Pourquoi nous nous opposons aux projets de poulaillers industriels de Vivadour
Ne s’agit-il pas en fait d’asseoir les profits de Vivadour, qui voit dans l’industrialisation et la concentration des élevages, le moyen de garder des parts sur un marché mondial de la volaille en pleine restructuration quitte à abandonner les filières traditionnelles et le savoir-faire des agriculteurs locaux ou à enlever à d’autres régions françaises leurs débouchés actuels.
D’ailleurs un rapport de 2010 sur la compétitivité de la filière (source : Ministère de l’Agriculture) est très clair. La seule manière d’être compétitif c’est de réduire les coûts : faire de nouveaux poulaillers plus grands et plus « modernes », diminuer les charges de main-d’œuvre à tous les échelons et robotiser au maximum d’un bout à l’autre de la filière.Les projets de Vivadour s’inscrivent dans cette démarche.
Dans ces conditions, difficile de ne pas être perplexe quant à l’argument de l’emploi mis en avant par Vivadour pour justifier la création de ces poulaillers industriels.
Localement les emplois de l’abattoir de Condom seraient en péril. Comme tous les autres anciens abattoirs gersois, ne sera-t-il pas abandonné au nom de la réduction des coûts, au profit d’une structure régionale plus importante comme cela se dessine pour la filière bovine ?
Si, avec le poulet industriel, on parvient à sauver des emplois d’abattoir, combien en perd-on dans le même temps dans le secteur agricole ? Si un éleveur et quelques techniciens de Vivadour suffisent à faire fonctionner un élevage de 750 000 poulets, combien d’élevages plus petits risquent de disparaître à cause de sa création ? Combien pourraient assurer la production du même nombre de volailles tout en respectant une meilleure qualité de vie pour les animaux et l’agriculteur lui-même ?
Car l’éleveur de poulets industriels est il vraiment un agriculteur ? 2 h de travail par jour quand tout va bien. Essentiellement de l’enlèvement de cadavres, de la manipulation de commandes et de la surveillance sans prérogative aucune par rapport à la conduite de l’élevage : cela devient un travail disqualifié, précaire, sans lien avec le sol ni pour l’éleveur ni pour ses poulets, sans revenu fixe et finalement juste destiné à payer les investissements consentis par Vivadour chez lui.
Bref tout le contraire du métier d’agriculteur, métier difficile mais riche par la maîtrise qu’il laisse sur ses choix de productions et de pratiques en lien avec son territoire. Et tout cela sans avoir les droits du salarié alors qu’il est en quelque sorte celui de Vivadour. Après l’exploitant agricole, voilà l’auto-exploité agricole Nous serions donc curieux de connaître le contrat qui lie l’éleveur à Vivadour.
Surfant sur la mode du produire local, Vivadour affirme entrer dans ce créneau avec la production de poulets standard. Mais rien dans l’alimentation des volailles n’est produit sur place : ni les céréales qui au mieux viennent du département, ni les 30 % de protéines constituées essentiellement de soja importé d’Amérique donc probablement OGM comme le reconnaît la coopérative.
Sous prétexte de réduction des coûts, comme dans d’autres pays et comme vient de l’autoriser l’Europe pour les élevages industriels de volailles et de porcs, les industriels n’attendent que le feu vert du ministère pour réintroduire les farines animales dans l’aliment. Le terme poulet végétal, qui est une escroquerie intellectuelle, est en passe d’être bientôt abandonné par la filière comme il l’a été en Amérique du Nord : pour préparer cette réintroduction ?
Sachant comment le poulet industriel est élevé et nourri, le consommateur est en droit de se poser des questions sur les répercussions pour sa santé.
Certes nous dit Vivadour, poulet label et poulet standard ont la même base alimentaire — donc du soja OGM pour le poulet Label ce que le consommateur lambda ne sait pas puisque ce n’est pas indiqué sur l’emballage — mais présenter ainsi les choses est réducteur.
Le poulet label ne reçoit ni les mêmes quantités, ni les mêmes proportions de ces aliments, il grandit moins vite et il passe une partie de sa vie à l’extérieur du poulailler.
Le poulet standard, lui, parvient à son poids adulte en 37 jours voire moins si possible. Pour en arriver là, il a fait l’objet de sélections génétiques, il mange plus. Il est enfermé, la plupart du temps sous la lumière artificielle, entassé à 24 par m2… ce qui le rend plus fragile surtout en fin de vie où son squelette ne peut plus supporter le poids de son corps : déficiences cardiaques, problèmes pulmonaires, sensibilité accrue au moindre germe sont fréquents…
Et pourtant nous sommes les seuls dans ce département à parler du bien-être animal et du respect que l’on doit au vivant alors que ce poulet est ravalé au rang de matière première, comme ce qu’il mange. « Les poulets sont fabriqués pour pousser pas pour marcher », « de toute façon ils n’ont pas envie de sortir » dit Vivadour qui occulte rapidement le problème et se cache derrière les normes du bien-être animal telles que définies par la réglementation. Réglementation faite sur mesure pour ce type élevage quelque soit sa taille.
Etant données ces conditions d’élevage, génératrices de stress, le poulet industriel a plus de probabilités d’être malade. Il s’en suit des traitements qui risquent d’être fréquents et massifs puisqu’il n’est pas possible de séparer parmi 30.000 poulets les malades et les sains. Vivadour affirme que nous nous trompons mais alors pourquoi, en dépit de l’interdiction des antibiotiques comme activateurs de croissance en 2006 et avec un effectif annuel à peu près stable de volailles, la quantité totale d’antibiotiques utilisée dans les élevages de poulets n’a-t-elle pas baissé? Elle se maintient autour de 239 tonnes pour la volaille française (source Agence Vétérinaire du Médicament) ce qui représente un quart des antibiotiques à usage vétérinaire utilisés en France.
Le consommateur peut être d’autant plus inquiet qu’il n’y a pratiquement aucune transparence sur ce volet sanitaire. Dans les dossiers d’autorisation ou dans la réglementation, on a bien une liste de médicaments utilisables ou des plans de gestion de crise peu rassurants en cas d’épidémie, mais dans la réalité, le suivi vétérinaire est assuré par Vivadour qui a ses propres vétérinaires et sa propre pharmacie. Mais en cas d’épizootie, c’est l’État qui paie. Donc nous.
Les contrôles de l’État : ils sont insuffisants, une fois tous les trois ans pour les gros élevages, ils consistent à vérifier les registres d’élevage tenus par Vivadour. Pas d’analyse obligatoire des résidus médicamenteux dans la viande ou les effluents.
L’OMS reconnaît que l’industrialisation des élevages avicoles a entraîné des conditions favorables à l’apparition des virus influenza aviaire hautement pathogènes.Le nombre élevé des animaux et leur promiscuité favorise la mutation des virus vers des formes potentiellement hautement pathogènes tant pour les volailles que pour les humains. On rappellera que lors du précédent épisode de cette maladie, le seul cas en France a touché un élevage industriel de dindes.
Pour ces raisons le consommateur est en droit de s’interroger légitimement sur la qualité de la viande issue de ces élevages. Vivadour et certains responsables économiques ou politiques pensent que l’on ne peut pas tout avoir, qualité et prix, ce qui est une injure pour les populations pauvres condamnées ainsi à mal se nourrir. Cela condamne aussi, via la restauration collective, nos enfants, les retraités ou les malades à l’hôpital, c’est-à-dire les plus fragiles, à subir une alimentation de qualité médiocre sans avoir le choix d’une autre alternative.
Quant à l’argument du prix, est il vraiment recevable sachant que 90 % des poulets industriels (source Vivadour) sont découpés ou transformés ce qui fait passer leur prix au kilogramme au-dessus de celui du poulet label entier ? Le consommateur pressé ne s’en rend pas toujours compte, d’autant plus que les étiquettes ne sont pas forcément compréhensibles et l’induisent facilement en erreur.
Si ces élevages industriels sont susceptibles d’avoir un impact sanitaire non négligeable, celui sur l’environnement est aussi important et incontestable.
Lors du débat de Monlezun, Vivadour nous a expliqué que la Bretagne était saturée par ces élevages industriels et que le Gers devait en prendre sa part. Mais la Bretagne est également saturée par les nitrates des effluents issus de ces élevages, nous risquons donc par solidarité de devenir une Bretagne bis. Quel bel avenir !
D’autant que nos eaux superficielles et souterraines sont déjà fortement polluées par les nitrates et les pesticides utilisés par l’agriculture. Lors du CODERST qui a examiné le projet de Lannepax, le dossier de la protection du captage d’eau du Houga a aussi été débattu : le taux de nitrate moyen ces 5 dernières années y est de plus de 60 mg/l ce qui est supérieur à la limite de qualité autorisée (50mg/l). Le CODERST a donc voté une dérogation au dépassement de la qualité du paramètre nitrate à 75mg/l afin de pouvoir malgré tout continuer à alimenter la population en eau potable. Ce cas n’est pas unique. Est-ce donc raisonnable d’accepter, avec les élevages industriels, de nouvelles sources de nitrates dans le département ? Même si leurs effluents se substituent — en partie seulement — aux engrais minéraux, on sait très bien que chaque nouvelle production apporte son lot de polluants. Nous avons vu plus haut que les résidus médicamenteux ne sont pas recherchés dans les effluents.
Le principe du pollueur-payeur, au lieu d’être appliqué, est dévoyé en principe de pollué-payeur : le contribuable paie avec ses impôts et sa facture d’eau, le coût de ces pollutions et des moyens de plus en sophistiqués pour les traiter.
Nous ne sommes donc pas rassurés en lisant les propos de M. Terrain président de Vivadour : pour produire ces poulets et leur alimentation, c’est simple pour lui, il suffit « d’avoir de l’eau et des routes » , évidemment quand c’est la collectivité qui en paie les investissements et en répare les dégâts…! Un récent rapport du ministère de l’écologie (pièce jointe) nous indique que le surcoût de la pollution agricole peut aller jusqu’à 215 € de plus sur la facture d’eau par ménage. D’autres pays préfèrent la prévention et le changement des pratiques agricoles et ont un m3 d’eau 2,5 fois moins cher qu’en France.
L’État, qui est finalement le meilleur allié de Vivadour pour ses projets, va s’abriter derrière la réglementation pour les autoriser. Mais cela ne satisfait pas les riverains, déjà alertés par le manque de transparence des dossiers et des enquêtes publiques, et qui connaissent les nuisances qu’ils auront à subir : bruits, odeurs, pollution, insécurité routière….les exemples ne manquent pas !
Il suffit de suivre les travaux parlementaires français et ceux de la Commission Européenne pour voir le travail de lobbying de l’agro-industrie afin que la réglementation lui soit toujours plus favorable et soit toujours en retard par rapport à la réalité du terrain. Le préfet, lui-même, lors d’une récente entrevue a reconnu que la réglementation des installations classées était largement obsolète.
En conclusion, c’est à la mode, nous nous interrogerons sur la durabilité de ce type de productions industrielles : nous considérons qu’elles ne sont durables ni socialement, ni économiquement ni environnementalement, contrairement à leurs conséquences qui elles le sont.
Sur le plan économique : à ne raisonner qu’en terme de coût, on trouvera toujours quelqu’un même en Europe qui produira moins cher et Vivadour sera peut être obligée de délocaliser. Les prix peu élevés de ces volailles industrielles et un risque de surproduction vont automatiquement tirer vers le bas ceux des autres filières dites de qualité et fragiliser ainsi, voire faire disparaître, un certain nombre d’exploitations agricoles. Comment les responsables agricoles peuvent ils à la fois déplorer la perte d’actifs en agriculture et soutenir ce genre de projets ?
Tout le monde veut faire du Gers une terre de tourisme et de gastronomie, on sait pourtant ce qui arrive dans ce domaine dans certaines parties de la Bretagne où ces élevages sont nombreux, détruisant l’image du territoire et où l’économie touristique affiche désormais un sérieux manque à gagner.
Sur le plan environnemental : de plus en plus de spécialistes du monde agricole s’accordent pour dire que les solutions aux problèmes environnementaux de l’agriculture passent par une diversification et une complémentarité des pratiques et des productions.
Prendre la voie de l’industrialisation et de la spécialisation — car c’est bien de cela qu’il s’agit — risque de condamner le département à devoir gérer durablement les impacts de ce choix : pollutions, dépendance énergétique, consommation et dégradation des ressources naturelles, eau, sols au détriment des autres usages.
Les paysages bocagers gersois sont déjà suffisamment dégradés dans certaines zones, ne rajoutons pas, au milieu de ces grandes étendues de plaines et de coteaux semées de céréales et de maïs et où arbres et haies ont disparu, des bâtiments industriels laids et fermés, dissimulant la souffrance animale pour produire une alimentation au rabais.
Sur le plan social : la concentration de la production entraîne et accélère toujours celle des exploitations, et au-delà, une perte irréversible de la vitalité du tissu rural avec la disparition des commerces, des emplois liés à l’agriculture et des services publics.
La mise en place d’une première tranche de poulaillers industriels dans le département dépasse donc bien le cadre règlementaire et agricole dans lequelle on veut la cantonner. Avant toute décision les pouvoirs publics devraient mettre en place une réflexion et un débat public sur l’avenir de l’agriculture avec tous les acteurs concernés dont ceux de la société civile. Nous demandons à tous les responsables politiques et économiques de l’ initier sans tarder.
C’est pourquoi nous réitérons auprès du Préfet notre demande d’une table ronde sur le sujet, réclamée également par le président du Conseil Général M. Martin, idée à laquelle il se disait favorable lors d’une rencontre à la préfecture. Nous souhaitons aussi être consultés lors de l’enquête de l’Inspection du Ministère de l’Agriculture que M. le Préfet a diligentée pour l’aider à prendre une décision.
Nous disons durablement non à une agriculture non durable !