EUROPEENNES 2014. Karima Delli née à Roubaix, grandit à Tourcoing et étudie à Lille l’eurodéputée verte 35 ans s’attaque cette année à un gros poisson : Marine Le Pen.
Son nom ne vous évoque peut-être rien, pourtant, c’est un petit bout de femme qui cache un grand personnage. Karima Delli, 35 ans et une gueule d’enfant se présente à nouveau au scrutin européen. Et si elle est élue le 25 mai prochain, ce ne sera pas un hasard. Elle qui, à la surprise générale, était entrée au parlement à la faveur de la vague verte de 2009, 4ème sur la liste de Cohn-Bendit. Elle est cette année tête de liste dans une circonscription qu’elle affectionne particulièrement: Le Nord-Ouest. Région qui l’a vue naître, grandir et étudier.
Karima Delli c’est un petit personnage aux multiples facettes. Petite brunette rigolote qu’on aurait du mal à prendre au sérieux de prime abord. Pendant sa campagne, elle blague, elle sautille et alpague les gens dans la rue. Comme lors de son « Paris-Roubaix » revisité où elle décide de s’emparer des étapes de l’épreuve de cyclisme pour en faire sa version « alternative ». Elle distribue des tracts, propose des pastilles d’iode, plaisante avec les uns et les autres. Mais il suffit de l’interpeller sur des questions sérieuses comme celle du traité transatlantique pour qu’elle reprenne sa voix légèrement plus grave et un ton appliqué. « Il ne faut pas accepter la mise en place de ce traité qui vise à accélérer la prise de pouvoir des grands groupes au niveau continental et local. Le Canada qui a signé ce traité avec les Etats-Unis, a été condamné pour avoir construit une route gratuite alors que le traité exigeait qu’elle soit payante. Ce traité ne doit pas être entériné. Et les citoyens ne doivent pas délaisser ce terrain là » explique-t-elle.
Couteau suisse
Loin de la schizophrénie électorale, Karima Delli a toujours été un couteau suisse. « Un pied dans les institutions, un pied dans le mouvement social » comme elle aime se définir. Dès ses premières heures au parlement, elle sait se faire remarquer. Et pour cause, son passé d’activiste et son mentor Daniel Cohn-Bendit forment un mélange des plus détonnant. Pour son premier jour à Bruxelles elle s’habille d’un t-shirt « Stop Barroso » message personnel au président de la commission européenne. «Pour la journée de la femme suis arrivée avec chapeau et moustache dans l’hémicycle »raconte-t-elle entre d’autres anecdotes. De quoi laisser croire qu’elle considère le parlement comme une scène plus théâtrale que politique.
C’est pourtant loin d’être le cas. En cinq ans elle a rédigé et fait adopter deux rapports dont l’un sur le logement social « sa plus grande fierté ». Parce que ce qui l’intéresse avant tout c’est l’écologie sociale « Moi je suis née à Roubaix j’ai étudié à Lille où j’ai fait une thèse sur les logiques du pouvoir. Quand j’ai été élue en 2009 je voulais montrer que l’écologie ce n’est pas un truc de riche. » raconte-t-elle « J’ai créé des collectifs pour lutter contre l’injustice sociale avec des logiques environnementales. J’ai monté le collectif Jeudi noir puis Sauvons les riches. Parce qu’il faut remettre les riches sur terre car ils sont les grands destructeurs de notre planète et c’est à nous de les rééduquer! » Son grand projet : la mise en place d’un revenu maximal européen « car en Europe 120 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté ».
Les pieds sur Terre
Et si elle est aussi concernée par toutes ces questions sociales et environnementales ça n’est pas un hasard. Numéro 9 d’une fratrie de 13 elle raconte avec fierté dans son livre et à qui veut l’entendre que la pauvreté rend naturellement écologique. Et pourtant, ce sont bien souvent les plus démunis qui subissent les catastrophes écologiques. « Aux dernières élections j’étais 4eme de liste, j’ai su le 7 janvier 2009 à 3h du matin que j’étais élue. Mes parents ne savent ni lire ni écrire. J’ai appelé mon père pour lui annoncer que j’étais élue députée européenne il m’a répondu ‘Karima, tu laisse dormir tes parents’ et il m’a raccroché au nez. Ce que je veux dire en racontant cette anecdote, c’est qu’il faut expliquer à ces gens là à quel point l’Europe est importante ».
Des parents illettrés d’origine algérienne, 12 frères et sœurs et zéro misérabilisme, mieux, un ancrage sur les réalités du quotidien. « C’est à eux que je veux parler, à ces gens qui pensent qu’on ne s’occupe pas d’eux, que la politique ne s’adresse pas à eux. » « En tant qu’élu, il ne faut pas oublier d’où l’on vient, il faut garder un lien avec ce que certains appellent la société civile, ce que moi j’appelle ‘la vie’ ». Elle rêve de faire comprendre aux gens à quel point l’Europe est importante comme lorsqu’elle rencontre un groupe de mères en situation précaire issue d’un quartier de Châteauroux « ces femmes étaient impressionnantes, elles ont créé un jardin partagé qui ne leur a quasiment rien coûté. 400 bouteilles en plastiques y étaient utilisées pour récupérer l’eau et irriguer les pousses. Ces femmes voulaient également créer une épicerie sociale et solidaire », Karima Delli leur propose alors devenir au parlement à Bruxelles pour voir comment s’y négocient les aides alimentaires. « Elles ne m’ont pas crues et pensaient que c’était une invitation en l’air » explique-t-elle. « Six mois plus tard, elle se rendent au parlement, certaines n’étaient jamais sorties de leur quartier. Elles visitent le bâtiment, voient où nous nous sommes battus pour le maintien des aides alimentaires. Aujourd’hui le mot Europe veut dire quelque chose pour elles. »
Et si elle garde les pieds sur terre elle a aussi des rêves plein la tête. Passionnée par l’Inde elle participe à la marche des sans-terre avec Rajagopal militant Ghandien et altermondialiste pour soutenir la lutte des paysans sans terre. « C’était exceptionnel, une marche non violente avec plus de 100 000 personnes. On demandait au gouvernement de geler les terres pour les paysans et on a gagné ! ». « Au départ, ils pensaient que j’étais une descendante indienne à cause de mon teint et de mon nom. C’était incroyable pour eux qu’une femme française, députée européenne vienne à l’autre bout du monde pour les aider à changer les choses » raconte-t-elle guillerette avant de reprendre son ton plus cérémonieux, « ce qu’on demande surtout c’est la décontamination du site de Bhopal ». Bhopal, le pire accident dans l’histoire industrielle mondiale avait fait à l’époque des dizaines de milliers de morts. « Les engrais ancrés dans les sols n’ont toujours pas été décontaminés. Aujourd’hui des enfants naissent encore avec des malformations. On a indemnisé les familles mais pas décontaminé le site. J’ai proposé à ce que des experts décontaminent et à ce que l’Europe aide au développement » Une demande toujours en négociation qui devra attendre la prochaine mandature.
Miracle sociologique
Et même si son professeur d’histoire la considère comme un « miracle sociologique » elle garde les pieds sur terre « mon profil n’est pas unique mais il y a trop d’exception. Quand on parle de diversité ça ne doit pas être des paillettes ou juste pour faire beau sur la photo. Je suis 9ème d’une famille de 13 enfants, issue de l’immigration et en plus de Tourcoing. Pour mon professeur c’est une anomalie qu’une fille comme moi se retrouve dans ces instances là. Mais ça n’est pas normal. Pas normal que ces instances soient aussi peu représentatives. » Mais peut-être aussi que les gens comme Karima dérangent, les gens qui viennent d’un milieu différent et qui s’offusquent plus facilement face aux abus du Parlement.
« Je gagne 6000 euros net par mois, ce qui me place parmi les français les mieux payés » avoue-t-elle « une de mes grandes découvertes au Parlement a été le per diem [ndrl : indemnité journalière]: au lieu de sanctionner l’absentéisme des élus, on encourage le présentéisme ainsi chaque journée de présence en commission, en plénière ou simplement dans son bureau est gratifiée de 300€ aussi avec ce système je gagne 2000€ supplémentaire par mois ». Prime qu’elle trouve scandaleuse « je prends soin d’utiliser cet argent pour aider des amis ou des associations »explique-t-elle. Autre grand choc de ses premières heures au parlement : le poids des lobbys.
Dans son livre elle raconte comment dès les premiers jours au Parlement des courriers sont envoyés aux élus pour leur proposer de remplir un questionnaire en échange de 200€. Un test selon elle pour ouvrir la boite de pandore. « Ils trouvent toujours un moyen de nous contacter et se débrouillent pour nous glisser des amendements pré-rédigés pour tel ou tel texte en discussion ». C’est pourquoi à Bruxelles elle créé « Madame Lobby » un placard remplis de toutes les merveilleuses attentions et cadeaux reçus pendant son mandat sous les yeux étonnés de ses collègues. « Si on ne fait pas attention, ce sont eux qui vont faire les lois demain » s’alarme-t-elle. « Ce n’est pas normal, il faut que la société civile et les journalistes surveillent ça de plus près, il faut des contre-pouvoirs ». Une femme politique qui appelle à des contre-pouvoirs, comme elle appelle à ce que la politique ne soit pas un métier à vie « pour beaucoup de personne elle peut devenir une rente ». Elle ne sait pas encore de quoi l’avenir sera fait, mais si elle est réélue elle compte en faire son dernier mandat, pour le reste, elle trouvera …
Widad Ketfi
http://www.bondyblog.fr/201405230001/karima-delli-leurodeputee-qui-ne-perd-pas-le-nord/#.U39D05R_uPc