> Tribune publiée dans Libération le 17 février 2014
Demain, François Hollande présidera, avec Angela Merkel, un sommet franco-allemand qui abordera des sujets majeurs : la relance de l’Europe, la taxe sur les transactions financières ainsi que les objectifs climatiques et énergétiques dont l’Union doit se doter à l’horizon 2030. A bien des égards, nous considérons que ces thèmes sont liés.
Les enjeux sont majeurs. La facture énergétique de l’Europe vis-à-vis du reste du monde est gigantesque et ne cesse d’augmenter, pour atteindre près d’un milliard d’euros par jour. En France, 3,4 millions de ménages souffrent de précarité énergétique, et plus de 100 millions d’Européens en sont victimes. Nos infrastructures énergétiques arrivent en fin de vie et des investissements colossaux sont nécessaires. Partout, nous constatons les premières conséquences dramatiques du dérèglement climatiques. Notre futur dépend de nos choix énergétiques présents.
En adoptant le «paquet climat énergie» en 2008, l’UE prenait le leadership mondial dans ce domaine : elle s’engageait d’ici à 2020 à réduire d’au moins 20% ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, à avoir 20% d’énergies renouvelables dans son «mix» énergétique et à diminuer de 20% sa consommation d’énergie. Six ans plus tard, notre volontarisme s’est émoussé et l’effondrement du marché des quotas de CO2 facilite le retour du charbon. Les mesures d’efficacité énergétique nous laissent à mi-chemin de l’objectif affiché ; les industries des renouvelables sont déstabilisées par les soubresauts de leur cadre réglementaire et financier et, dans le cas du photovoltaïque, par la concurrence déloyale chinoise. Et aujourd’hui, l’Europe semble marquer le pas et l’horizon 2030 s’obscurcit.
Les propositions sur le paquet énergie climat 2030 publiées fin janvier par la Commission européenne interpellent. Avec un objectif de 40% de réduction des émissions de gaz à effet de serre, nous ne sommes pas encore au niveau de ce que recommandent les scientifiques pour éviter la catastrophe climatique. Sous la pression du Royaume-Uni et de la Pologne, la Commission recommande pour les renouvelables un objectif de 27% du bouquet énergétique. C’est très en dessous du potentiel fantastique de ce secteur, comme le démontre l’Allemagne qui s’est fixé 45% du mix énergétique à l’horizon 2030. Tout aussi inacceptable, l’absence d’objectif contraignant sur l’efficacité énergétique est la preuve flagrante de la prise en otage de la Commission par les grands énergéticiens dont la rente dépend de notre gaspillage énergétique.
La France et l’Allemagne ont la responsabilité d’initier un changement de cap. Ils partagent plus qu’il n’y paraît dans ce domaine. L’objectif de réduire de 75% à 50% la part du nucléaire dans notre mix électrique d’ici à 2025 correspond à un effort de même ordre que la sortie définitive du nucléaire outre-Rhin. Les deux pays souhaitent réduire leur consommation d’énergie, améliorant ainsi le pouvoir d’achat des ménages et leur sécurité énergétique. L’Allemagne ne faiblit pas sur ses ambitions en matière d’énergies renouvelables, avec déjà 400 000 emplois créés.
Les meilleurs scénarios confirment que l’Europe peut se fixer de manière réaliste un objectif de 40% d’efficacité énergétique et de 45% de renouvelables d’ici à 2030. De tels objectifs généreraient une réduction de près de 55% de nos émissions par rapport à 1990. Le 5 février, le Parlement européen a voté en faveur de trois objectifs contraignants pour le paquet 2030. La France doit défendre cette position.
Innover, relancer l’économie et l’intégration européenne, développer un partenariat franco-allemand sur les renouvelables et engager la troisième révolution industrielle, créer des millions d’emplois. Les choix que nous allons faire vont conditionner la réussite de Paris 2015, où la France accueillera la communauté internationale pour tenter d’obtenir un accord ambitieux de lutte contre le changement climatique. Les citoyens européens en sont convaincus. Ils attendent autre chose de l’Europe qu’une politique énergétique sans ambition, entre égoïsmes nationaux et puissants lobbys énergétiques.
En 1952, naissait la Communauté européenne du charbon et de l’acier. L’enjeu n’était pas mince : construire la paix en organisant l’indépendance énergétique et la puissance industrielle et économique de l’Europe. Soixante ans plus tard, l’Europe est confrontée à une polycrise économique, sociale, écologique et politique majeure doublée d’un questionnement existentiel croissant. Nous proposons que la France et l’Allemagne portent la transition énergétique comme le pilier d’une relance à l’échelle de l’Union, en commençant par un grand projet industriel photovoltaïque à Fessenheim. Ce sommet franco-allemand doit en être la première étape.
Denis BAUPIN Député EE-LV de Paris, Yannick JADOT Député européen, membre de la commission commerce international et Ronan DANTEC Sénateur EE-LV de Loire-Atlantique