Si nos sociétés continuent à consommer alors que la pénurie des matières premières et des ressources naturelles est prévisible, nous allons au devant de conflits mondiaux pour l’appropriation de ce qu’il restera de pétrole, de gaz, d’eau et de terres cultivables. Pour éviter ce scénario tragique, nous devons changer de modes de production et de consommation. Il est nécessaire que nous fassions décroître notre empreinte carbone et que nous fassions croître l’égalité entre les hommes. Nous devons entrer dans une dynamique de transformation de nos sociétés pour mettre en avant la qualité de la vie, la qualité de la consommation, la qualité du travail et du lien social. Pour arriver à ce que Tim Jackson appelle « la prospérité sans croissance ».
Historique de la croissance
En 1972, la croissance reste pour Georges Pompidou le critère de la réussite politique : « Si la croissance s’arrêtait, l’opinion se retournerait. Les gens sont pour ce qu’ils n’ont pas. » Son ministre des finances Giscard d’Estaing organise pourtant en juin 1972 un colloque sur les conclusions fort alarmantes du Club de Rome (The Limits to Growth, Universe Books, 1972)… mais en mai 1974, le candidat aux présidentielles Giscard d’Estaing ne leur accorde plus la moindre considération : il ne parle que de croissance ! Au second tour des élections présidentielles 2007, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy proposaient à leurs électeurs le même objectif : intensifier la croissance des productions, des consommations et des déplacements sans s’interroger sur leur contenu. Nicolas Sarkozy a instauré une commission pour « libérer la croissance » dont il disait à l’avance qu’il respecterait toutes les indications. Aujourd’hui le challenger François Hollande se polarise toujours sur l’idée de « croissance à long terme ».
Pourtant en 2004 l’équipe Meadows a repris ses travaux sur les limites de la croissance avec des bases de données réactualisées (the Limits to Growth, the 30-Year Update). Les conclusions n’ont pas changé : « La croissance exponentielle ne peut que conduire à un sommet de pollutions, de dégradations et à un effondrement de la population. Enfin, il sera très difficile d’éviter d’ici à la fin du siècle une augmentation de la température moyenne de plus de 3 °C, avec une montée générale des mers qui pourrait aller jusqu’à deux mètres. »
En 2008, Graham Turner, chercheur au CSIRO*, a publié un article où il reprenait les trois scénarios les plus caractéristiques du rapport Meadows de 1972 (scénarios « business as usual », « monde super-technologique » et « monde stabilisé »), qu’il confrontait à des données mondiales pour la période 1970–2000 : population, natalité/mortalité, production de nourriture, production industrielle, pollution et consommation de ressources non renouvelables. Il constatait que, sur la période 1970-2000, ces données numériques étaient étonnamment proches des valeurs que le rapport Meadows présentait pour le scénario « business as usual ». Il terminait son analyse en disant que « la comparaison de données présentée ici vient corroborer la conclusion de Halte à la croissance ? selon laquelle le système mondial suit une trajectoire qui n’est pas durable, sauf s’il se met à réduire, rapidement et de manière substantielle, son comportement consomptif tout en accélérant ses progrès technologiques. »
En 2009, Tim Jackson** (Economics for a finite planet) est formel : « Toute vision crédible de la prospérité se doit de mesurer la question des limites. Bien que les Meadows (rapport du club de Rome, 1972) aient écrit à une période où les données concernant les ressources naturelles étaient encore plus rares qu’aujourd’hui, leurs prédictions se sont avérées remarquablement exactes. « Les limites de la croissance » prévoyaient des raretés significatives de ressources au cours des premières décennies du XXIe siècle en cas d’inaction pour limiter la consommation matérielle. Dès les premières années du nouveau millénaire, la perspective de la rareté se profilait. Le modèle capitaliste ne propose aucune voie facile vers un état stationnaire. Sa dynamique naturelle le pousse vers deux états : l’expansion ou l’effondrement (…) Tant que la stabilité économique dépendra de la croissance économique, les changements nécessaires n’auront pas lieu. »
La conclusion de Tim Jackson est claire : « Face à des chocs économiques, il est particulièrement important de créer des communautés sociales résilientes. Comme l’affirme l’institut pour l’autosuffisance locale, les communautés devraient avoir le droit de protéger certains espaces de tout esprit de commerce et de la publicité. Il faut que des activités économiques sobres en carbone contribuent vraiment à l’épanouissement humain. Les germes d’une telle économie existent dans des projets énergétiques communautaires, des marchés agricoles locaux, des coopératives Slow Food, des services locaux de réparation et d’entretien, des ateliers artisanaux, et pourquoi pas, dans la méditation et le jardinage. En étant à la fois producteurs et consommateurs de ce genre d’activités, les gens atteignent un niveau de bien-être et de satisfaction supérieur à celui qu’ils retirent de cette économie de supermarché, matérialiste et pressée, dans laquelle nous passons le plus clair de notre temps. »
* CSIRO, Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation : organisme gouvernemental australien pour la recherche scientifique. Le rapport de Graham Turner, Confronter « Halte à la croissance ? » à 30 ans de réalité, août 2008.
** Commissaire à l’économie de la Commission du développement durable du Royaume-Uni.