne de l’OCDE, et d’engager une politique sociale ambitieuse permettant à tous les jeunes de réussir, quelle que soit leur origine sociale. En outre, la sélection à l’entrée des classes préparatoires est archaïque, se fait sur des critères scolaires et qui ne préjugent pas de la créativité des étudiants, sur des populations très peu mures. Il est urgent de considérer le doctorat comme une véritable formation, sélective et véritable test d’initiative et de maturité.

Il est essentiel d’éviter que les étudiants enchaînent les petites boulots pour payer leurs études. Mettre en place d’une véritable allocation d’autonomie pour tous les étudiants, qui serait basée sur le principe d’un « crédit temps formation » de 16 semestres à prendre tout au long de la vie (en formation supérieure, initiale ou continue), et qui serait composée d’une part incompressible versée à tous et d’une part variable indexée aux revenus. Dans le même temps le développement et la rénovation du bâti social universitaire doivent être portés à 25000 livraisons par an, dans le respect de standards environnementaux élevés (consommation d’énergie, proximité des transports urbains…). La hausse des frais d’inscription, qui constitue une imposition différée et par définition non-progressive, est antinomique avec le principe d’accès du plus grand nombre au supérieur : l’enseignement a vocation à être gratuit pour ses bénéficiaires, quel que soit son niveau.

La question de la réussite ne doit pas être réduite au taux d’obtention d’une licence en 3 ans. De ce point de vue, le système des compensations pour réduire les taux d’échec est  un piège catastrophique, qui ne fait que masquer les problèmes en dévalorisant les diplômes. L’université doit rester une voie de formation qui ne sélectionne pas ses étudiants . Dans les faits, elle fait face  à l’accueil des (nombreux) recalés des autres voies de formation : les parcours différenciés devraient donc être la règle plutôt que l’exception, avec la mise en place de formations et de passerelles adaptées à la réalité des publics (DAEU, stages d’été ou année préparatoire à la licence…). Les licences devraient couvrir plus de disciplines, jusqu’à intégrer des mineures de domaines radicalement opposés (sciences humaines pour les cursus de science dure et vice-versa). Un travail sur la pédagogie est incontournable, notamment pour privilégier le travail personnel et en petits groupes des étudiants. L’évaluation des enseignements par les étudiants doit devenir systématique. Mais à côté de toutes ces évolutions internes, il revient aux tutelles de dégager les moyens pour améliorer l’encadrement (y compris administratif) et accompagner les projets innovants, de valoriser la diversité des missions des enseignants-chercheurs, et d’assurer aux bacheliers professionnels et techniques des quotas de place suffisants dans les BTS et IUT (respectivement).

La réussite étudiante n’est pas seulement celle de la formation initiale : l’université doit également s’ouvrir largement pour devenir un lieu de formation tout au long de la vie en favorisant la formation continue, en intégrant les démarches de VAE, en développant l’éducation populaire et la participation citoyenne.

Enfin, les étudiants doivent être des acteurs de leur formation. Leur représentation doit être renforcée dans les conseils, et être de droit dans les jurys, l’engagement associatif doit être valorisé au sein des cursus, les maisons étudiantes mieux soutenues.

I-2 – Donner une nouvelle ambition pour la recherche

En forçant les chercheurs à faire le choix de la concurrence plutôt que de la coopération, en concentrant les moyens sur un nombre toujours plus réduit d’équipes et de sites, et en multipliant les sources de financement et les strates de décision, les réformes des dernières années ont durement frappé le potentiel de recherche français. Une ambition nouvelle pour la recherche, c’est rendre aux scientifiques l’autonomie nécessaire à la conduite de leurs travaux tout en créant les conditions d’un nouveau dialogue avec la société. C’est leur faire confiance

Cette ambition suppose, comme dans le cas de l’enseignement supérieur, des moyens nouveaux. Ces moyens peuvent être obtenus sans impacter le budget de l’Etat, par une réforme du CIR et de tous les dispositifs qui contraignent une forte composante « opérationnelle » et industrielle dans les projets. Si le rôle d’appui du CIR au développement de la recherche dans les PME est une réalité, il offre actuellement aux grands groupes un énorme effet d’aubaine qui ne profite en rien à la production ou à l’emploi scientifique du pays. Il convient de plafonner le CIR au niveau des groupes à un montant de quelques millions d’euros, de le conditionner obligatoirement à l’emploi de docteurs et de les indexer sur des critères d’eco-conditionalité.

La dérive du tout-projet doit être stoppée nette : les laboratoires bénéficiant d’un label reconnu d’unité de recherche doivent recevoir de leurs tutelles (organismes nationaux de recherche, établissements d’enseignement supérieur et de recherche…) des dotations suffisantes pour que les personnels de recherche puissent accomplir leur mission, et ce pour la durée de leur labellisation. Une réforme drastique de l’ANR, voire sa suppression, est à envisager. L’agence doit être plus que compensée par une augmentation des fonds destinés aux recherches développées dans les organismes nationaux et les établissements d’ESR.

Le maintien et le renouvellement des infrastructures de recherche (équipements, moyens d’observation…) doivent être une priorité de l’état via la politique des organismes nationaux. Sur des thématiques identifiées comme étant d’intérêt prioritaire, les priorités étant définies à l’issue d’un débat scientifique contradictoire, la constitution de réseaux d’acteurs sera accompagnée de crédits ad hoc dont la gestion sera déléguée aux réseaux constitués autour de ces thématiques.

Recruter sur des postes permanents plutôt que multiplier les contrats précaires est à la fois juste socialement et efficace du point de vue scientifique, car cela permet la prise de risque, l’expérimentation, la résistance aux modes du moment. Plusieurs milliers d’emplois stables doivent ainsi être créés chaque année dans tous les métiers de la recherche (ingénieurs, techniciens, administratifs, responsables de plate-formes mutualisées). Cela permettra de stabiliser les jeunes précaires accumulés ces dernières années et de libérer le temps de travail destiné à la recherche, entre autres en systématisant la décharge d’enseignement pour les Maîtres de conférences recrutés depuis moins de cinq ans. Faciliter la gestion quotidienne dans les UMR , terriblement chronophage, devrait aussi être une priorité.

Une grande part de la recherche effectuée en France repose sur les milliers de doctorants que comprend le pays. Il faut leur garantir un financement adéquat dans toutes les disciplines. Le nombre de docteurs produits par le pays est notoirement insuffisant au regard des besoins de la société et ce déficit est encore accentué par la non reconnaissance du diplôme que ce soit dans les grilles de la fonction publique ou dans les conventions collectives des entreprises. Le nombre d’allocations de recherche doctorale doit être progressivement augmenté et le doctorat doit être valorisé dans le public comme dans le privé.

La question de la culture scientifique doit être entièrement repensée pour promouvoir la compréhension et le débat pluridisciplinaire sur les enjeux de notre monde. Il faut faire découvrir et comprendre la démarche scientifique dès le plus jeune âge, par exemple en mettant en place des classes scientifiques sur le format des classes vertes.  Les actions de CST réalisées par les enseignants et les personnels de la recherche (visites de laboratoires et de collections, intervention dans les classes, journées « grand public »…) doivent être davantage prise en compte dans l’évaluation de leur activité et carrière.

Les partenariats des laboratoires publics n’ont aucune raison de se limiter au monde des entreprises, encore moins dans la configuration du subornation qui prévaut de plus en plus fréquemment. Il revient à l’Etat d’introduire parmi les missions des établissements de recherche, organismes et universités, l’impératif de l’ouverture vers d’autres pans de la société et en particulier vers le monde associatif.  Les laboratoires qui s’engageront sur cette voie pourront bénéficier d’un label et de financements spécifiques. Des initiatives (boutiques de sciences…) devront être encouragées sur les campus universitaires pour que les sciences et la démarche scientifique soient enfin accessibles à des publics diversifiés. Ce développement de la recherche participative doit être intégré au code de la recherche.

Si l’autonomie méthodologique des chercheurs doit être strictement respectées, les grandes orientations scientifiques et techniques devraient elles faire l’objet de véritables débats publics. L’animation de ces débats pourrait être confiée à l’OPECST, mais celui-ci souffre d’une très insuffisante ouverture vers la société dans toute sa diversité. Il devrait donc être transformé en office national indépendant, fonctionnant sur fonds uniquement publics, qui aurait une mission de veille permanente et d’animation du débat sur toutes les questions scientifiques et / ou technologiques ayant un possible impact sociétal. A cet égard, le fonctionnement du Board of Technology au service du Parlement et du gouvernement danois pourrait être une source utile d’inspiration.

Enfin, les connaissances nouvelles résultant du travail permis par les dépenses publiques (européenne, nationale, collectivités territoriales) doivent entrer dans le domaine des biens communs. Il n’est pas acceptable que les éditeurs privés soient seuls dépositaires de ces productions, limitant de facto leur accessibilité au plus grand nombre. La publication en accès libre doit devenir une règle.

I-3 – Une nouvelle structuration de l’ESR

Les réformes menées ces dernières années ont abouti à une complexification inédite du paysage de l’ESR français, avec pour conséquences principales une dépossession des attributions des instances élues et une recherche de financement devenue un parcours d’obstacles pour les équipes. Il est urgent de redonner une lisibilité à notre système d’ESR, d’améliorer la dimension collégiale de son fonctionnement, et de sortir de la dualité stérile entre universités et classes préparatoires/grandes écoles.

Les grands organismes de recherche doivent être confortés dans leur statut d’opérateurs de recherche : ils restent le meilleur outil pour impulser et coordonner les activités de recherche à l’échelle nationale, tandis que les alliances ont vocation à demeurer des structures non-institutionnelles de coordination. Les universités doivent néanmoins voir leur rôle propre renforcé pour être des partenaires à part entière des organismes.

L’unité de base de la recherche reste un laboratoire, de préférence une unité mixte. Plutôt que de lourdes structures intervenant dans tous les domaines (projets de recherche mais aussi bâti, formation…), il faut développer une logique de réseau de coopération scientifique conjuguant financement propre et mutualisation concertée, à laquelle les labex se conformeront.

La nouvelle loi qui doit remplacer la LRU devra assurer la représentation directe et majoritaire des personnels et étudiants à tous les niveaux de décision, dans les établissements d’ES et leurs structures de fédération comme dans les organismes. L’autonomie de gestion n’a de sens que si elle est un outil au service de la pédagogie et de la recherche, et pas une délégation de la gestion de la pénurie. Une dimension de programmation budgétaire est donc indispensable au futur texte de loi, accompagné de mécanismes assurant la bonne prise en compte des évolutions de la masse salariale.

Le système des classes préparatoires est à la fois coûteux, éprouvant pour de nombreux jeunes, et facteur de reproduction sociale. Il est grand temps de mettre fin à cette singularité française, en sachant prendre le meilleur de chaque système :  augmenter l’encadrement pédagogique des premières et y valoriser les enseignements à caractère pluri-disciplinaires, et migrer progressivement les secondes vers l’université. Les modes de sélection des « grandes » écoles devraient rapidement évoluer du concours vers une sélection sur dossier, rendant de toute manière obsolète la notion même de classe préparatoire. Les écoles se rattacheront à des universités confédérales : elles conserveront leur autonomie pédagogique mais pourront ainsi développer la mutualisation avec les Master et donner une visibilité accrue à la recherche.

Les Idex doivent être supprimés, ou leur gouvernance totalement redéfinie. Malgré les efforts considérables consentis pour les mettre en place, le gain budgétaire anticipé reste si faible (300M€/an pour la totalité des projets!) qu’il sera amplement compensé par une loi de programmation ambitieuse. Leur organisation non-démocratique et leur périmètre réduit vont à l’encontre d’une logique de coopération et d’ouverture. Quant à la structuration de site, elle a tout à gagner à être réalisée à travers un PRES.

Les autres innovations introduites dans le cadre des Investissements d’avenir sont à examiner au cas par cas. Les SATT (Sociétés – de droit privé – d’accélération du transfert de technologies) sont très récentes et n’ont pas fait la preuve de leur efficacité et de leur logique est problématique ; certains IRT (Instituts de recherche technologique) pourraient en revanche mériter d’être confortés si tant est qu’ils permettent au pays d’avancer vers les développements technologiques nécessaires à la transition écologique. Il faut prendre acte des équipements d’excellence (Equipex) financés en veillant à ce qu’ils ne phagocytent pas les moyens de leurs structures d’accueil.

 Dans l‘acte III de la décentralisation, la compétence ESR doit devenir partagée entre un niveau national restant prépondérant, en particulier pour le soutien à la recherche fondamentale et un niveau régional complémentaire adapté à l’accompagnement des projets d’intérêt général et territorial proposés par les acteurs locaux. Cette nouvelle compétence des régions devra s’accompagner de l’assurance de transferts financiers appropriées et de la création d’un système de péréquation entre régions riches et moins riches.

L’évaluation de toute activité financée sur fonds publics est légitime ; mais encore faut-il que les évaluateurs soient eux-mêmes légitimes, car reconnus par leurs pairs, et que leur travail soit source d’amélioration plutôt qu’un jugement lapidaire. L’Aéres, au coût démesuré pour la collectivité et qui ne répond à aucun de ces deux critères, doit être soit supprimée. L’évaluation des organismes et universités pourrait être confiée à un HCST rénové et opérationnel. Aux échelles inférieures, les organismes nationaux de recherche ont depuis longtemps l’habitude de constituer des comités d’évaluation adaptés (CoNRS au CNRS, par exemple) ; quant aux universités, elles disposent de commissions de spécialistes et du CNU, mais doivent faire une place explicite à l’avis des étudiants et à l’évaluation des enseignements.

II- Des déclinaisons régionales

Une coordination organismes-université-région renforcée

Les développements de recherche sur le territoire de MP souffrent de l’inexistante coordination entre organismes de recherche, universités et région (pour ne citer que les principaux acteurs).

La mise en place d’un PRESII et la construction de l’Université de Toulouse peut potentiellement remédier à ces lacunes. Les organismes (exemple CNRS) auraient toutefois intérêt à renforcer la déclinaison de leur stratégie en région, avec des moyens politiques donnés aux DR.

Aider à l’émergence d’activités de recherche structurantes et d’avenir: coordination état-région

Il s’agit de détecter les opérations régionales qui feront référence nationale voire mondiale de la façon la plus objective possible (ex: spatial et environnement terrestre et marin, détection, gestion et prévision de l’eau…). Réfléchir à la mise en place d’un conseil scientifique commun pluridisciplinaire qui fasse référence (élus et nommés)? Le CCRDT n’est pas à ce jour le modèle idéal. Le Conseil académique auprès de l’UT pourrait endosser ce rôle. Ensuite, il faut donner les moyens à la réalisation de projets structurants: ceux ci dépassent souvent le potentiel des régions et ne peuvent s’inscrire que dans des contrats avec l’état.

Recherche et innovation: deux notions différentes, à traiter différemment

La recherche fondamentale (de l’argent pour l’idée) a été totalement mise à mal dans le courant des 7 dernières années. La dynamique du tout-projet a été fatale aux projets fondamentaux et aux infrastructures. L’Etat, en poussant cette dynamique via l’ANR et autres financements fléchés sur des contrats courts et avec partenariat industriel, s’est désengagé de sa responsabilité à maintenir une recherche cognitive de qualité dans le pays. Cette recherche doit redevenir structurante via les organismes nationaux, seuls capables de mener des stratégies d’envergure, non clientélistes. Ses financements ne doivent plus être conditionnés à la présence d’entreprises dans le montage du dossier.

Le transfert, phase la plus complexe du passage à l’innovation (de l’idée à l’argent) est une phase longue et peu rentable. Il est incompréhensible qu’il soit aujourd’hui confié à des SATT de droit privé, qui doivent donc faire des bénéfices pour survivre. Leur statut est à réformer d’urgence…sinon il est probable que laboratoires et entreprises les contourneront.

L’innovation: Les régions, dont la région MP, proches des réseaux de PME innovantes sont la meilleure échelle territoriale pour mettre en place une politique d’innovation fructueuse. Il est essentiel de réaliser que plus de 80% des innovations se font par la rencontre de deux ou 3 entreprises « traditionnelles », chacune porteuse d’un « morceau » du nouveau produit qui sortira de cette rencontre. Les autres innovations « smart » sont beaucoup plus rares et le nombre d’entreprises s’y intéressant faible. Il ne faut pas pour autant les négliger. Le constat sur le terrain est que celles-ci ont souvent un agenda de laboratoires avec lesquels travailler. Les clusters aident à la communication entre PME et celles ci ont besoin du CIR qui devrait leur être dédié, avec évaluation et embauche de docteur obligatoire. La valeur ajoutée des pôles de compétitivité, très chers et spécialisés par filières, souvent sous le joug d’un grand groupe parfois phagocyteur, reste à démontrer. L’empilement des couches décisionnelles doit être revu et les rôles de chacun re- définis (régions, état via les DIRECTTE, chambres consulaires et bientôt métropoles…)

Les régions doivent enfin garder et voire même augmenter leur rôle dans les bâtis, la vie étudiante, la gestion équilibrée des forces de l’ESR sur les territoires (lutter contre la fracture rurale…), la mise en place de bourses de thèse…

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