A Niort… par Florence Aubenas

Extrait de l’article de Florence Aubenas dans Le Monde du 21 mars 2015

« A Niort, dans le canton numéro 1 des Deux-Sèvres, Rose-Marie Nieto, 49 ans, et Romain Dupeyrou, 32 ans, tiennent une réunion électorale dans un centre social. « Vous voulez que je vous aide à mettre des chaises ? », demande le premier arrivé. « Pas la peine, il n’y aura personne », promet M. Dupeyrou.

Son pronostic se révèle optimiste : sept participants finissent par prendre place. L’un d’eux, un professeur portant catogan, demande : « Vous êtes de droite ? »

Dans le canton, tout le monde désigne la liste en ces termes, sans autre manière, et quelques signaux clignotent d’ailleurs en ce sens, comme ce cadre de l’UMP, qui observe la réunion, assis sur une table près de la fenêtre. Ou le soutien de Jérôme Baloge, « gaulliste social », qui vient de piquer la mairie de Niort aux socialistes.

Mais aucune mention explicite ne figure non plus sur la liste Nieto-Dupeyrou, et tous deux s’effarouchent comme face à une insulte. Lui : « Moi, je serai plutôt MoDem. » Elle : « Moi plutôt centre gauche. » Assez vite, Romain Dupeyrou explique que « la priorité, c’est le maintien du social, comme la majorité socialiste sortante : on a d’ailleurs rien contre leur bilan. Mais les médias s’en foutent. Ils ne nous reprennent pas quand on dit ça. Alors, on a choisi de faire campagne sur ce qui nous différencie : la voie de contournement au nord ». Quand surgit la promesse de « freiner les impôts », un fonctionnaire dans la salle demande à combien s’élève « le point de fiscalité modulable ». Pas de réponse.

DÉMOCRATIE EN ROUE-LIBRE
Face aux candidats, les sept participants se mettent à parler Bourse, paradis fiscaux, traités internationaux « pour essayer de comprendre où vous vous inscrivez dans l’histoire, le pays », dit une enseignante. Rose-Marie Nieto les sermonne : « On n’a aucun pouvoir là-dessus au département : ce sont les grands partis et les élites qui décident. Révisez vos basiques avant d’interrompre une réunion électorale. » Puis, à la manière d’un commercial qui proposerait une offre d’abonnement de portable, Dupeyrou continue : « Nous, on travaille sur un projet. Lisez-le, puis vous faites votre choix. »

Sous les lumières trop blanches, dans la salle trop grande, la scène paraît soudain absurde, une démocratie en roue libre, un grand-sauve-qui-peut électoral. Et le fonctionnaire au catogan s’excuserait presque d’être là : « On n’a rien contre vous personnellement. Je vous assure, on ne se connaît même pas entre nous. »

Romain Dupeyrou regarde sa montre. « Je vais rentrer ; j’ai une famille, moi. » Brusquement revigoré, il sourit. »

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