Quand Fertiladour se fournissait auprès de l’armée américaine

Quand Fertiladour se fournissait auprès de l’armée américaine

En 1974, 1.500 tonnes de monazite radioactive d’un site contaminé de l’armée américaine y furent livrées, où l’on trouve encore aujourd’hui des minerais qui interrogent les scientifiques de l’ACRO.

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Un document de l’armée américaine désigne Fertiladour comme destinataire d’un lot contaminé (EITB)

La réalité historique de la contamination radioactive de l’ancienne usine  Fertiladour du Boucau (Port de Bayonne) ne se trouve pas cernée dans les documents officiels de cessation de son activité, répétons-le une fois encore, mais peut parfois trouver sa source dans un étonnant document de l’armée américaine visé par la Commission de l’Energie Atomique des Etats Unis, datée du 4 juin 1974.

A cette date, cette agence du Congrès américain se débarrassait officiellement de 1.500 tonnes de monazite, naturellement riche en thorium, après que ce minerai à radioactivité naturelle ait contaminé une partie de l’usine d’armements de Ravenna, dans l’Ohio, spécialisée dans la fabrication de missiles sol-sol après la seconde guerre mondiale.

Son client, mentionné dans le dossier « Destruction of strategic and critical material« , s’avère être l’usine de Fertiladour, qui, à cette période, vient tout juste de commencer ses années de broyage de la monazite (de 1973 à 1992).

Plonger dans les détails de cette fourniture permet de mieux comprendre la logique d’un industriel qui ne s’est jamais embarrassé de préserver l’environnement ou les salariés de son usine face à son seul désir d’enrichissement.

Encore aujourd’hui, la virulence radioactive constatée des terres contaminées interroge les scientifiques de l’ACRO, intervenus en juillet 2010 sur le site pour une contre-étude particulièrement contradictoire avec les affirmations officielles, et qualifiée « d’accablante » par les élus d’Europe-Ecologie qui en ont dévoilé les grandes lignes le 3 novembre dernier.

L’examen d’un lot particulier de minerai originel, non traité et trouvé sur le site en 1992 , est encore plus problématique : pour l’ACRO, il n’est pas simple d’écarter l’hypothèse d’une forme particulière d’uranium, en l’occurrence de l’uranium appauvri, utilisé par les militaires pour des armes non conventionnelles.

Sommé par arrêté préfectoral le 9 juin 1997 de caractériser les matières premières à l’origine de la pollution du site, la direction de la société Agriva Fertiladour, filiale du groupe Roullier, avait simplement indiqué le tonnage des stocks de minerais arrivés sur le site du Boucau entre 1973 et 1992, sans fournir ni leurs provenances ni leurs compositions radiologiques.

Destinataire en 2002 de ce document très incomplet, l’inspecteur de la DRIRE (aujourd’hui DREAL), chargé de la « réhabilitation » du site, n’y avait trouvé rien à redire, se contenant de l’expression choisie par l’industriel, « une sorte de sable que l’on trouve sur les plages de Madgascar et sur lequel les gars là-bas étendent leurs serviettes« .

De la monazite issue d’une base militaire contaminée

L’usine d’armements de Ravenna dans l’Ohio, si elle fabriquait traditionnellement des munitions pour l’armée américaine, s’était spécialisée dans l’étude de prototypes de missiles balistiques sol-sol et avait, pour cela, testé divers alliages de métaux, notamment celui du mélange d’aluminium et de thorium, permettant d’accentuer sa pénétration dans les cibles.

Testé de la fin des années 1950 jusqu’en 1973, le thorium, contenu dans une terre rare comme la monazite, ne donna pas de résultats concluants, avant que ne fut officiellement constatée la contamination importante de la zone autour des ateliers et des silos 1303 et 1304 de Ravenna.

L’armée dut se résoudre à isoler le périmètre et à détruire par le feu les deux silos fortement irradiés, dans une usine spécifique du Kentucky, quand les trois silos de Fertiladour, au Boucau, furent simplement démantelés et « principalement nettoyés à l’eau« , comme nous le précisa en octobre 2008 Michel Amiel, inspecteur de la DRIRE, avant d’être transférés « dans un centre de stockage adapté » sans plus de précision.

Le 4 juin 1974, le Directeur de la Commission de l’Energie Atomique de l’armée américaine remplit donc le formulaire de transfert des stocks encore existants de monazite vers son client, la société Fertiladour, en précisant l’étendue des précautions nécessaires à sa manipulation.

La monazite sera conditionnée dans des barils métalliques, renforcés, du fait de l’équivalent de 85 tonnes de thorium pur que cela représente.

Dans le paragraphe « Description of the nuclear process » remis au client, est bien précisé que toutes les personnes en contact avec ces barils de monazite devront être équipées de combinaisons de protection absolue, puis passer un examen dans les jours qui suivent la fin de la manipulation.

Devront être impérativement enregistrées les caractéristiques de la zone avant, puis après la manipulation, pour établir que l’aire de déchargement n’a pas été contaminée, avec une surveillance toute particulière sur le risque très sérieux que représente le dégagement de poussière de monazite, dont la toxicité est officiellement plus dangereuse que l’uranium ou le plutonium.

Arrivée à bon port (celui de Bayonne), la monazite sera broyée dans un atelier dépourvu de filtres adéquats d’aspiration des poussières et où les ouvriers de Fertiladour travaillent avec un simple masque de peintre sur la bouche.

19 ans durant, la contamination de 2,5 hectares autour de cet atelier ne pourra plus avoir surpris l’industriel, qui n’a pourtant jamais été frappé de la moindre amende ou condamnation pour cette atteinte sur l’environnement.

La virulence de la contamination interroge les scientifiques de l’ACRO

Présente sur le site durant l’été 2010, la docteur en nucléaire de l’ACRO, Mylène Josset, chargée de superviser la contre-étude, continue de s’interroger sur la hauteur des valeurs de radiation indiquées dans le rapport officiel de l’ ALGADE en 2001.

« Le broyage de la monazite a pour effet mécanique de détruire les liaisons cristallines« , explique-t-elle, « mais même si la radioactivité est plus libre de se propager, elle n’est pas pour ainsi dire démultipliée pour autant« .

Les carottages et prélèvements effectués sur le site de Fertiladour ont mis « en vedette » un type générique de monazite, dont les radiations sont de l’ordre de 3 millisievert par heure, avec une présence quasi équivalente de thorium et d’uranium dans sa composition (25 000 Bq/kg brut pour chacun de ces deux éléments radioactifs).

Pour cette scientifique, la présence dans les terres les plus contaminées qui furent extraites du site en 2001 d’échantillons d’une virulence de 50 millisievert par heure (big bag N°2) ne trouverait pas d’autre explication que la grande diversité des monazites que l’on pouvait acheter dans le monde, en Asie ou en Afrique australe.

« On trouve dans la littérature l’existence de monazites qui pouvaient atteindre 600.000 Bq/kg brut« , souligne-t-elle, « ce qui signifie tout de même que les sacs arrivés avaient une gamme de virulence radioactive très ample« , sans que, sur place, le processus de broyage de ces terres rares n’en soit modifié, comme le confirment les ouvriers encore aujourd’hui.

Suspicion de présence d’uranium appauvri sur le site

En 1991, à la fin des années monazite, un chargement d’un millier de tonnes de terres rares arrive sur le site, et les ouvriers sont informés par la direction que cette livraison restera sur le site « sans être traitée », avant que, en 1992, des hommes ne viennent le récupérer dans des camions et quittent les lieux sans autres explications.

Un prélèvement de ce chargement, effectué à l’époque, a été analysé cet été par l’ACRO, qui s’est étonné de sa composition radiologique.

A la différence de la monazite traitée ici, l’uranium y est prépondérant, dans une proportion de 75% au lieu des 50% habituels, « disons que c’est plus de l’uranium que de la monazite« , réagit Mylène Josset.

De nouvelles mesures du spectre d’analyse seraient nécessaires, estime-t-elle, « pour voir s’il pourrait s’agir d’uranium appauvri« , conclut-elle.

L’uranium appauvri, sous-produit des centres de traitement du combustible usé, est utilisé à des fins militaires, notamment dans des obus utilisés lors de la première guerre du Golfe, la guerre du Kosovo, ainsi que, plus récemment, dans le bombardement de la Bande de Gaza en décembre 2009.

En 1999, l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe a réclamé l’interdiction de la fabrication, des essais, de l’utilisation et de la vente d’armes à l’uranium appauvri afin de préserver les générations présentes et futures (Conseil de l’Europe 24/01/2001).

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