Discours d’Eva Joly à la Convention Agriculture EELV à Caen

Cher-e-s ami-e-s,

Au cours de mes nombreux déplacements sur ce vaste territoire qu’est la France, je n’ai de cesse d’observer la richesse des paysages, façonnés pour une bonne part par les agriculteurs et les agricultrices

Je crois que pour beaucoup de citoyens et de citoyennes qui comme moi savent apprécier la diversité de notre territoire, il est difficile d’imaginer les lourds enjeux qui se cachent derrière ce paisible spectacle.

Il est difficile de percevoir « par-dessus la haie », la mainmise des multinationales sur notre agriculture. Il est difficile de comprendre l’impact d’un productivisme effréné, de voir la pollution des rivières, la disparition des abeilles. Il est difficile d’entendre, dans un monde agricole qui parle si peu de lui, toute la difficulté d’être paysan aujourd’hui. Mais le monde agricole est en danger. En 10 ans, 200 000 emplois ont été rayés de la carte ! Et les revenus subissent les à-coups de la dérégulation des marchés. Les agriculteurs sont les victimes sociales de cette évolution, mais aussi les victimes sanitaires. Je ne cesse de repenser à ces paysans, malades des pesticides, que j’ai rencontrés lors d’un déplacement en Alsace. Quel amour de la terre quand on doit la travailler en tenue de cosmonaute pour espérer ne pas être contaminé ? Quel dilemme quand on doute de l’impact de ses produits sur la santé des consommateurs ?

Au-delà de l’agriculture, c’est tout le monde rural qui est en danger. Un monde qui vit un abandon terrible. Ces territoires voient partir les services publics, les médecins, les industries de proximité et pour finir les moyens de transports.

La mort lente des territoires ruraux est parfois masquée par ce que l’on nomme la rurbanisation. Je me réjouis que ceux qui veulent vivre dans un environnement plus naturel trouve un lieu de vie dans nos campagnes de France. Mais je me désole que ce soit souvent près de fermes vides de fermiers, ou de champs voués à la monoculture.

Les territoires ruraux et leur économie sont largement tributaires de la santé du monde agricole et lorsque des cortèges de tracteurs répandent à quelques kilomètres d’ici, au pied du Mont-Saint-Michel, des milliers de litres de lait, je me dis qu’il est temps de prendre la question agricole à bras-le-corps.

Je suis donc particulièrement heureuse d’aborder ce thème majeur aujourd’hui car je sais que je vais aborder des questions fondamentales ; que je vais vous parler de nos cours d’eau, de nos vallées, de notre alimentation, de notre santé, de la vie dans nos territoires ! Et aussi, à demi-mots, de tous ces accents qui habitent nos campagnes… et au-delà…

« Au-delà », car il ne saurait y avoir de politique agricole sans la prise en compte de ce vaste sujet à l’échelle planétaire.

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Si à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, il était nécessaire de restructurer l’agriculture pour atteindre l’autosuffisance et la souveraineté alimentaire, il fut bien imprudent de s’engager, sans discernement, dans les chimères du pétrole vert et de la révolution chimique.

Dans ce sillon ont poussé les adventices de la destruction des agricultures familiales vivrières du monde et la généralisation des pollutions chimiques dans l’ensemble de nos rivières… Je ne peux évoquer ce dernier fait sans revoir le premier candidat écologiste à une élection présidentielle brandir un verre d’eau, nous enjoignant à considérer à quel point cette ressource était précieuse !

En réalité, la voie empruntée par le développement agricole ces dernières décennies n’a pas été sans lourds dommages. Le productivisme a nourri les appétits d’un commerce international toujours plus débridé.

Pour autant, je n’aurais pas l’hypocrisie de dire que cette politique agricole n’a pas permis, dans notre pays, de permettre l’accessibilité à une alimentation très diversifiée.

Mais sans doute au point de faire oublier toute la valeur des produits agricoles et favoriser le gaspillage alimentaire.

Mais sans doute au prix de la fragilisation de notre environnement, et certainement aussi en désertifiant nos campagnes, tout en enchaînant les paysans à leurs fournisseurs d’énergie, d’intrants et de semences !

L’intégration de l’agriculture dans les négociations de l’OMC a renforcé l’expansion de monstres agro-industriels transnationaux qui dévorent l’économie agricole et les paysans, comme l’économie financière se repaît de l’économie réelle et du travail.

Ces monstres qui vampirisent les peuples, l’agriculture et les subventions publiques sont Monsanto, Cargill, Syngenta ou Dupont de Nemours. Ils ne se sont jamais aussi bien portés qu’aujourd’hui, à l’heure où le peuple, dans sa grande majorité, se serre la ceinture !

Oui, le projet que je porte veut mettre fin à cette logique dévastatrice. Seule une autre agriculture, respectueuse des peuples, de l’environnement et répartie sur les cinq continents, peut nourrir le monde.

Pour cela, il est nécessaire de faire reconnaître au niveau international le droit inaliénable des peuples à la souveraineté alimentaire.

Nous ne voulons plus, chez Europe Écologie Les Verts, voir les ailes de poulets congelés du groupe Doux inonder les marchés de Bamako. Nous ne voulons plus que les cultures pour l’huile de palme mangent la forêt indonésienne. Nous ne voulons plus que les champs de soja transgénique de Monsanto volent les terres des paysans brésiliens.

La production des biens agricoles doit être organisée à l’échelle continentale, là où des règles sociales communes et cohérentes régissent les droits des travailleurs de la terre !

La concurrence libre et non faussée n’aurait de sens que si l’on utilisait les mêmes règles du jeu social, économique et environnemental.

Les agricultures paysannes familiales et vivrières doivent prospérer et l’Europe doit le permettre.

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Venons-en à la politique agricole européenne. La droite conservatrice ne réformera jamais la PAC car sur les bancs de l’Assemblée nationale, au Ministère de l’Agriculture et dans les couloirs de la Commission européenne, nos représentants pour l’agriculture sont presque tous les serviteurs zélés du syndicalisme agricole majoritaire. Pour être encore plus claire, leur véritable président, c’est celui qui conduit à la fois le principal syndicat agricole, et Sofiprotéol, entreprise promotrice des agrocarburants. Ces mêmes agrocarburants qui prennent la place de cultures alimentaires aggravant les pénuries et la spéculation !

Le dogme du libre-échange allié au culte de la technoscience, ça commence à bien faire ! Ce que je propose est bien différent, parce le monde change, parce qu’il faut répondre aux enjeux climatiques et transmettre aux générations futures un environnement sain et une agriculture porteuse d’avenir pour les paysans et les territoires.

La nouvelle politique agricole européenne devra favoriser l’emploi, les pratiques agro-écologiques et la souveraineté alimentaire de l’Europe.

Elle devra pénaliser les importations extra-européennes de protéines végétales, interdire la culture et l’utilisation d’OGM pour l’élevage. Elle devra cesser tout soutien à la production d’agrocarburants.

Aujourd’hui, pour une bonne part, ce n’est plus l’activité de production qui génère le revenu des agriculteurs, ce sont les subventions européennes. Où est la viabilité de ce système, où est son efficacité économique ?

Des mécanismes de régulation doivent être instaurés afin de garantir un prix rémunérateur aux paysans. Les subventions ne doivent intervenir que pour soutenir les efforts des producteurs, optimiser l’agronomie, et mettre en œuvre l’agriculture biologique, contre les solutions agrochimiques et consommatrices de carburants.

En ce sens, il est normal que la société soutienne ces paysans mais il est anormal qu’elle les assiste pour finalement irriguer les actionnaires des multinationales !

Le monde paysan doit passer un nouveau pacte avec la société, c’est ce pacte qu’incarne ma candidature et nulle autre ne le porte avec autant de conviction.

La nouvelle PAC de 2013 n’ira en ce sens que si vous nous donnez la force d’intervention nécessaire pour que l’écologie politique influe véritablement sur la nouvelle majorité élue en 2012 ; et cela commence par le soutien à ma candidature.

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Le rendez-vous pour une autre politique agricole européenne devra être une réussite, mais l’impact de celle-ci ne sera véritablement important que si la France utilise toutes les marges de manœuvres à sa disposition et promulgue une Loi d’Orientation Agricole ambitieuse.

Mais avant de préciser quelques éléments indispensables de cette LOA, je voudrais exprimer une urgence nationale : un moratoire sur le maïs OGM Monsanto 810 doit être en vigueur avant la fin de ce mois ! La protection des cultures de maïs conventionnel ou bio ainsi que l’apiculture en dépendent. Sans ce moratoire, notre environnement risque d’être modifié de manière irréversible.

Il faudra d’ailleurs légiférer sur le thème de la coexistence entre cultures non-OGM et OGM. Et vous pouvez me faire confiance, tous les droits de ceux qui entendent produire sans OGM seront scrupuleusement défendus… comme les autres droits des paysans.

J’étais cet après-midi dans le nord du Pays d’Auge où des agriculteurs et des agricultrices luttent depuis des années pour conserver leurs terres contre le projet d’un promoteur, qui veut installer un complexe hôtelier. Avec un golf !

L’organisme détenant le monopole de la gestion du foncier agricole, la SAFER, agréée et contrôlée par l’État, dirigée par le syndicat agricole majoritaire, favorise l’attribution de terres à ce promoteur au mépris de toutes ses missions d’intérêt général.

Cet organisme a été condamné deux fois extrêmement lourdement devant les tribunaux sans que l’administration agricole, le préfet ou le Ministère de l’Agriculture n’intervienne pour le rappeler à l’ordre.

Cette situation, cette dérive foncière intolérable doit prendre fin et les terres agricoles doivent être protégées car il n’y aura pas d’agriculture durable sans briser le lobby foncier.

Ici comme dans d’autres régions, les projets d’installation répondant aux enjeux de sociétés sont retoqués au profit de l’agrandissement des structures à l’optique industrielle.

Il est alors particulièrement difficile de mener une vraie politique de développement territorial agricole en faveur de l’emploi, de l’environnement, des productions de qualité et des circuits courts de commercialisation. Une ferme sur cinq a disparu ces dix dernières années : nous pouvons arrêter cette tendance. Dans mon Pacte pour l’emploi, ce sont des dizaines de milliers d’emplois que je souhaite créer dans ce secteur.

Le gouvernement de droite et le syndicalisme majoritaire ont confisqué les terres agricoles au bénéfice de leurs intérêts et au détriment des territoires ! La majorité des élus locaux subissent cette situation. Je vous le dis, cette situation doit changer. Je mettrai un point d’honneur à faire inscrire dans la future Loi d’Orientation Agricole, une réforme foncière qui mettra fin à ce monopole. Il faut ouvrir les SAFER : les collectivités locales disposeront d’une minorité de blocage pour que l’installation et le renouvellement des agriculteurs priment réellement.

Un coup d’arrêt doit être donné à l’agrandissement et à l’hyper-industrialisation. La concentration et le développement de méga-élevages porcins, encore encouragés dernièrement par l’assouplissement des règles d’épandage, ont provoqué l’asphyxie de certains territoires. Le processus pervers de production des algues vertes doit être stoppé à la source sous peine de collapse environnemental.

La Loi d’Orientation que je défends mettra un terme à ces graves dérives et engagera le rééquilibrage des territoires. Elle soutiendra les pratiques agro-écologiques et le développement de l’agriculture biologique, de la production à la consommation. Sur le modèle de la loi de solidarité urbaine, la loi SRU, je veux inciter les collectivités et l’ensemble des acteurs locaux à atteindre, sur leur territoire, 20 % de surface agricole utile en bio d’ici la fin du nouveau mandat.

Mais il faut également lutter contre l’artificialisation des territoires et l’étalement urbain, qui rognent sur la biodiversité et les terres agricoles ; à l’image de ce projet immobilier dont je vous parlais et contre lequel les agriculteurs que j’ai rencontrés aujourd’hui se battent. En France, l’équivalent d’un département est artificialisé tous les sept ans. J’ai un objectif : zéro artificialisation nette en 2025.

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Pour soutenir l’intégration locale des produits issus de l’agriculture biologique, nous pouvons compter sur la restauration collective : 100 % de bio dans les cantines, voilà un objectif que je souhaite atteindre pour que nos enfants puissent accéder à cette alimentation saine. 100 % de bio dans les crèches et les maternelles d’ici la fin du quinquennat, voilà mon engagement.

Les Françaises et les Français exigent une alimentation saine et accessible. Ils ne veulent pas se demander chaque jour quelle quantité de pesticides ils ont ingérée. Des molécules de plus en plus complexes se diffusent dans notre environnement et nos organismes. Je ne reviendrai pas sur cette pomme qu’achète le consommateur et qui aura subi jusqu’à vingt-sept traitements chimiques avant d’arriver sur l’étalage ; ou sur nos 80 % de cours d’eau contaminés.

Le lien entre la multiplication des cancers et des maladies neuro-dégénératives est suffisamment démontré pour que des mesures drastiques de prévention soient appliquées pour garantir la santé publique.

Au lieu de prendre ces mesures, lors du Grenelle de l’Environnement, Nicolas Sarkozy et son gouvernement se sont laissés imposer l’objectif de la réduction de moitié de l’usage des pesticides d’ici 2018… si possible !

Si possible ! Est-ce là une politique responsable et courageuse ? Où en sommes-nous de cet objectif en 2012 ? Nulle part ! Et bien moi j’affirme que c’est possible, que c’est indispensable et qu’il ne peut s’agir que d’une étape. L’horizon que l’on doit se fixer c’est la sortie des pesticides. J’ai confiance dans nos agriculteurs pour accomplir cela en une génération. Voilà un défi d’avenir pour la nouvelle génération d’agriculteurs.

La transition écologique doit aussi se voir et se vivre dans nos assiettes, et pas seulement contre les produits phytosanitaires. Je veux une alimentation libérée de la mainmise des multinationales, protégée par des normes sanitaires exigeantes. Il faut interdire les publicités pour les produits sucrés et salés à destination des enfants, revoir les normes sur les quantité de sel dans les produits transformés, proscrire l’huile de palme.

C’est la meilleure des garanties pour une alimentation plus saine de nos concitoyens. C’est la garantie de la diminution d’un certain nombre de pathologies invalidantes pour chacun et coûteuses pour l’ensemble de la société.

L’alimentation doit être saine, elle doit aussi être accessible. J’entends ceux qui considèrent que pour manger bien, il faut être bobo, il faut être riche. Nous pouvons déjà manger mieux, pour le même prix et peut-être même moins : en mangeant bio, avec moins de viande, de sucre, de sel, de graisses.

Enfin, vous l’avez tous noté, les prix alimentaires augmentent avec le coût des matières premières, à commencer par les céréales. Mais, et vous l’avez aussi certainement remarqué, l’inverse est rarement vrai. Si les hausses sont toujours répercutées, c’est bien moins évident pour les baisses. Je veux que les prix des produits alimentaires peu transformés soient indexés sur ceux des matières premières. Je dis non aux oligopoles privés qui profitent de la hausse du prix des matières premières pour augmenter leurs marges.

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Je voudrais finir en allant au-delà de l’agriculture, en vous parlant du monde rural. Je vous annonce le grand retour de la puissance publique et de l’intérêt général dans nos campagnes. Je propose le retour d’un maillage efficace du service public. Chaque territoire doit avoir accès à chaque service dans des conditions satisfaisantes. Il peut y avoir des guichets uniques, le développement des nouvelles technologies… mais personne ne doit être privé de la possibilité de se former ou de se soigner. Comme je l’ai développé dans mon projet de transition énergétique, cela veut dire aussi que pas un village ne doit se trouver à moins de dix minutes d’un service public de transport qui lui permette non seulement de se désenclaver et de diminuer son empreinte carbone, mais aussi de diminuer le coût du transport : bus, taxis collectifs, covoiturages, transports à la demande… Les subventions à la route et au transport aérien iront désormais vers ces alternatives.

Cher-e-s ami-e-s,

La véritable politique agricole du XXIe siècle doit tourner la page du productivisme, de la chimie et de la désertification des campagnes.

Elle devra rétablir les paysans dans le rôle qui est le leur : produire une alimentation saine, préserver et aménager l’environnement et faire vivre les campagnes.

Nous connaissons les maux et les freins contre le développement d’une autre agriculture, celle que la société attend de ses vœux.

Avec Europe Écologie Les Verts, je compte bien travailler sans relâche à soumettre les lobbys et les conservatismes à l’œuvre pour permettre à l’agriculture qui répond aux enjeux sociaux, économiques et environnementaux de notre ère de s’imposer.

Alors en 2012, votons aussi pour un autre projet agricole et alimentaire, pour insuffler un souffle nouveau à la ruralité. Votons utile pour l’emploi et la planète. Votons juste !

Je vous remercie.

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