Une salle de consommation à moindre risque à Paris ? Oui… mais pas seule !

L’engouement politique soudain relègue au second plan l’impératif de concertation et de multiplicité des centres

 

Ô surprise ! A gauche, des militantEs jusqu’au gouvernement, la mobilisation est désormais forte et unifiée. Depuis la fin de l’été, les éluEs progressistes de toute obédience se précipitent pour justifier la mise en place de salles de consommation à moindre risque (SCMR). Longtemps divisée sur le sujet, comme elle l’est toujours sur la légalisation du cannabis, la gauche française s’est miraculeusement réconciliée avec elle-même. Pas sûr qu’un soutien aussi unanime soit détaché de tout calcul politique.

Mais ne boudons pas notre plaisir. Sur le fond, ouvrir des salles de consommation à moindre risque relève de l’urgence et du simple bon sens. Plusieurs grandes villes européennes (Genève, Bilbao…) ont assuré l’expérimentation depuis plusieurs années : le rapport de l’Inserm de 2010 sur le sujet, comme le séminaire de l’association « Elus, Santé Publique et Territoires » à laquelle j’ai participé en 2010, montrent que ces salles réduisent les risques sanitaires associés à la consommation de drogues et qu’elles favorisent la réinsertion sociale. Le personnel soignant intervient rapidement et avec efficacité en cas d’overdose ; il permet d’affronter d’autres difficultés corporelles associées : abcès, furoncles, maladie de peaux, plaies diverses et variées…

Les usagerEs sortent de l’anonymat et des ruelles scabreuses pour retrouver davantage d’hygiène et de vie collective. Ils sont plus facilement mis en contact avec les travailleurs sociaux pour faire face aux problèmes parallèles de chômage ou d’hébergement. De leur côté, les riverainEs subissent moins l’exposition aux rixes ou aux seringues usagées qui jonchent le sol. Certes, la tragédie de la toxicomanie se poursuit, mais la contamination au Sida ou aux hépatites B et C est, elle, amenée à reculer.Quand tous ces enjeux apparaissent au grand jour, on comprend à quel point l’expression médiatique de « salles de shoot » est impropre et celles de « salles de consommation à moindre risque » ou de « centres d’injection supervisés » (formules certes moins imagées) beaucoup plus pertinentes.

L’enjeu est donc bien le pragmatisme –comment simplement protéger le mieux possible des populations exposées à certaines difficultés sociales ?- et non pas la bataille de principes, c’est-à-dire l’idéologie. Ce sont des motivations similaires qui ont toujours conduit les écologistes à proposer la légalisation du cannabis, ou à soutenir l’ouverture de marchés régulés pour les biffins en Ile-de-France. Si on ne peut pas, à court terme, mettre fin à des fléaux tels que la drogue, le chômage ou la misère, la responsabilité politique minimale est de les encadrer pour limiter leurs conséquences.

Les écologistes ont ainsi commencé dès 2004 à déposer des vœux en faveur des SCMR au Conseil de Paris. Sous les huées, ces propositions étaient rejetées, jugées irréalistes et irresponsables. Il a fallu attendre 2010 pour que le Conseil de Paris se positionne enfin en faveur d’une expérimentation. Onze ans après l’arrivée de Bertrand Delanoë à l’Hôtel de Ville.

Nous avons toujours prôné l’ouverture de salles dans les quartiers où la toxicomanie est déjà présente ; c’est notamment le cas dans les quartiers proches des gares de l’Est et du Nord, comme le soulignent désormais Rémi Féraud et Bertrand Delanoë.

Mais prenons garde : une expérimentation réussie ne va pas de soi. L’engouement soudain pour les centres d’injection fait passer au second plan la concertation locale. Elle est pourtant indispensable pour que les riverainEs comprennent qu’ils et elles y ont aussi intérêt : une consommation concentrée dans un lieu encadré vaut mieux que des piqûres éparses dans des lieux incertains.

Ayons aussi à l’esprit que le meilleur moyen de faire échouer cet essai, c’est de l’isoler. De même que le marché aux biffins novateur de la porte Montmartre (18e) souffre de son isolement en Ile-de-France (ce qui provoque des problèmes de surconcentration), une SCMR esseulée à Paris s’exposerait à des difficultés similaires, qui nuiraient notamment à la qualité de vie des riverainEs. Un ordre de grandeur permet de rendre tangible cette réalité : Genève compte 190 000 habitantEs, 460 000 si on inclue le canton alentour. 3000 personnes par an fréquentent son centre d’injection. A Paris, le bassin de population est de plus de 2 millions d’habitantEs, 6 millions si on intègre la petite couronne. Et l’on voudrait faire tenir toute la consommation métropolitaine de drogues dans un unique centre spécialisé…

On le comprend aisément, une seule salle dans la métropole subira probablement la congestion et l’échec, mais deux ou trois ouvertures simultanées rencontreront vraisemblablement un certain succès.

 

par Véronique Dubarry, conseillère de Paris élue dans le 10e arrondissement

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