Publié par Le Monde.fr le 16.04.2014 D’ordinaire on la voit peu, si ce n’est jamais. Pourtant, mardi 15 avril Marine Le Pen était là, à Strasbourg, au Parlement européen, pour tenir son rôle d’eurodéputée. Défenseure auto-proclamée du travailleur français opprimé contre l’Europe « ultralibérale » et « antisociale », la patronne du Front national n’a pas voulu manquer l’occasion de dénoncer « la bombe à fragmentation sociale » et le texte « criminel » que représente la directive sur les travailleurs détachés que les parlementaires tentaient justement d’adoucir jour-là. Pour mémoire, cette règlementation européenne datant de 1996 permet à une entreprise d’avoir recours à des travailleurs de pays tiers, membres de l’Union. Elle est aujourd’hui accusée d’encourager le « dumping social », soit de favoriser le recours à une main d’oeuvre sous-payée venue de Pologne, de Roumanie ou d’ailleurs.
MÉFAITS ET COMPROMIS La directive, en réalité, n’a rien de polémique. L’entreprise qui a recours à ces employés se doit d’appliquer le droit du travail du pays d’accueil (rémunération minimale, temps de travail, etc.) Seul le régime social reste celui du pays d’origine. Mais au fil des ans, les pays membres ont constaté des abus et contournements divers de la loi par des patrons peu scrupuleux, des travailleurs peu au fait de leurs droits, et des entrepreneurs créatifs érigeant des sociétés boîtes aux lettres domiciliées dans les pays où la législation sociale est moins développée. La vague d’élargissement de l’UE à l’est en 2004 n’a fait qu’accentuer l’ingéniosité des aigrefins quand la crise et le chômage de masse exacerbaient les tensions. C’est pour corriger ces méfaits que la Commission de l’emploi et des affaires sociales présidée par Pervenche Berès (groupe des sociaux-démocrates, S&D) s’est penchée sur le sujet. Fruit d’un travail acharné pour aboutir à un compromis délicat entre sociaux-démocrates, conservateurs et libéraux, le texte propose quelques corrections à la mise en œuvre de la directive : 1) la définition d’un travailleur détaché est précisée pour éviter que de « faux indépendants » ne se cachent derrière ce statut. 2) une liste de mesures de contrôle est décrite afin de détecter les abus. 3) les pays sont tenus de mettre à disposition des travailleurs et des entrepreneurs des informations sur leurs droits 4) un système de responsabilité conjointe et solidaire s’applique à l’entreprise contractante et à l’entreprise sous-traitante si un travailleur n’est pas correctement rémunéré. En clair : si un grand groupe sous-traite à une PME qui emploie elle-même un travailleur détaché sous-payé, le grand groupe pourra être poursuivi. Ce dispositif ne s’appliquera dans un premier temps qu’au secteur du BTP où ont été observées les plus grandes dérives.
ANNULER LA DIRECTIVE Pour Mme Le Pen ces corrections sont une « escroquerie » qui n’empêcheront pas la « déferlante de travailleurs »low cost » » en France. A ses yeux une seule option : annuler la directive. Si cela ne convient pas à « Mme Le Pen il fallait qu’elle vienne négocier à une commission où elle n’a jamais mis les pieds ! », balaie Mme Beres. A quelques semaines des élections européennes, la députée, à l’instar des avocats de ce texte veut à tout prix faire approuver ce compromis afin de déminer les débats. Même si la plupart le considère comme un pis-aller, le texte permettra d’évacuer un sujet propice à l’« Europe bashing » et aux raccourcis. « Il ya des politiques dont le fond de commerce est de déverser la haine contre les travailleurs étrangers », s’est désolé Alejandro Cercas (S&D) dénonçant, quelques minutes après l’intervention de la leader d’extrême droite, les propos « racistes » et « xénophobes ». « Toutes les formations politiques, dont le Front national, qui demandent »l’annulation » de la directive se trompent. Détruire ce texte, arraché aux forceps, condamnerait l’Union Européenne à l’immobilisme, c’est-à-dire à la »loi de la jungle » et à la concurrence déloyale entre travailleurs européens qui font le lit des populismes d’extrême droite et des eurosceptiques. », a renchéri Karima Delli (Europe Ecologie-Les Verts). Reste que dans cette bataille la présidente du FN, s’est trouvée des alliés dans les rangs de la gauche et de la gauche de la gauche, soucieux de rendre le texte plus protecteur pour les travailleurs. Parmi eux : Jean-Luc Mélenchon. Tout aussi peu familier de Strasbourg, le co-président du Parti de Gauche a fustigé une directive qui n’assure pas l’égalité entre les travailleurs. « Il n’y a pas de liberté sans égalité qui puisse produire la fraternité », s’est-il exclamé. Mercredi 16 avril, le projet législatif a été adopté par 474 voix contre 158 et 39 abstentions. Claire Gatinois Journaliste au Monde
Pour consulter l’article : http://www.lemonde.fr/europeennes-2014/article/2014/04/16/europe-marine-le-pen-et-le-texte-criminel-sur-les-travailleurs-detaches_4402325_4350146.html