En France, beaucoup de spécialistes devraient apprendre l’humilité

Comme l’affaire du Mediator, le débat autour des pilules de 3e génération met en évidence plusieurs problèmes majeurs du système de santé français. Petit inventaire.

Des médecins peu ouverts sur l’extérieur

La formation pharmacologique des médecins français est, au mieux, médiocre. Ceci, en raison du financement à 99% de la presse médicale par l’industrie pharmaceutique, en raison du manque de rigueur scientifique des facultés de médecine et de leurs enseignants qui ne voient pas plus loin que le bout de leurs dogmes.

En raison, aussi, de l’incapacité antédiluvienne de ces professionnels à accepter que l’information scientifique est publiée en langue anglaise et qu’il faut soit la lire dans la langue d’origine, soit aller lire les traductions sur les sites canadiens – donc, en dehors de l’hexagone.

Être un scientifique, c’est s’ouvrir au monde, or un grand nombre de médecins français ne connaissent que le petit univers égocentrique et phobique que leur ont imposé leurs profs de faculté et leurs patrons hospitaliers. De plus, ils n’acceptent pas de communiquer entre eux.

S’ils acceptaient de s’interroger et de s’ouvrir aux autres, ils ne diraient plus qu’on ne doit pas poser un DIU (stérilet) à une femme sans enfant, que les anti-inflammatoires inactivent les DIU ou que les pilules de 3e génération sont « plus sûres » que les autres. Mais beaucoup de médecins français disent encore beaucoup de conneries – et ça ne concerne pas seulement la contraception, hélas.

Une attitude paternaliste

L’attitude d’un grand nombre de médecins français est paternaliste – autrement dit : ils prennent les patient(e)s pour des incapables à qui ils se sente le devoir de dire comment baiser, comment mettre ou non des enfants au monde, comment manger, comment vivre. Ces parangons de vertu médicale sont persuadés qu’ils savent mieux que les patient(e)s ce qui est bon pour eux/elles.

Ce n’est pas seulement vaniteux et insultant. C’est contre-productif et ça contribue à altérer la nécessaire relation de confiance dont tout patient a besoin. Car comment faire confiance à un médecin qui vous traite comme un(e) imbécile et se comporte comme un père fouettard ou une mère maquerelle ?

En France, un trop grand nombre de médecins continuent à ignorer (ou à refuser) leurs obligations éthiques et professionnelles élémentaires : accueillir les questions des patient(e)s, partager ce qu’ils savent avec tous ceux/toutes celles qui le demandent ; se renseigner quand ils ne savent pas.

Pire : ils n’ont pas l’air d’avoir compris que, de toute manière, les patients partageront — avec ou sans eux. Beaucoup de femmes françaises lisent l’anglais, trouvent des infos ailleurs que sur les sites des gynécologues obstétriciens français, et les partagent sur les sites et les médias sociaux. Les professionnel(le)s qui s’en offusquent ne sont pas seulement réactionnaires, ils sont stupides.

Mais comment s’en étonner, quand on voit la manière dont on leur a bourré la tête ?

Des patient(e)s frustré(e)s

La colère déclenchée par la plainte de Marion Larat et celles qui ont suivi n’est pas seulement née des accidents sous pilule de 3e génération. Elle est le produit d’une frustration beaucoup plus large ressentie par les femmes, qui ne se sentent pas écoutées par ceux et celles-là même qui prétendent « les soigner ».

Depuis dix ans et la création de mon site personnel, j’ai reçu des milliers messages de femmes me racontant les humiliations qu’elles subissent chaque jour, dans toute la France.

On refuse de leur poser un DIU ou un implant sans raison scientifique valable, on leur refuse une ligature de trompes pour des raisons idéologiques ou des pseudo-motifs « psychologiques » ineptes, on leur interdit une grossesse parce qu’elles ont plus de 40 ans ou on les culpabilise à 35 de ne pas vouloir d’enfants, on les accuse de se retrouver enceintes par négligence ou par « acte manqué », on les engueule parce qu’elles utilisent une « Mooncup » ou préfèrent une contraception naturelle.

On les regarde de haut parce qu’elles choisissent d’avorter ou au contraire refusent d’avorter d’un enfant trisomique ; on leur dit qu’elles sont folles quand elles décident d’accoucher chez elles ou pusillanimes quand elles veulent déambuler librement dans la salle de travail entre leurs contractions ; on leur dit tantôt qu’il ne faut pas allaiter, tantôt qu’il faut sans se préoccuper de ce qu’elles préfèrent.

On leur fait la morale parce qu’elles ont contracté une chlamydiae ou parce qu’elles ont plusieurs partenaires – on les traite d’anormales parce qu’elles sont lesbiennes ou vierges ; on les traite d’inconscientes lorsqu’elles n’ont pas vacciné leur fille contre le HPV ; on les menace de mort parce qu’elles ne font pas un frottis par an et une mammographie dès l’âge de 40 ans.

Et surtout, surtout, on ne cherche pas à comprendre ce qu’elles demandent, on n’écoute pas leurs questions et on n’y répond pas.

Des femmes en colère

Bref, beaucoup trop de médecins français se comportent avec les femmes qui les consultent d’une manière non professionnelle, moralement inacceptable et, il faut bien le dire, très conne. L’attitude désinvolte, ignorante et aveugle à l’égard de la prescription des pilules de 3e génération n’est que la partie émergée de l’iceberg, et elle serait restée cachée si elle n’avait pas provoqué des accidents catastrophiques.

Ce qui met les femmes en colère, c’est qu’on les traite avec mépris. Et elles ont raison d’être en colère. Et ça ne va pas s’arrêter avec le déremboursement des pilules de 3e génération. Ça ne s’apaisera que lorsque la norme de comportement de la part de la majorité des médecins ne sera plus le mépris, mais le respect. Ça ne s’apaisera que lorsque les médecins insultants s’inclineront et présenteront leurs excuses et changeront de comportement.

Du respect pour les patient(e)s, beaucoup de médecins en ont. Singulièrement, ce respect est plus répandu parmi les généralistes – qui prescrivent moins et écoutent plus que les spécialistes, malgré leur surcharge de travail, malgré leur sous-rémunération et malgré le mépris dans lequel ils sont tenus par trop de spécialistes.

Mais est-ce surprenant ? Quand on vit au milieu des personnes qu’on soigne, quand on ne ferme pas sa porte à 19 heures le vendredi pour partir en weekend, quand on répond personnellement au téléphone et quand on ne refuse pas d’entendre une femme dire « Je n’ai plus de désir depuis que j’ai repris une contraception hormonale, je voudrais me faire poser un DIU au cuivre », c’est parce qu’on ne pense pas que ce genre de déclaration est nul et non avenu, mais parce qu’on est un soignant.

La colère des femmes s’apaisera quand la majorité des médecins se comporteront en soignants.

Un clivage entre généralistes et spécialistes

Le clivage est grand entre, d’une part, patient(e)s et soignants de terrain (généralistes, infirmières, sages-femmes et spécialistes investis) et, d’autre part, les professionnels de santé qui se prennent pour le sel de la terre et traitent comme de la merde ceux qui ne sont pas admis avec eux dans la salière.

Ce clivage explique non seulement que la contraception ne soit pas enseignée de la même manière aux étudiants en médecine générale et aux gynécologues (on ne va pas mélanger les torchons et les serviettes, n’est-ce pas ?) mais aussi qu’elle ne soit pas enseignée du tout de manière scientifique aux gynécologues.

La contraception, c’est ce qu’on appelle des soins primaires, des soins de première ligne ; c’est comme la prévention des maladies infectieuses par le lavage des mains et les conseils alimentaires « dédramatisants » pour la femme enceinte, le nourrisson ou la personne âgée qui n’a pas d’appétit. C’est du soin au quotidien.

Or, ça n’intéresse pas les spécialistes, qui préfèrent se consacrer aux maladies graves et à la procréation médicalement assistée – ou à des activités lucratives mais nécessitant un engagement minimum (frottis annuel et renouvellement de pilule, par exemple).

Si les gynécologues ont prescrit des pilules de 3e génération à tire-larigot [1], c’est non seulement parce qu’ils gobent sans discuter le discours industriel, mais aussi parce que la contraception, ils s’en foutent et ça les gave. Et c’est pour les mêmes raisons qu’un grand nombre refusent aussi encore de pratiquer des ligatures de trompe ou des stérilisations tubaires pourtant permises par la loi, librement, à toute personne majeure depuis 2001 !!! Les demandes, les problèmes concrets des femmes ne les concernent pas.

Les limites du « tout pilule »

L’attitude « tout pilule » des spécialistes français résulte de la conjonction de tous ces éléments : formation non scientifique, manque de respect, ignorance des besoins des patientes, réticence à s’engager à leurs côtés, refus de partager le savoir (et, pour le partager efficacement, de le mettre à jour quotidiennement).

S’ils prescrivent des pilules plutôt que des DIU ou des implants, c’est à la fois parce qu’ils n’y connaissent rien, parce qu’ils ne cherchent pas à rendre service, et parce que les efforts que ça nécessite (poser un DIU, poser et retirer un implant, ça prend un peu plus de temps que marquer « pilule » sur une ordonnance) les fatiguent. Ils ne voient pas l’intérêt pour eux ; alors, pourquoi satisfaire les femmes, franchement ?

Ce qui mine la profession médicale dans son ensemble, ce n’est pas seulement la compétence individuelle variable de ses membres (il y a des praticiens très compétents et d’autres qui ne le sont pas, dans tous les pays), c’est l’attitude qu’adoptent un trop grand nombre de médecins au cours de la formation qu’on leur délivre en faculté.

À commencer par l’idée qu’ils sont supérieurs au commun des mortels parce qu’ils sont médecins. Et, lorsqu’ils sont spécialistes, la certitude d’être supérieurs aux autres médecins parce qu’ils sont spécialistes.

Apprendre l’humilité

Mais devenir médecin, ça ne consiste pas seulement à se valoriser par un diplôme et des titres. Devenir médecin, ça implique (ça devrait imposer, moralement) de s’engager et de se mettre aussi au service de la collectivité. De s’engager à soigner. Et soigner, ça n’est pas une relation de pouvoir ou de supériorité mais de soutien et d’aide. Ça exige de se sentir l’égal de celles et ceux qu’on soigne, ça demande de l’humilité.

L’humilité, trop de médecins français n’en ont pas. Quand le modèle d’enseignement facultaire aura changé, peut-être la majorité des praticiens qui sortiront de fac seront-ils capables de se mettre à la place de celles et ceux qu’ils soignent et de remettre en cause leurs certitudes.

Jusqu’à ce jour bien lointain, les femmes – et les hommes qui ne tarderont pas à donner de la voix eux aussi – seront en colère. Cette colère leur permettra de faire la différence entre ceux qui les respectent et ceux qui les méprisent – car ceux qui les méprisent prendront leur colère de haut, tandis que ceux qui les respectent respecteront aussi cette colère.

En attendant, la colère n’est pas près de s’apaiser.

Et pour ma part, j’en suis très heureux. Chaque médecin sélectionne, par son attitude volontaire ou non, consciente ou non, les relations qu’il établit avec les patients qu’il reçoit.

A chacun de récolter ce qu’il a semé.

par Martin Winckler (Dr Marc Zaffran)
Article du 3 janvier 2013

 


[1] Comme le montrent les chiffres publiés par la Haute autorité de santé, les spécialistes sont les principaux responsables de la sur-prescription des pilules de 3e génération. Confier la prescription de ces pilules aux spécialistes, comme l’a envisagé l’ANSM (sur les conseils d’un « expert gynéco », probablement) équivaut à confier l’utilisation des allumettes aux seuls pyromanes.

La revue « Prescrire » avait dénoncé les pilules de 3e et 4e génération (de Diane 35 à Jasmine en passant par toutes les autres) dès leur commercialisation il y a vingt ans. Les médias grand public s’en sont-ils fait l’écho ? Non. Ils ont joué leur rôle habituel de relais de l’industrie via les « experts » et « spécialistes » qui conseillent régulièrement les magazines féminins et la presse quotidienne.

L’information scientifique a beaucoup de mal à passer au grand jour, en France, car elle est filtrée par les « experts » – lesquels sont le plus souvent imbriqués dans des conflits d’intérêt qu’ils ne perçoivent même pas (tout statut privilégié est menacé de conflits d’intérêt). Or, trop de journalistes français s’en remettent aux « experts » pour rédiger leur article.

Si j’étais journaliste scientifique, je potasserais attentivement un sujet AVANT d’interroger le « spécialiste » qu’on m’a recommandé. C’est ce que je fais quand je ne connais rien à un sujet. J’ai le sentiment que je pose des questions plus intelligentes, et que je risque moins de me faire embobiner par mon interlocuteur.

C’est aussi ce que font les femmes : elles se renseignent d’abord, et vont interroger le médecin ensuite. Et elles ne prennent plus ce qu’il dit pour argent comptant. Et elles ont bien raison.

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