Le réchauffement climatique, Frédéric Durand

Frédéric DURAND, universitaire (Toulouse II le Mirail), géographe, auteur, conférencier

sera présent lors de notre réunion publique du mercredi 23 mai, 19h30 salle Marengo : « l’écologie et la relocalisation de l’économie »

Il nous fait partager un de ses articles :

Le réchauffement climatique : effets et conséquences probables, par-delà les incertitudes

 Les incertitudes sur l’évolution du climat sont bien réelles, mais on peut se demander si le débat n’est pas parfois biaisé du fait qu’une partie des intervenants insistent avant tout sur l’absence de « certitude » et négligent de préciser ce que l’on sait.

En effet, en dépit des vastes zones d’ombre, on dispose de nombreux éléments sur lesquels s’appuyer. Ainsi nier le réchauffement climatique et son origine largement anthropiques est aujourd’hui une attitude pour le moins ambiguë dans la mesure où les présomptions le confirmant s’accumulent, tandis que les hypothèses contradictoires sont régulièrement infirmées. Même si par le passé l’activité solaire a été le moteur des changements climatiques, il apparaît maintenant que le petit Âge glaciaire en Europe est sans commune mesure avec ce qui est en train de se dérouler à l’échelle planétaire. Sur la base des connaissances actuelles, l’influence du soleil sur le réchauffement depuis le 19ème siècle serait d’environ 10 %1.

La très grande majorité des experts, notamment au sein du Groupe Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC), a souligné dès 2001 qu’il y avait des « évidences de plus en plus fortes prouvant que le réchauffement observé depuis les 50 dernières années était attribuable aux activités humaines ». L’Académie des Sciences des USA, pourtant sollicitée par le président Bush pour les contredire, a confirmé ces conclusions. En 2002, le gouvernement américain a reconnu « la gravité du changement climatique »2. En 2003, le Conseil des Géophysiciens des USA a adopté à l’unanimité une résolution allant dans ce sens, tandis que le Pentagone commandait une étude sur comment gérer les scénarios du pire.

Mais que nous prédit-on ?

Un large consensus existe aujourd’hui pour dire que la température de la planète s’est élevée de 0,6°C depuis le 19ème siècle. Selon les scénarios du GIEC, de 2000 à 2100, le réchauffement devrait continuer à croître de 1,4 à 5,8°C, selon que nos émissions de gaz à effet de serre seront ou non réduites. Une étude de 2005 fondée sur plus de 2 500 simulations, envisage même une fourchette de 1,9 à 11,5°C d’ici moins d’un siècle3. A l’échelle de la planète, ces valeurs sont considérables puisque lors de la dernière glaciation, la Terre était plus froide de seulement 4 à 5°C.

Ces projections se basent sur les rejets des gaz à effet de serre, à commencer par le dioxyde de carbone (CO2), dont l’augmentation massive de la concentration dans l’atmosphère est largement liée à l’activité industrielle et agricole intensive. Certes, la température de la Terre et la concentration en CO2 ont varié au cours des âges, mais on ne trouve rien d’équivalent depuis au moins 420 000 ans, soit quatre époques glaciaires. Pendant cette période, la concentration en CO2 a toujours fluctué entre 180 et 280 parties par million (ppm). Or elle est passée de 270 ppm en 1850 à 380 ppm en 2005 (figure n°1), ce qui est sans équivalent depuis plusieurs millions d’années.

Dans ce contexte, certains experts craignent même qu’il y ait un seuil critique au-delà duquel la planète risquerait d’entrer dans un processus d’échauffement non-linéaire, voire irréversible. Ce seuil pourrait correspondre à 500 ppm ou seulement à 400 ou 450 ppm, soit, avec un accroissement moyen actuel de 2 ppm par an, un niveau qui pourrait être atteint dans dix à trente ans.

La principale difficulté réside dans le fait qu’au-delà de l’existence de risques majeurs sur lesquels un très large consensus est acquis, personne ne peut prévoir les échéances, l’ampleur, ni même localiser précisément la nature des futurs phénomènes.

La majorité des experts reconnaît que le réchauffement va continuer. Certains considèrent qu’on en voit déjà les premiers effets ou, en tout cas, que les phénomènes extrêmes des dernières années (tempêtes, canicules, plus grande fréquence des cyclones…) correspondent aux types de manifestations que l’on peut attendre dans les années à venir suite à l’aggravation du réchauffement. Ainsi, avant même que la canicule 2003 ne survienne en France, des chercheurs ont montré en projetant l’augmentation de l’effet de serre de 1860 à 2100, que les températures comme cet été là pourraient devenir habituelles à partir de 2050 (figure n°2).

Sur le terrain, des études américaines effectuées sur 1 700 espèces animales et végétales dans l’hémisphère Nord montrent déjà une tendance à se déplacer en moyenne de 6 km vers le nord par décennie. Compte tenu de la fragmentation des écosystèmes et de l’évolution différenciée des prédateurs et des proies, nombre d’espèces devraient rencontrer des difficultés pour s’adapter. Le réchauffement climatique est considéré comme une des causes de l’actuelle sixième grande phase d’érosion de la biodiversité qu’ait connu la planète, la précédente remontant à 65 millions d’années avec la disparition des dinosaures. Selon l’Union Mondiale pour la Conservation de la Nature, ce phénomène pourrait amener dans les décennies à venir la disparition du quart des espèces de mammifères et de reptiles, de 20 % des amphibiens et de 30 % des poissons4.

La mer et les pôles en question

De fait, la mer n’est pas épargnée. Les massifs de coraux, qui constituent un habitat essentiel pour la vie marine, sont certainement les plus exposés. Un échauffement de 1°C suffit à les fragiliser fortement, une hausse de 2 à 3° est mortelle pour la plupart des variétés. De même la fonte des banquises représente une menace car elles abritent une grande quantité d’algues. En Antarctique, depuis trente ans, leur raréfaction aurait contribué à la réduction des stocks de krill de 80 %. Cela risque d’être désastreux pour l’avenir de la pêche car ces petites crevettes qui se nourrissent d’algues sont à la base de la chaîne alimentaire marine.

La fonte des glaces présente aussi deux menaces supplémentaires : la montée du niveau des mers et la perturbation des courants marins comme le Gulf Stream.

En elle-même, la réduction des banquises ne va pas influer sur le niveau des eaux car elles reposent déjà sur les océans. Bien que celle du pôle Nord ait perdu 10 % de sa superficie et 40 % de son épaisseur hivernale depuis une trentaine d’années et qu’elle puisse perdre 50 % de sa superficie d’ici la fin du 21ème siècle, cela ne fera pas monter le niveau des eaux5. En réalité l’élévation prévue, qui va selon les scénarios les plus courants de 25 cm à 1 mètre pour la fin du 21ème siècle, est largement due à la dilation des océans sous l’effet de la chaleur et à la fonte des glaciers. Rien que cela pourrait suffire à provoquer 150 millions de « réfugiés du climat » d’ici 2050.

La situation pourrait même se révéler plus grave. Fin 2004, la NASA révélait que certaines parties du continent Antarctique pourraient se réchauffer de plus de 3,6°C d’ici 2050. Outre la péninsule déjà fragilisée, une équipe britannique vient de constater que la partie occidentale perdait 250 km3 de glace par an. C’est une quantité encore limitée, mais si cela devait s’accélérer, l’eau de cette région pourrait à terme induire une montée des mers de 8 mètres. Pour l’instant seul l’Antarctique Est, la partie la plus massive (une montée potentielle de 64 mètres) paraît épargnée.

A l’inverse, certains voient dans la fonte du pôle Nord des aspects positifs, comme l’ouverture de passages pour le transport maritime ou un accès facilité aux hydrocarbures d’Alaska et de Sibérie. Mais ces avantages paraissent un peu dérisoires face aux risques, d’autant que lorsque la glace ou la neige fondent, la terre absorbe plus de rayonnement solaire. Alors que la glace renvoie 80 % du rayonnement, le sol nu ne renvoie que 30 % et les océans 7%. Cela devrait accélérer encore le réchauffement. Certaines zones du permafrost arctique (les terres gelées en permanence), sur lesquelles sont construits des bâtiments et des infrastructures ont déjà commencé à dégeler. Cela devrait en outre libérer d’importantes quantités de méthane, un gaz à effet de serre bien plus actif que le CO2.

Deux scénarios divergents

Mais le plus grave à courte ou moyenne échéance serait certainement la perturbation des courants océaniques et notamment du Gulf Stream.

Les modèles actuels évoquent deux grands types de scénarios :

* un réchauffement prolongeant les tendances actuelles, centré sur l’hémisphère Nord, avec une hausse des températures moyennes pouvant atteindre plus de 4°C dans certains régions d’Europe ou d’Amérique du Nord (figure n°3) ;

* Un refroidissement momentané de l’hémisphère Nord lié à l’arrêt du Gulf Stream (figure n°4).

Ce dernier scénario, qui a été popularisé par le film « Le jour d’après » a des bases scientifiques sérieuses, même si cela ne risque guère de se passer comme à Hollywood. De fait, il y a eu dans un passé pas si lointain des refroidissements, notamment il y a 11 500 et 8 200 ans6. Ils auraient été dus à la perturbation des grands courants sous-marins, suite à un apport massif d’eau douce lié à la fonte des glaces. Des recherches récentes ont montré que le Gulf Stream se serait déjà réduit de 20 % entre 1950 et 20007.

Même si cela reste très hypothétique, un phénomène de blocage pourrait se mettre en place en une décennie et durer plusieurs siècles, avant que les effets du réchauffement global ne se fassent de nouveau sentir dans l’hémisphère Nord. En effet, il ne s’agirait pas de l’entrée dans une nouvelle période glaciaire, mais seulement d’un scénario alternatif où le réchauffement se manifesterait provisoirement de manière plus prononcée au Sud.

Ces deux variantes si divergentes montrent bien à quel point il est difficile de prévoir les évolutions locales. Avec de tels bouleversements potentiels, projeter les tendances des dernières décennies ne garantit aucune fiabilité. On pourrait multiplier les exemples d’autres risques, comme l’aggravation des incendies de forêts, l’extension des aires de maladies, comme le paludisme, ou d’insectes comme les scolytes qui ont déjà ravagé ces dernières années des millions d’arbres dans les forêts nord-américaines. Mais à ce stade, la divergence des possibles impose la prudence.

Sans chercher les scénarios du pire, la grande majorité des modèles envisage néanmoins de fortes variations des précipitations. Avec l’accroissement des températures et de la variabilité du climat, cela risque d’induire une réduction de la productivité agricole de 5 à 20 % dans le sud de l’Europe, de 25 % en Inde ou de 50 % en Afrique. A l’inverse d’autres régions pourraient connaître un accroissement de leur productivité, même s’il est très aléatoire de prévoir lesquelles8.

Ce qui fait de plus en plus consensus, c’est que des effets majeurs aux conséquences graves sont très probables, même si l’on ne peut écarter la très heureuse surprise d’un phénomène inconnu venant compenser l’influence des hommes. Ces perturbations risquent de prendre de l’ampleur dans la deuxième moitié du 21ème siècle9, c’est-à-dire dans un avenir pas si lointain.

Le principe de précaution

A ce stade, les responsables politiques ont aujourd’hui conscience de la réalité des risques. Alors que l’on peine à appliquer le bien dérisoire protocole de Kyoto, qui prévoit une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 5 %10, les ministres de l’Environnement de l’Union Européenne ont proposé en 2005 de réduire nos rejets de CO2 de 15 à 30 % d’ici 2020 et de 60 à 80 % d’ici 2030. Cela montre bien que les grands décideurs ont réalisé la gravité de la menace potentielle, d’autant que l’inertie du climat est telle que même si l’on réduit rapidement nos rejets, le réchauffement continuera encore pendant plusieurs décennies.

Si le président Jacques Chirac a déclaré en 2005 qu’il faudrait diviser nos émissions de CO2 par quatre, ce chiffre n’a pas été énoncé au hasard. Il s’agit de fait d’une valeur assez consensuelle indiquant que pour limiter réellement le réchauffement, il faudrait que les Américains divisent leurs rejets de CO2 par 10, les Allemands par 6 et les Français par 4. Mais, nombre d’experts s’accordent à dire que l’ensemble des mesures classiques (reboisement, nucléaire, meilleure isolation, énergies renouvelables…) ne suffiront pas pour mener une telle réduction. Il faudrait une véritable remise à plat de notre mode de production et de consommation à l’échelle planétaire, un effort qu’aucun homme politique n’a sérieusement proposé à ce jour. C’est sans doute pour cela que le sujet suscite un tel malaise.

Face aux risques majeurs que représente le réchauffement climatique, il n’y a plus qu’à espérer que l’introduction en 2005 du « principe de précaution » dans la Constitution française permettra de faire avancer ce dossier.

1 Jouzel (J.) et Debroise (A.), Le climat : jeu dangereux, Editions Dunod, 2004, p.103.

2 US Department of State, US Climate Action Report, mai 2002, p.2.

3 Stainforth (D.) et al., « Uncertainty in prediction of the climate response to rising levels of greenhouse gases », in Nature, vol.433, 27 January 2005, pp.403-406

4 Le Treut (H.) et Jancovici (J.M.), L’effet de serre, allons nous changer le climat ?, Flammarion, 2001, p.60.

5 Arctic Climate Impact Assessment, 2004, 139 p.

6 Rahmstorf (S.), « Ocean circulation and climate during the past 120 000 years », in Nature, vol.419, 12/09/2002 ; Wood (R.) et al., « Global warming and thermohaline circulation stability », in Phil. Trans R. Soc. Lond., n°361, 2003.

7 Hansen (B.) et al. « Decreasing overflow from the Nordic seas into the Atlantic Ocean through the Faroe Bank channel since 1950 », in Nature, 21 juin 2001.

8 Jouzel (J.) et a., po.cit., 2004, p.195.

9 Interview du professeur au Collège de France Édouard Bard, au quotidien Libération, 23-24/11/2002.

10 Durand (F.), « Au royaume des borgnes, l’effet de serre est roi », in Le Monde Diplomatique, décembre 2002.