La voiture objet de discorde à gauche
Lors du conseil municipal du 14 octobre, une délibération[[11/844 –
PLU – Demande de modification – Normes de stationnement pour les logements]] portée par Marc Santré a fait débat au sein même de la majorité. En jeu : le stationnement résidentiel. Jusqu’à aujourd’hui, à chaque nouveau logement social devait correspondre une place de stationnement. La ville demande une modification du Plan local d’urbanisme (PLU) à Lille Métropole pour assouplir les règles de stationnement résidentiel.
Cette demande résulte d’un travail conjoint entre 3 services et élus : urbanisme, logement et déplacements. Elle émane du constat que la construction de logements sociaux bute sur une norme plancher excessive. Cette modification ponctuelle anticipe la future révision du PLU attendue d’ici deux ans. Elle permettra aussi d’avoir un retour d’expérience qui sera utile au moment de la révision.
Revenir sur une norme de stationnement – même plancher – fait débat
Audrey Linkenheld, adjointe déléguée au logement, a expliqué combien il est frustrant d’exiger des bailleurs sociaux des places de stationnement qui ne seront pas occupées ensuite. Or la construction de stationnement a un coût et l’économie réalisée permettrait de mieux orienter les dépenses, et les subventions, en faveur du logement proprement dit.
Pourquoi cette délibération a-t-elle fait débat ?
De son côté, l’opposition invoque sa crainte d’un retour de la à chasse à la bagnole à (sic), tout en entendant les arguments de la délibération, c’est à dire :
* Stationnement résidentiel sous-utilisé
* Équilibre financier de la construction difficile à atteindre, frein à la création de logement
* Ville dense et développement des transports collectifs et modes doux
* Une moindre utilisation de l’automobile
L’opposition argue d’un risque de à double peine à : Moins de stationnement résidentiel engendrerait plus d’occupation de l’espace public, et de zone payante en retour : « on ne pourra plus se garer, et en plus on paye ». Entendant toutefois les arguments de la délibération, les élus d’opposition ont voté pour cette modification, en prenant acte de l’évaluation programmée avant la révision du PLU.
Plus étrange et regrettable est la position des élus communistes qui s’alarment d’une discrimination entre le résidentiel privé et social, entre les différents type de logements ensuite (foyers étudiants, de personnes Âgées etc.). Les élus communistes y voient une contrainte exercée sur les ménages plus pauvres. De plus, ils s’inquiètent de l’impossibilité pour les ménages – une fois que les temps seront meilleurs – de garer leurs futures voitures sur leur lieu de résidence. Voyant dans la nouvelle norme une atteinte au droit à la voiture, nos partenaires se sont abstenus lors du vote.
D’évidence, tous les élus de la majorité ne partagent pas la même vision ni de l’avenir, ni des politiques sociales. Audrey Linkenheld et Marc Santré ont donc réaffirmé en quoi cette modeste modification relevait bien d’une politique sociale.
Une logique sociale a inspiré la délibération
Le frein observé à la construction de logements sociaux a induit une réflexion sur ce qui le provoquait : le coût disproportionné des ouvrages de stationnement par rapport à l’usage qui en est fait. Ce travail s’est effectué à l’appui de données établies, issues des enquêtes ménages-déplacements de Lille Métropole et du travail concerté avec les bailleurs sociaux.
La ville mène une politique volontariste en matière de logements, visant à l’issue du mandat 12 000 habitations supplémentaires. L’objectif est de permettre à toutes les catégories sociales de rester en ville. Ceci à l’inverse d’une tendance qui voit s’éloigner toute une population des centres urbains, l’obligeant à recourir à la voiture. Comme l’indique Marc Santré, on cherche bien avec cette délibération à réduire la dépendance à la voiture, dont les coûts iront croissants.
1/ La distinction entre logements préexistait à cette modification
La modification propose simplement de faire évoluer la règle du PLU comme suit :
* D’une place de stationnement pour 1 logement social > on passe à 0,6
* De 1,2 place de stationnement pour 1 logement en secteur privé > on passe à 1
* D’une place de stationnement pour 2 lits en résidence étudiante et foyers (jeunes travailleurs, personnes Âgées, personnes handicapées) > on passe à 1 place pour 4 lits
Il s’agit de normes plancher. Tout constructeur peut décider d’aller au delà de cette norme (mais pas en deçà). Un débat reste ouvert sur la fixation de normes plancher ou plafond, l’une et l’autre ayant des avantages et des inconvénients.
2/ Une réalité des pratiques très parlante
Ces règles d’urbanisme se fondent sur la réalité des pratiques : à Lille, 40 % des ménages ne sont pas motorisés. Les propriétaires possèdent plus de voitures que les locataires qui sont seulement 50% à en détenir une. Et parmi les locataires, les occupants de logements de sociaux sont encore moins nombreux à posséder une voiture. Suite à un travail mené avec les bailleurs sociaux, on a observé que 40% des parkings de résidences HLM restent vacants.
Trois principaux motifs principaux à cela :
- L’accès à une place de stationnement a un coût (de 15 à 50€ par mois), que tous les ménages ne peuvent pas supporter (une fiscalité peut s’y ajouter s’il s’agit d’un box).
- Certains parkings sont réputés peu sûrs, d’où la préférence de stationner à l’extérieur.
- L’utilité de la voiture n’est pas avérée.
3/ Le stationnement résidentiel et sur l’espace public sont fortement liés
L’enquête ménages déplacements 2006 de Lille Métropole a mis en évidence une contradiction surprenante :
- L’usage de la voiture recule. C’est la première fois.
- Mais le parc résidentiel de voitures continue à augmenter.
- Et la part de ce parc garée sur l’espace privé à domicile diminue (en valeur relative et absolue) – alors même que la capacité de stationnement privé résidentiel augmente du fait du PLU.
Le basculement du stationnement dans l’espace privé vers l’espace public a déjà lieu ! Force de est de constater que les règles d’urbanisme ne règlent pas tout et qu’elles peuvent même avoir des effets pervers.
L’exemple le plus probant est celui de la maison individuelle : on impose la construction d’un garage pour toute construction nouvelle. Or, le garage est souvent tourné vers d’autres usages (jeu, buanderie, bricolage,débarras…) et le ménage privatise la part d’espace public dédié à l’accès au garage pour y stationner son véhicule.
Dans le logement collectif, lorsqu’on a utilement séparé dans l’offre de location le logement et la place de parking, on a répondu à une attente légitime : ne pas payer de stationnement si l’on n’a pas de voiture. En même temps, on a permis aux locataires d’aller occuper gratuitement l’espace public plutôt que de payer une place de parking au sein de la résidence.
Plutôt qu’à l’offre il faut s’intéresser à la demande
En matière d’urbanisme, on a longtemps insisté sur l’offre à destination (lieux de travail et de loisirs, etc.) et l’on a été très généreux. On constate récemment une tendance inverse qui met l’accent sur l’offre à l’origine (domicile), en considérant que les normes doivent au moins garantir une place à la voiture, à défaut de la faire circuler.
On conserve toutefois l’habitude de travailler sur l’offre. Dans le cadre de la future révision du PLU, il serait intéressant de s’interroger sur la demande. Quand on constate une diminution des déplacements automobiles, pourquoi faudrait-il augmenter l’offre de stationnement ?
Aujourd’hui, aussi incroyable que cela paraisse, seulement 20 % des voitures sont en circulation à l’heure de pointe ! Si Transpole avait 80% de ses bus stationnés en heure de pointe on se poserait légitiment la question de la bonne dépense.
On devrait en faire de même pour la voiture : A-t-on réellement besoin de toutes ces véhicules qui circulent en réalité si peu, surtout au regard de l’espace qu’elles occupent et des dépenses qu’elles engendrent, tant pour les ménages que pour les constructeurs ou les collectivités publiques.
Cette approche globale ne doit pas non plus faire oublier que les règles ne suffisent pas. Il faut émettre un signal fort dans l’espace public.
D’une manière générale, Marc Santré a répondu favorablement au principe d’un observatoire du stationnement. Les domaines de réflexion et d’actions sont divers :
- Parkings publics : on doit profiter d’une bonne connaissance de la fréquentation pour en optimiser la gestion.
- Parking privés : La connaissance reste encore floue sur l’occupation des parkings strictement privés. Toutes les villes sont confrontées à un manque d’information sur leurs usages. En revanche, la connaissance existe sur la vacance des parkings gérés par des structures connues (bailleurs, parkings en ouvrage publics, administrations…). La ville rassemble des données pour remettre sur le marché des places inutilisées. Le principe de mutualisation est aussi à l’étude, avec le but de remplir des parkings en journée comme la nuit.
- Zone de stationnement payant : une analyse annuelle est réalisée par la ville qui fournit des données utiles pour tenir compte des comportements lors des réaménagements. Accroitre la surveillance reste un levier important pour le respect de la zone payante et la rotation des véhicules.
- Aménagement de l’espace public : il n’existe pas de normes et de seuils à respecter en matière de stationnement dans l’espace public. En théorie, les marges de manœuvre sont très importante dès lors que l’on réaménage la voie publique, puisque l’on peut tout à fait décider de diminuer les places de stationnement. C’est un travail de dentelle qui est mené car les freins tiennent pour beaucoup aux habitudes.
Les marges de manœuvre sont diverses et variées. Ce qui nuit à la mise en place de solutions inventives, c’est la crainte – peut-être excessive – de déplaire à l’automobiliste. Pour peu qu’on le considère comme un citoyen, on arrivera à produire des politiques courageuses en matière de stationnement. Et le droit à la voiture individuelle ne sera plus qu’un vieux souvenir capitaliste.