C’était il y a quelques mois. Un tribunal condamnait la pneumologue Irène Frachon pour avoir publié un livre titré : « Médiator, combien de morts ? ». Aujourd’hui, les études se multiplient comme par enchantement pour annoncer entre 500 et 2000 décès dus au médicament. Théatre médiatique ou triste réalité de notre système de santé ?
Au milieu des années 90, le laboratoire Servier a du retirer du marché l’Isoméride. Ce médicament coupe-faim provoquait de graves effets secondaires, parfois mortels. Le Mediator fut alors promu par le même laboratoire dans des indications douteuses, en réalité pour être lui aussi utilisé en amaigrissement. Car le Mediator est un cousin de l’Isoméride. Ses effets secondaires – très graves – sont assez proches.
Depuis la fin des années 90, l’inutilité du Mediator est établie.Parallèlement, les preuves concernant sa dangerosité se sont accumulées. Dès 2003, le Médiator est retiré du marché en Espagne. Progressivement, les autres pays européens suivent.
En France, il aura fallu attendre 2009 pour que les autorités sanitaires décident enfin le retrait du Mediator du marché. Presque 10 ans se sont écoulés pendant lequels le médicament a été prescrit alors que sa balance bénéfices/risques était largement défavorable.
Qui est responsable ?
Le laboratoire Servier ? Il a mis et maintenu sur le marché un médicament qu’il aurait du retirer de lui-même. Or ce laboratoire a nié – et continue de nier contre toutes les études – la dangerosité de son produit. Il se comporte plus en industriel soucieux de son chiffre d’affaires qu’en acteur responsable de la santé publique. A l’image du système français de prescription, il a inondé les médecins de publicités mensongères pour le Mediator et incité ses visiteurs médicaux à en booster le nombre de boites prescrites.
Le ministère de la santé ? Il n’a pu ignorer ce que de nombreux médecins savaient, mais n’a jamais voulu porter atteinte au laboratoire Servier dont le PDG, Jacques Servier, ne manque pas de relais dans le monde politique. Jamais le ministère n’a remis en cause le Mediator et son remboursement par l’assurance maladie. Depuis la révélation du scandale, c’est un touchant défilé d’anciens ministres de la santé jurant qu’ils n’ont jamais rien su.
Les agences de santé ? Elles ont été défaillantes une fois de plus, prises dans les conflits d’intérêts de leurs responsables, à la fois juges et parties, rémunérés par l ‘industrie pharmaceutique et chargés d’autoriser ou non un médicament.
Les médecins prescripteurs ? Ils ont manqué de prudence et de sens critique en acceptant de puiser leurs informations dans une presse médicale relayant complaisamment les messages de l’industrie pharmaceutique. C’est une particularité bien française : chaque jour, les médecins reçoivent gratuitement des journaux médicaux qu’ils n’ont pas payé et qui leur bourrent le crâne de moult publicités trompeuses sur des médicaments. Le revue Prescrire – payante et sans publicités- est une des seules à avoir tiré depuis des années la sonnette d’alarme sur le Mediator.
Ce système de prescription où l’on voit une autorité politique défaillante et complaisante, des agences de santé engluées dans les conflits d’intérêts, une industrie pharmaceutique surtout soucieuse de développer ses ventes et des médecins soumis à un discours publicitaire intense et trompeur, eh bien c’est le système français.
L’affaire du Mediator n’est pas la première, et si rien ne change dans ce système, les mêmes causes produiront les mêmes effets.
Seule une politique du médicament séparant strictement les fonctions de prescription, d’information, de mise sur le marché et de contrôle peut permettre d’éviter qu’à l’avenir un médicament dangereux puisse rester 10 ans sur le marché, être prescrit, remboursé par l’assurance maladie et tuer 2 000 personnes… sans en guérir une seule !