Discours d’Eva Joly à l’Agora
Je suis heureuse d’être parmi vous alors que vous êtes en train de décider du projet qui servira de boussole pour notre mouvement pour les prochaines échéances. Je présenterai mon Contrat écologiste pour la République en février 2012 et il est évident que la matrice de ce contrat est déjà présente pour l’essentiel dans le projet auquel les coopérateurs comme les adhérents d’EELV ont collaboré. La précampagne est terminée. Nous allons maintenant rentrer en campagne.
Mais avant de parler de notre projet je voulais revenir sur ces dernières semaines. J’ai entendu des voix ces derniers temps qui disaient : « Eva, ce n’est pas une politique professionnelle, Eva vient de la société civile ». Oui c’est vrai. Je ne suis pas une professionnelle de la politique. Et j’en suis fière.
J’ai entendu des voix qui disaient : « Eva ne tiendra pas ». Vous avez vu ce que j’ai dû subir durant les deux derniers mois. Je sais que cela va continuer. J’y suis prête. Ma détermination est sans faille. Face aux attaques sur ma personne, sur mon histoire, sur mon accent, je ne cèderai rien, je ne lâcherai rien. Je sais que vous non plus.
Et à ceux qui ont spéculé il y a quelques semaines sur ma détermination à aller au bout, je leur dis, tranquillement : ne spéculez plus car vous allez perdre !
Revenons maintenant à l’essentiel, à notre projet. Nous avons déjà obtenu une victoire dans cette campagne, celle de mettre au cœur du débat public la question de la sortie du nucléaire. Nous allons bien entendu continuer et montrer que la transition énergétique est le levier de la nouvelle société que nous proposons aux Français. Ce débat citoyen qu’il faut conduire et trancher démocratiquement, en toute transparence, je vous le promets, nous allons le continuer et le gagner.
Et l’urgence ecologique n’est pas seulement de prendre la décision de sortir du nucléaire. C’est aussi d’empecher le déréglement total de notre climat. Le somet de Rio+20 sera le premier rendez-vous du futur Président de la République, je veux dire le premier rendez-vous de LA future Présidente de la République ! En mai prochain la délégation de la nouvelle majorité présidentielle montrera la voie au monde réuni au Sommet de la Terre Rio+20 en proposant des solutions pour stopper la crise écologique, la destruction de la biodiversité, diminuer de 40 % les émissions de CO2 d’ici 2020 pour éviter de dépasser les 2 degrés d’augmentation de la température, qui produisent déjà de graves dommages mais au delà desquels la situation risque de devenir incontrôlable.
Cher-e-s ami-e-s ,
L’année 2011 se termine comme elle avait commencé. Elle accouche d’une situation où l’indignation et la colère des peuples résonnent face à une crise globale sans précédent qui mine jour après jour des populations qui n’en peuvent plus de subir la crise, des populations qui se sentent délaissées, abandonnées, livrées pieds et poings liés à la folie de l’emballement des marchés. L’Europe et la France se replient sur une forme de fatalisme où la facilité et la démagogie l’emportent sur le devoir d’indignation et de propositions. On ne peut plus continuer comme ça. Le projet de civilisation que propose l’écologie politique marque une différence avec tous les autres. Il refuse le court-termisme et la soumission à la religion de la croissance. Il a pour seule règle d’or de ne laisser personne au bord du chemin. Je le dis solennellement, ma seule régle d’or sera de ne laisser personne au bord du chemin.
Ma règle d’or c’est l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1848 qui dit : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services médicaux nécessaires. Elle a le droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté ». Et bien la gravité de la situation actuelle nous contraint d’appliquer cette règle d’or. C’est ce que je vous propose aujourd’hui à travers les quatre orientations que je vais développer avec vous durant les quatre prochains mois.
Premièrement, un plan d’urgence social-écologiste pour répondre à la récession.
Nous refusons de rentrer dans les logiques mortifères : celle de l’austérité, celle du déni de la réalité. Notre contrat présidentiel proposera de garantir le pouvoir d’achat, l’emploi et la défense des droits sociaux en agissant sur plusieurs leviers.
– Dépenser moins pour vivre mieux. Ce qui grève la consommation des ménages, ce sont les dépenses contraintes, imposées, obligatoires : le loyer, le chauffage, l’alimentation, le transport. Ces postes correspondent chacun à une vision dépassée de l’organisation de la société, où des lobbies puissants veillent à ne pas remettre en cause leurs privilèges. Je propose d’inverser la tendance. C’est aux consommateurs, aux citoyens de définir les règles du jeu dans ces secteurs ; pas aux propriétaires, aux industriels de l’automobile ou aux compagnies agro-alimentaires, ni aux groupes de l’énergie. Nous pouvons gagner l’équivalent d’un treizième mois si nous imposons de nouvelles règles du jeu.
– Par exemple, sur le blocage des loyers. On me dira : « vous n’y pensez pas ! ». Mais sachez-le, c’est possible. Il y a même un pays où ça fonctionne. Un petit pays exotique… qui s’appelle l’Allemagne. En Allemagne quand un propriétaire loue son appartement il ne peut pas choisir librement le loyer. Il doit se caler sur le loyer de référence du quartier. Ainsi il ne peut pas y avoir de flambée des prix. Puisque cela fonctionne en Allemagne pourquoi cela ne pourrait-il pas fonctionner en France ?
– Créer un million d’emplois dans les énergies renouvelables, les économies d’énergie, les services, l’économie solidaire et les PME, notamment dans les domaines de l’innovation verte. Je présenterai au mois de janvier des élements chiffrés et précis pour montrer comment nous réaliserons cet engagement. La France est malade du chômage. La seule solution qui n’a pas encore été essayée est de développer l’économie verte. Partout où nos voisins ont commencé à le faire, ça marche. Mais pas en France à cause de l’aveuglement de la droite, et vous le savez aussi bien que moi, d’une partie de la gauche. Pendant toute cette campagne je le montrerai dans les territoires, je le démontrerai : l’économie verte c’est LE chemin pour sortir intelligemment et efficacement de la crise.
Il n’y aura pas de plan d’urgence viable si nous ne nous attaquons pas immédiatement à la toute puissance des firmes transnationales et des marchés financiers, car leur soif de profit et leur mépris mettent la planète et l’humanité en péril. La nécessité de lutter contre la spéculation financière et de contrer la machine mortifère du capitalisme financier est maintenant reconnue par tous. Mais qui le fait vraiment ? Vous le savez, lorsque j’étais en Islande… je vais le dire, peut être immodestement, mais moi je sais vraiment comment ça marche. Je sais comment lutter contre les paradis fiscaux, je sais comment réglementer autrement les banques et toutes les pratiques toxiques des marchés financiers. Et cela ne vous a pas échappé : je sais résister aux lobbies, les lobbies du nucléaire comme ceux de la finance. Avec moi je peux vous le garantir les spéculateurs ne gagneront pas.
Deuxièmement, nous voulons un pacte de fraternité pour en finir avec le mépris social.
La crise stigmatise, la crise divise, la crise crée un apartheid invisible. Le mépris social s’installe. Tous les jours une catégorie de la population est montrée du doigt : un jour ce sont les fraudeurs sociaux, un jour les Roms, un jour les SDF, un autre les vendeurs à la sauvette, un jour les jeunes des quartiers, le lendemain ceux qui ne parlent pas bien français. Assez de ce climat pourri contre les pauvres, contre ceux qui sont différents !
J’ai choisi de me présenter à l’élection présidentielle parce que je crois que nous ne pourrons résoudre les problèmes de notre temps que si nous les résolvons ensemble, que si nous comprenons que nous avons tous une histoire différente mais que nous partageons de mêmes espoirs, que nous sommes tous différents et que nous ne venons pas du même endroit mais que nous voulons aller dans la même direction, vers un avenir meilleur pour nos enfants et petits-enfants. Je le dis aux Français : nous gagnerons ensemble, ou nous perdrons ensemble. Mais ne nous ne gagnerons pas les uns contre les autres. Car nous avons un choix à faire pour ce pays. Soit nous acceptons une politique qui engendre les divisions ethniques, les conflits et le cynisme et donne les plus faibles en pâture pour les journaux télévisés du soir en exploitant le moindre fait divers pour le transformer en loi d’affichage jamais appliquée. Soit nous nous faisons le choix d’une France cosmopolite, où on n’abaisse pas l’autre parce qu’il a un accent, où on ne regarde ni le prénom ni la couleur de peau pour attribuer un logement, où on ne regarde pas l’adresse mais la compétence pour embaucher. Nous voulons que les millions de personnes qui vivent dans les cités de banlieues, dans les quartiers populaires – quelles que soient leurs origines et leurs croyances – ne soient plus considérées comme des sous-citoyens dans ce pays qui est le leur. Ils ont droit à la justice, à l’égalité et à la dignité. Il n’est pas acceptable que l’accès aux droits fondamentaux, à la santé, à l’éducation, à l’emploi, au logement leur soit restreint, et que la seule réponse aux problèmes qu’ils rencontrent soit celle de la répression policière et sécuritaire qui aboutit souvent, en toute impunité, à des violences, voire des morts. Nous réaffirmons que tout être humain, parce que c’est un être humain, doit être reconnu dans son humanité. Nous refusons que l’on continue de priver un être humain de sa dignité en le privant de papiers. Hortefeux, Besson et Guéant n’ont eu de cesse de caresser le FN dans le sens du poil avec leur mot d’ordre bien de chez nous : expulsons français. Je leur réponds : la xénophobie d’Etat made in France, ça suffit comme ça !
Troisièmement, nous voulons la République des biens communs.
La transformation écologique, démocratique et sociale exige d’en finir avec le régime de la Ve République. C’est la démocratie toute entière qui doit être vivifiée. Nous voulons une nouvelle République laïque, ouverte sur la société telle qu’elle est, ouverte sur le monde, une démocratie politique, sociale et citoyenne qui élargisse le socle des droits fondamentaux, à commencer par les droits politiques comme nous l’avons vu la semaine dernière avec le scrutin historique du Sénat sur le droit de vote aux étrangers non communautaires. Ce n’est pas un hasard, si onze ans après Noël Mamère, ce soit une sénatrice écologiste avec un un accent, Esther Benbassa, qui a été la rapporteuse de cette proposition de loi.
Nous devons en finir avec la corruption et l’indignité d’une partie de la classe politique, de droite comme de gauche. La corruption n’est pas un simple passe-droit. Elle contamine l’esprit même de la démocratie. Elle affaiblit ses défenses immunitaires. Elle décourage les citoyens. La société politique française s’autopersuade que le monde n’a pas changé, mais faute d’avoir pensé l’argent, l’argent s’est mis à penser à notre place, et la corruption s’est développée comme une gangrène. L’étonnement suscité par la condamnation, somme toute normale, de Jacques Chirac montre que l’impunité est devenu la norme et la sanction contre les corrompus l’exception. Sa démission du Conseil constitutionnel devrait être immédiate. Comment quelqu’un qui a été condamné peut-il prétendre à être membre à vie de cette clef de voute de nos institutions ?
De l’affaire Takieddine à celle de Karachi, de Marseille à Liévin et Hénin-Beaumont, nous observons les mêmes processus délétères. Cela commence par le cumul dans le temps et dans l’espace des fonctions, la déconnexion des élus avec la réalité sociale, les petits arrangements entre amis, les passe-droits. Cela continue avec les voyages payés, les cadeaux acceptés, les prêts à taux zéro, les avances qui se transforment en dons. Deux mondes se créent : celui de ceux qui, dans cette république du copinage et des réseaux, se sentent au-dessus des règles, et celui de la majorité des citoyens qui reconnaît la légitimité des contraintes sociales. Rendre la justice c’est rendre la primauté à ce monde-là. Car l’impunité détruit la confiance dans le contrat social. Je le dis ici avec solennité. Le quinquennat de Nicolas Sarkozy a poussé à bout la logique autoritaire et monarchique de la Vème République. Avec ses pratiques claniques, sa volonté d’étouffer systématiquement les affaires, ses méthodes barbouzardes comme dans l’affaire des fadettes, ses pressions contre les juges et les journalistes, son instrumentalisation de la police, sa connivence avec les grands patrons, le sarkozysme a une seule ligne : celle de la stratégie de la tension, celle de la division des Français. Cette stratégie va redoubler d’intensité à l’occasion de cette campagne qui risque d’être une des plus sales que l’on ait connu. Raison de plus pour faire du départ de Nicolas Sarkozy un impératif national.
Quatrièmement nous entendons que la France propose la refondation de la construction européenne sur des bases démocratiques, écologiques et sociales.
La dernière forme du repli national c’est le retour à la vieille lune du « consommons et produisons français ». Autant les écologistes sont pour une relocalisation des activités, une production et une consommation de proximité et de qualité, autant ils se refusent à une vision hexagonale et chauvine du monde. Oui, il faut une réindustrialisation par le bas, par les PME innovantes et écologiques. Mais qui peut croire sérieusement qu’elle se fera contre ou dans le dos de l’Europe ? L’avenir de la France, de son industrie, de ses consommateurs passe par l’Europe. Ma préférence n’est pas une préférence nationale, mais une préférence sociale et environnementale. Contre les délocalisations à l’intérieur de l’Europe, il n’y a qu’une seule réponse cohérente, celle de l’harmonisation fiscale et, à terme, sociale.
Les écologistes ne se résignent pas à la mort annoncée et programmée de l’Europe. L’année 2012 ne sera pas un mauvais remake de 2005 et du débat sur le traité constitutionnel. La vraie question aujourd’hui c’est le choix entre la sortie de l’euro et le saut fédéral de l’Europe. Le changement de traité ne permettra pas de résoudre la crise car il ne repose que sur le pilier de l’austérité, donc de toute façon il faudra le modifier pour en faire quelque chose qui permette vraiment de sauver l’euro. Mais il faut aussi agir tout de suite car la crise n’attend pas.
Nous devons montrer qu’il est possible sans attendre les élections de proposer une sortie de crise par le haut. Avec Dany je prendrai rapidement une initiative importante pour proposer un autre chemin que celui offert par Merkel et Sarkozy dans le cadre des traités actuels. Nous ne pouvons nous permettre de continuer le luxe de nous complaire dans le spectacle de l’autodestruction de l’Europe. Il faut maintenant que les forces progressistes de l’Europe s’unissent pour, au-delà des enjeux politiciens, sauver l’Europe de la récession et de l’éclatement programmé.
Cher-e-s ami-e-s,
Dans cinq mois, chacun des citoyens français, femmes et hommes, va choisir et décider.
Ces quatre mois sont très importants pour notre pays. Ces femmes et ces hommes, je vais aller les voir, les rencontrer, leur parler à la télévision et à la radio, sur Internet, dans la presse écrite, pour leur dire simplement ceci : changeons ! Un autre chemin est possible pour la France. Un chemin nouveau qui n’est ni celui de l’irresponsabilité et du nationalisme, ni celui de l’impuissance ou de la soumission aux marchés financiers. Je veux vous transmettre ici mon désir et ma volonté d’agir pour adopter la vision ambitieuse et partagée d’une France qui réussit, d’une Europe qui ne soit pas vassalisée, d’un monde débarrassé des paradis fiscaux et des dictatures comme en Syrie ou au Yemen, d’un monde de paix et de justice.
Mais nous ne gagnerons pas sur l’antisarkosysme. Nous voulons tous que Sarkozy et son clan du Fouquet’s s’en aillent. Mais ce n’est pas pour que cinq ans plus tard la droite revienne sur les cendres des échecs de la gauche. C’est pour cela qu’il faut un changement qui ne soit pas simplement une alternance mais une véritable alternative. C’est pour cela que j’appelle les Françaises et les Français à voter juste au premier tour de la présidentielle.
Un vote juste qui se prononce clairement pour un projet de société et non pas pour un rafistolage du système.
Un vote juste qui en finisse avec le nucléaire et les désordres climatiques, un vote juste pour que chacun mange à sa faim, pour que chacun ait un toit, pour que chacun ait droit au bien-être, au bien-vivre, à l’égalité, à la qualité de la vie.
Ce vote juste qui refuse la défaite de l’humain, qui refuse le déclin écologique, économique et social, qui place la solidarité au centre de notre maison commune, vous devez en être les messagers.
Il n’y a que deux façons de faire avec la vie : on la rêve ou on l’accomplit. Le vote juste pour les Français, pour la France, pour l’écologie le 22 avril ce sera le rêve qui s’accomplira. Nous le voulons, nous le pouvons. Je vous remercie.