Charente-Maritime : quelque chose de pourri dans le pertuis breton
Publié par luc bourrianne et Frederic Zabalza Sud-Ouest
Mortalité des moules, des saint-jacques et des pétoncles, échouages massifs d’algues vertes… Il y a anguille sous roche autour de la baie de l’Aiguillon.
On est encore loin des dix plaies d’Égypte mais, depuis le printemps, les phénomènes inquiétants se succèdent dans le pertuis breton. Après les mytiliculteurs de la baie de l’Aiguillon, les pêcheurs de saint-jacques (lire ci-dessous) déplorent à leur tour l’hécatombe du coquillage qui les fait vivre, sans qu’aucune explication scientifique ne permette d’en connaître l’origine.
À ces mortalités, il convient d’ajouter l’apport d’algues vertes, particulièrement massif cette année sur la côte nord de l’île de Ré. Hier, Léon Gendre, maire de La Flotte-en-Ré, est encore monté au créneau lors de la séance d’ouverture de la session d’automne du Conseil général (lire par ailleurs). Abordant ces diverses calamités qui frappent la baie de l’Aiguillon, le conseiller général a ciblé une nouvelle fois « la pratique céréalière intensive aux abords de la Sèvre niortaise et du Lay ».
La profession avait mal pris des accusations identiques du même élu, le 25 avril dernier. « Le président de la Chambre d’agriculture m’a rappelé dans un courrier du 16 mai qu’aucune analyse n’apportait la certitude quant aux origines des problèmes », a souligné hier le maire de La Flotte-en-Ré, avant de revenir à la charge : « Ce qui est certain, c’est que des analyses des eaux du pertuis Breton font état de la présence de sels nitriques issus des engrais azotés, ces sels provoquant la croissance rapide d’algues vertes. Ces dernières se sont échouées en masse sur les plages nord de l’île de Ré tout l’été et encore ce week-end. Sur la seule commune de La Flotte, nous avons dû faire retirer 850 tonnes d’algues vertes. Les eaux du pertuis breton sont-elles de bonne qualité ? J’en doute, Madame le préfet… »
Pesticides, bactérie…
Répondant aux déclarations de Léon Gendre, la préfète Béatrice Abollivier a évoqué une étude d’Ifremer imputant la mortalité des moules pour 80 % aux conditions météorologiques et pour 20 % à des facteurs bactériologiques.
« Certes, les conditions climatiques ont une part de responsabilité mais le premier problème réside dans la présence de ces bactéries », tranche le maire de La Flotte. Lionel Quillet, président de la Communauté de communes de l’île de Ré, se montrait plus réservé quant à la recherche des responsabilités. « On a tous besoin de comprendre le phénomène, qui a très certainement des origines diverses. Ce n’est pas forcément la faute de l’agriculteur d’en face. C’est plus compliqué que ça. » « Je ne comprends pas bien pourquoi les mytiliculteurs cassent des bateaux de plaisance, occupent le port des Minimes et ne se rendent jamais à la Chambre d’agriculture… », ironisait Léon Gendre.
Pour Pierre Le Gall, ancien océanographe et secrétaire général de Ré Nature Environnement, l’abondance inhabituelle des algues vertes ne fait aucun doute. « C’est lié aux effluents d’origine agricole, notamment les nitrates et les phosphates. C’est avéré partout, en Bretagne comme ailleurs. Le Centre d’étude et de valorisation des algues (CEVA, basé à Pleubian dans les Côtes-d’Armor) l’a démontré », remarque Pierre Le Gall, qui développe une autre hypothèse pour expliquer la mortalité des moules et des coquilles Saint-Jacques.
… ou particules fines
Pour lui, des charges de particules fines ont modifié le milieu de la baie de l’Aiguillon, et par conséquent diminué la nourriture des coquillages. « Au printemps 2013, après l’opération de déroctage au port de plaisance des Minimes, à La Rochelle, 500 000 mètres cubes de calcaire et de marne ont été rejetés dans la mer à la Repentie (non loin du pont de Ré), avant de remonter le long des côtes pour se déposer dans la baie. Un blanchiment du fond du pertuis a été constaté. Il faut aussi savoir que, dans le pertuis breton, l’eau se renouvelle lentement, du fait des courants qui tournent en boucle. En mai 2013, j’avais alerté les élus sur un risque de pollution particulaire et j’envisageais une mortalité des huîtres, des moules et des saint-jacques, qui sont les premiers indicateurs de la qualité des eaux. Ce qui arrive était parfaitement prévisible. »
En revanche, l’océanographe ne croit pas à la thèse des substances chimiques pour expliquer la mortalité des moules, encore moins à la bactérie évoquée par l’Ifremer au début de l’été. « Le vibrio splendidus, qui a été désigné, n’est pas un agent pathogène. C’est un opportuniste qui se développe sur les matières organiques, mortes ou vivantes. »
Aucun lien, donc, entre les phénomènes ? « Si, ils sont liés à la dégradation de la qualité des eaux. L’arrivée des pollutions ne fait qu’augmenter. Je crains que ces problèmes ne durent plus longtemps qu’on le croit… »