Intervention d’André Gattolin, sénateur des Hauts de Seine, lors du débat sur la situation en Syrie au Sénat.
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre des Affaires étrangères,
Mes chers collègues,
Jamais depuis le début de notre mandature le Sénat n’a eu à débattre d’un sujet aussi grave.
C’est donc avec une extrême gravité qu’il convient de nous exprimer. Avec sérieux et sincérité.
En réalité, la question de savoir s’il faut ou non intervenir relève à mes yeux d’un faux débat.
Prisonniers à la fois de l’urgence et du pourrissement du conflit, c’est bien plutôt la définition de la réaction la plus appropriée qui soit qui nous occupe aujourd’hui. Ce qui exige que soient précisément établis tout à la fois le cadre de cette réaction, les mesures qui la composent, et celles qui devront permettre d’en assurer le suivi.
Je crois qu’il y a à ce sujet un large consensus parmi nous, si tant est que nous ayons tous également à l’esprit le fait qu’une mauvaise intervention est parfois tout aussi néfaste, sinon pire, qu’une non intervention.
Il est évidemment hors de question pour la France de s’engager seule, et il ne s’agit pas non plus de donner un blanc seing à une coalition dont on ne connaîtrait ni les contours précis, ni les objectifs, ni les prolongements politiques.
Il paraît donc essentiel de saisir les jours qui viennent, la réunion du G20, la réunion des Ministres des affaires étrangères de l’Union européenne et la réflexion qui démarre chez nos collègues parlementaires américains pour mettre tout ceci au clair.
Aujourd’hui 4 septembre 2013, nous en sommes à plus de 100.000 morts et à six millions de personnes déplacées, dont deux millions ont quitté la Syrie et se trouvent dans des camps situés dans les pays limitrophes.
Sur ces deux millions de personnes, plus de la moitié sont des enfants. L’organisation des Nations Unies est formelle : cela est absolument inédit.
Nous faisons face à un degré de violence, notamment envers les plus faibles, jamais vu depuis la Seconde guerre mondiale. C’est là un fait indéniable. Comme l’est d’ailleurs l’usage d’armes chimiques, que personne ne nie, même si aux yeux de certains la responsabilité n’en est pas assez clairement établie.
Nous attendons évidemment avec la plus grande attention le résultat de l’inspection conduite par les Nations Unies, mais cette dernière n’a de toute façon pas vocation à révéler publiquement l’origine de ces armes chimiques. Or les éléments d’ores et déjà réunis par plusieurs gouvernements, mais aussi par les organisations humanitaires et par plusieurs médias (Le Monde, la BBC…) vont tous dans le même sens.
D’une part, ces armes ont bel et bien été utilisées. D’autre part, le régime de Damas est a priori le seul à être en capacité de mener de telles attaques, notamment celle du 21 août dernier, dans les faubourgs de la capitale où se concentrent une partie des opposants démocrates à Bachar Al-Assad.
Les déclarations récentes et proprement sur-réelles de Bachar Al-Assad dans un quotidien français ne laissent guère de doute quant à sa détermination meurtrière et à ce qu’il serait capable de faire en l’absence de réaction internationale.
Disons-le clairement : si nous persistons à ne rien faire face à nouvelle montée en horreur du conflit, nous entérinerons de fait la «dépénalisation» de l’usage de ces armes, que le régime syrien conçoit manifestement comme une arme conventionnelle puisqu’il les a utilisées à plusieurs reprises, alors que leur prohibition constitue un pilier historique du droit international et humanitaire depuis la fin de la Première guerre mondiale et la signature du Protocole de Genève, en 1925.
Si nous ne faisons rien, nous courrons le risque de voir les composantes démocratiques de la rébellion, celles précisément qui ont été visées par le bombardement du 21 août, être anéanties. Elles laisseraient alors place à un face-à-face entre Bachar Al-Assad, appuyé sur ses alliés iraniens et du Hezbollah, et les composantes résolument anti-démocratiques de la rébellion.
Si nous ne faisons rien, nous courrons le risque de voir l’ONU encore plus affaiblie qu’elle ne l’est déjà. Certains de nos collègues, sceptiques quant à une intervention internationale, considèrent qu’une telle éventualité porterait un coup fatal à l’influence de l’ONU.
En réalité, c’est l’inaction qui constituerait le plus grand risque sur ce plan, car elle consacrerait le pouvoir de nuisance de pays tels que la Russie qui abuse en permanence de son droit de veto au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies. En empêchant depuis deux ans tout règlement politique du conflit, c’est bien ce pays qui a rendu possible la perpétuation de telles atrocités.
Le débat que nous menons aujourd’hui ne s’achèvera pas par un vote, ce qui est après tout logique à ce stade puisque beaucoup de paramètres peuvent encore changer. C’est la semaine prochaine que nous pourrons et – et les écologistes le demandent instamment – que nous devrons voter, une fois que ces paramètres auront été précisés…
Je poursuivrai justement mon propos en évoquant trois points, qu’il faudra impérativement approfondir avant une convocation ultérieure du Parlement.
Le Congrès américain devrait voter ce 9 septembre sur la participation des Etats-Unis à une intervention aérienne, ciblée et circonstanciée ; participation sans laquelle une intervention militaire française serait évidemment remise en question… Mais quelle que soit la décision finale de nos alliés, il convient de mobiliser la communauté internationale sur ce dossier comme elle ne l’a jamais été jusque-là. A l’heure actuelle, plusieurs membres importants de la Ligue arabe, la Turquie, le Japon ont fait connaître leur soutien à une éventuelle opération, sans qu’on sache pour le moment comment ce soutien pourrait se traduire concrètement. Mais il faut aller plus loin encore !
De grands pays émergents comme le Brésil doivent être approchés pour voir dans quelle mesure leurs positions pourraient évoluer compte tenu des derniers développements.
L’Union européenne doit se mobiliser en tant que telle et sortir de sa coupable torpeur.
Je mentionnais à l’instant les limites du Conseil de Sécurité de l’Onu, mais il est frappant de constater que l’Assemblée générale de l’organisation – qu’aucun veto ne peut paralyser – reste aussi absente de nos débats. La France et ses partenaires doivent demander sa convocation en urgence afin de rappeler avec force l’interdiction du recours aux armes chimiques et réclamer une enquête de la Cour Pénale Internationale sur les derniers bombardements. L’adoption probable d’une telle déclaration conforterait la volonté du gouvernement d’intervenir.
Si un tel vote n’aurait certes pas le même poids qu’une résolution du Conseil de Sécurité, il permettrait néanmoins de sortir un peu de l’insupportable situation de blocage qui frappe l’ONU depuis le début de ce conflit.
Car il faut bien rappeler que les composantes démocratiques de l’opposition syrienne et en particulier l’Armée syrienne libre réclament aujourd’hui une intervention de la communauté internationale. Il est frappant de constater que cette dernière est encore largement sous-équipée par rapport aux autres acteurs du conflit, en dépit des promesses qui ont pu lui être faites. Qu’attendons-nous pour la renforcer et pour traiter véritablement ses représentants comme des interlocuteurs légitimes ? C’est là une nécessité absolue si nous voulons que l’état des forces en présence puisse véritablement évoluer.
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mes chers collègues,
La rébellion syrienne a débuté en réaction au sort qui avait été réservé à des enfants de moins de quinze ans, qui avaient un peu naïvement repris un slogan des révolutions arabes : « le peuple veut la chute du régime ». Cela leur valut d’être arrêtés et torturés… Deux ans plus tard, ce sont toujours les enfants qui sont les premières victimes de cette guerre ignoble.
Leur mise en sécurité et celle des millions de personnes déplacées doit être désormais notre priorité, y compris d’ailleurs en dehors du théâtre d’opérations lui-même.
Comment la France compte-t-elle participer aux efforts internationaux visant à accueillir les réfugiés syriens ?
Le gouvernement reviendra-t-il rapidement sur sa décision de janvier dernier de contraindre les ressortissants syriens à demander l’obtention de visas de transit aéroportuaire pour la moindre escale dans les zones d’attente de nos aéroports, ce qui a pour conséquence évidente de gêner la fuite de personnes déjà terriblement éprouvées ?
Cette mise en cohérence avec les principes humanitaires les plus élémentaires, alors même que la population syrienne paie non seulement le prix de la folie de son dictateur et de ses appuis mais aussi celui des erreurs commises par celles et ceux qui se disent à ses côtés, paraît aujourd’hui aussi juste que nécessaire.
Le groupe écologiste du Sénat salue la volonté du Président de la république de sortir de la terrible inaction internationale qui a jusqu’à présent prévalu à l’égard du drame syrien, aussi nous demandons aujourd’hui au gouvernement de mettre à profit le court délai qui a été octroyé par les circonstances pour préciser les modalités de l’action de la France, élaborer d’éventuelles alternatives à une intervention aérienne en complément ou en substitution à celle-ci si nos alliés venaient à y renoncer, et s’investir plus que jamais dans la préparation d’une conférence de Genève 2, visant à réunir l’ensemble des parties prenantes pour préparer une transition que nous appelons tous de nos voeux.
Je vous remercie.