Un accord qui oublie l’égalité hommes-femmes
Des représentant-e-s de la Fondation Copernic, d’Attac, d’Oser le féminisme! et du Collectif national Droits des femmes répondent à la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, qui salue dans Libération la conclusion de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 et les dispositions relatives au travail à temps partiel qu’il contient.
La ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, se félicite dans Libération du 23 janvier 2013 de l’« avancée décisive » que constituerait, sur la question du temps partiel, l’accord social du 11 janvier signé entre le patronat et des syndicats représentant une minorité de salarié-e-s. Avant de commenter ce point, une remarque préalable s’impose. Un accord est un tout et il est pour le moins curieux de se féliciter d’un point particulier sans se prononcer sur l’équilibre général du texte. Or, les « nouveaux droits pour les salariés » qui y sont contenus ont pour caractéristique d’être de portée limitée, comportent nombre de dérogations qui en bornent sévèrement l’application et de nombreuses dispositions qui en permettent le contournement. Par contre, les mesures en faveur des entreprises amoindrissent considérablement les droits des salarié-e-s et représentent une régression sociale de grande ampleur…
Ensuite, il est surprenant que la ministre des Droits des femmes s’en félicite alors que précisément le thème de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes était absent des négociations sur l’accord, contrairement à la feuille de route issue de la Conférence sociale de juillet 2012 ! Ne pas avoir intégré cette question dans une négociation sur la sécurisation de l’emploi est navrant, dans la mesure où la précarité de l’emploi frappe particulièrement les femmes, de manière structurelle : elles sont prépondérantes dans le temps partiel ; leurs taux de chômage, taux de sous-emploi et taux de CDD sont toujours supérieurs à ceux des hommes. Elles représentent 75 % des bas salaires.
De tous ces aspects, l’accord n’intègre que – partiellement – le temps partiel. Il introduit une durée minimale d’activité fixée à vingt-quatre heures par semaine. Ce serait effectivement une avancée… si le texte ne prévoyait pas nombre de dérogations ! Citons, par exemple, celle qui concerne les salariés des particuliers employeurs, tout de même 1,6 million de personnes.
Or, le problème avec le temps partiel concerne tout autant l’amplitude des journées (tôt le matin, tard le soir), morcelée par des coupures non rémunérées (ces pauses sont le plus souvent des temps morts car les temps de transport ne permettent pas de rentrer au domicile), des horaires qui varient avec des délais de prévenance courts et rendent difficile l’organisation de la vie quotidienne. De plus, le temps partiel est souvent imposé par les employeurs, à qui il est certes très profitable, mais il est très néfaste pour les salarié-e-s.
Rien n’a donc été prévu pour limiter toutes ces mauvaises pratiques. Et il y a pire : l’accord envisage la légalisation d’une pratique condamnée par les juges et l’inspection du travail : celle dite des « avenants temporaires », appelés ici « compléments d’heures », par laquelle certains employeurs, en particulier dans la propreté, la grande distribution ou les services à la personne font conclure au salarié à temps partiel des avenants qui augmentent temporairement leur temps de travail avant de le ramener à la durée initiale du contrat ou à moins. Cette pratique vise à permettre l’adaptation permanente de la durée du travail du salarié aux aléas de l’activité de l’entreprise, à s’exempter du respect des limites fixées par la loi (heures complémentaires et durée légale) et/ou du paiement des heures complémentaires. Et elle a été clairement sanctionnée par la Cour de cassation, en particulier en 2010.
Alors oui, Najat Vallaud-Belkacem a raison de dire que le temps partiel est l’une des causes majeures des inégalités entre les femmes et les hommes. Mais elle a tort de se réjouir de cet accord qui ne s’en est pas préoccupé. Elle n’en fait qu’une lecture partielle et donc partiale. Cette attitude renvoie plus largement à celle du gouvernement qui, face à un accord aussi manifestement déséquilibré, a choisi de s’en faire le VRP afin de forcer sa majorité parlementaire à le voter.
Pierre Khalfa, Fondation Copernic, Christiane Marty, conseil scientifique d’Attac, Julie Muret, Osez le féminisme ! et Maya Surduts, Collectif national droits des femmes (CNDF).
Ce texte a initialement été publié le 28 janvier 2013 dans Libération
Il s’inspire de notre décryptage complet du texte de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013.