Je viens de regarder le documentaire « La mort est dans le pré » programmé mardi soir sur France 2, en deuxième partie de soirée. Même si je sais tout cela, même si je n’en suis pas à mon premier documentaire, même si un ami de famille agriculteur est mort d’un cancer du pancréas pour lequel les médecins ne nous ont laissé aucun doute sur son origine, j’ai été saisie par le désarroi de ces femmes et de ces hommes. Saisie par leur dignité et leur courage.
En plus du constat accablant que fait le film quant à la responsabilité de l’industrie agrochimique, quant à l’incurie de l’Etat, à la subordination de la recherche acculée à quémander des fonds à ceux-là mêmes qui ont des intérêts dans les résultats qu’elle produit, ce film nous montre combien le modèle culturel qui a permis la Révolution verte et les drames qu’elle a engendrés (et continue d’engendrer) a été intégré et métabolisé comme la seule manière possible de procéder.
Pour beaucoup de ces agriculteurs la maladie aura servi de révélateur dramatique, elle leur aura dessillé les yeux. Certains auront eu le temps de les ouvrir sur d’autres possibles. Ça n’a pas été la cas pour cet ami de famille, mort trop tôt, trop vite, en pestant, comme nous l’avions toujours vu pester contre ses vaches mais, cette fois, contre ces « empoisonneurs publics ». Signe ultime de son impuissance. Lui non plus ne mangeait pas ce qu’il produisait dans ses champs, lui aussi cultivait son jardin, sans pesticides et sans engrais chimiques, lui aussi est mort d’avoir inhalé des années durant toute cette pétrochimie avec laquelle il arrosait ses cultures, ces produits phytosanitaires, comme il est convenu de les appeler par une formule euphémisée à dessein. Le temps ne lui a pas été donné de transformer sa colère en révolte contre un système sordide, où règne le cynisme et la cupidité.
Les agriculteurs sont pris au piège d’une logique qui les tue, en aliénant leur imaginaire, en les endettant et en les empoisonnant. Un piège qui se referme quand le corps malade vous oblige à affronter la vérité et, au moment même où vous voudriez en sortir, vous réalisez que, perclus de dettes vous ne pouvez plus faire autrement ou que vous n’en avez plus le temps. Combien sont-ils qui, à l’instar de ce paysan paraplégique en fauteuil roulant, magnifique exemple de courage et de lucidité, décident de « changer (leurs) pratiques », de « refaire de la formation pour se ré-approprier l’agronomie » et « remettre en place un système propre ». Une manière de rembobiner la bande, de se donner la possibilité de recommencer autrement à la force de ses seuls bras.
Ces femmes et ces hommes ont souffert dans leur chair. Ils savent le mal qu’ils se sont fait et qu’ils ont par ricochet fait à d’autres. Mais ce film nous montre combien tout a été sciemment orchestré pour qu’il en soit ainsi. L’agriculture intensive s’inscrit dans une logique sociale et culturelle mortifère. Il est grand temps de changer de modèle, de revenir à une agriculture extensive, biologique, vivrière et locale qui nourrisse les hommes et leur donne du travail et préserve ce que ma grand-mère auvergnate considérait comme notre bien le plus précieux, la terre.
Je ne sais pas combien de temps ce documentaire restera en ligne mais pour ceux qui ne l’ont pas encore vu, voyez-le :