L’Eveil Normand – 13/03/2014
À 34 ans, Karima Delli (EELV) est la plus jeune eurodéputée française et tête de liste de la région nord-ouest pour les élections européennes de mai prochain. Interview.
L’Éveil normand : Est-ce difficile d’être une femme, d’être jeune et qui plus est issue de l’immigration quand on fait de la politique ?
Karima Delli : « La plus grande difficulté, c’est d’être nouvelle élue. Au début, on me prenait souvent pour une assistante parlementaire. Lors de ma première mission avec la délégation française, le président du Parlement m’avait prise pour une interprète… En tout cas, il est grand temps de féminiser, rajeunir et verdir le monde politique. Moi je suis fière d’être une femme, jeune et dynamique. »
Le Parlement européen est plutôt bon élève puisque les femmes françaises y sont représentées à 44,4 %, bien mieux que dans nos autres institutions.
« C’est le résultat de l’obligation de parité. Nous, à EELV (Europe Écologie-Les Verts), on avait instauré le principe de parité bien avant la loi et on a eu de nombreuses femmes à la tête du parti comme Dominique Voynet, Cécile Duflot, Emmanuelle Cosse mais aussi la première femme présidente d’une région, Marie-Christine Blandin. Au Parlement européen, nous avons seize députés dont huit femmes. La parité absolue. Je suis tête de liste pour la circonscription nord-ouest et je n’ai pas l’impression qu’il y a beaucoup de femmes tête de liste dans les autres partis ! (NDLR : outre EELV qui présente cinq femmes tête de liste sur les huit circonscriptions, on en compte deux pour l’UMP, une pour le FN et deux pour le PS ; à noter que sur quarante-huit têtes de listes, vingt-deux ne sont pas encore désignées). »
Vous êtes donc favorable à la loi sur la parité ?
« Je suis favorable à cette loi et on voit qu’elle a déjà porté ses fruits mais c’est encore largement insuffisant car elle n’a pas mis fin à l’hégémonie des hommes en politique. Il faut mettre maintenant les femmes à des postes stratégiques, dans des circonscriptions éligibles, afin que ce ne soit pas seulement une parité de façade mais une parité de résultats. »
Qu’est-ce qui bloque ?
« Je pense que ce n’est pas encore entré dans la culture des partis politiques, surtout à droite. En politique, la règle canonique, c’est l’homme blanc âgé de 60 ans. Il y a un sexisme incroyable au sein de la classe politique. Rappelez-vous les bruits de basse-cour lors de l’intervention de la députée Véronique Massonneau (par l’UMP Philippe Le Ray, NDLR) ou les huées des députés pour la robe de Cécile Duflot (toujours par les députés UMP, décidément bien rétrogrades, NDLR).
Nous les femmes, on doit toujours redoubler d’efforts pour être prises au sérieux et travailler deux fois plus que les hommes pour que nos compétences soient reconnues. Il faut qu’on s’accroche et qu’on continue à se battre pour être respectées et reconnues sans pour autant endosser les codes masculins. C’est la même chose dans le monde des entreprises où à travail et compétences égaux, les femmes sont toujours moins payées que les hommes. »
Comment agir pour faire bouger les choses ?
« En Europe, le principe de l’égalité homme-femme existe depuis de traité de Rome (1957 !) et il n’est toujours pas concrètement mis en pratique. Je crois qu’il est temps de siffler la fin de la récré et de sanctionner durement les entreprises qui ne pratiquent pas l’égalité salariale, mais il faut aussi lutter contre les stéréotypes, instaurer des quotas pour que les femmes soient aux premières places dans les grandes institutions, les syndicats, les grands groupes, le pouvoir politique. Les femmes ne doivent pas être cantonnées à la santé, l’enfance, les sujets sociaux ou de société, elles sont capables de prendre en charge tous les sujets y compris d’ordre économique, financier, industriel. Elles en ont largement les compétences. Je rappelle qu’il y a une femme, Christine Lagarde, à la tête du FMI ! Même si je ne partage ni sa vision du monde et de l’économie. »
Justement, l’année dernière, Hervé Maurey, sénateur maire de Bernay, fustigeant le projet de loi sur le nouveau scrutin pour les élections départementales qui prévoyaient d’élire un binôme homme-femme, disait alors : « Beaucoup de femmes risquent de se retrouver dans le rôle de potiche, les hommes s’occuperont des dossiers nobles et les femmes des affaires sociales. » Cela vous inspire quoi ?
« Il est temps que les hommes arrêtent de penser à notre place. Une fois de plus, la droite conservatrice a une vision bien étriquée des femmes. D’ailleurs, on constate que la droite préfère payer une amende que d’appliquer la parité. C’est inacceptable ! »
Suite au projet de loi espagnol de limiter le droit à l’avortement, vous avez indiqué « souhaiter que le droit à l’avortement soit inscrit dans la charte européenne des droits fondamentaux ». Pourtant le Parlement européen a rejeté, le 10 décembre, un texte élaboré par Edite Estrela, qui réclamait, pour les femmes, un accès généralisé à la contraception et à des services d’avortement sûrs.
« En effet, c’est très grave et il faut qu’on se mobilise pour éviter le risque de contagion dans d’autres pays européens. Partout, la droite cherche à revenir sur les droits des femmes. Notre génération doit se battre pour que les combats menés par nos mères et nos grands-mères ne soient pas vains. D’ailleurs, le 1er février, j’étais à Caen pour manifester avec les femmes et les hommes qui défendent le droit à l’avortement. Moi, je veux une Europe qui protège et qui fasse progresser les droits des femmes à l’échelon européen, c’est là où on avance le plus. Non seulement dans les textes, mais aussi dans les faits. En plus, au Parlement européen, on est portés par les bons exemples des pays scandinaves. Alors je me battrai tous les jours s’il le faut pour faire avancer les droits des femmes. Comme a dit un homme de gauche (Jean Ferrat, NDLR) : « La femme est l’avenir de l’homme » et c’est vrai car ce sont toujours les femmes qui font avancer la cause des droits en général. »
Propos recueillis par Véronique Couvret
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