Exposé des motifs
Six ans après la révolte syrienne contre la dictature de Bachar El Assad, le long siège d’Alep a illustré l’horreur quotidienne que subit la population. La situation humanitaire est catastrophique sur l’ensemble du pays. Selon les Nations Unies plus de 12 millions de déplacé-es dont environ 4,7 millions se sont réfugiés à l’étranger, essentiellement dans les pays limitrophes. Depuis le début du conflit, les morts sont estimés entre 310 000 et 400.000, sans compter les blessés. Le régime et ses alliés étrangers, principalement russes, avec ses attaques aériennes, et iraniens en sont majoritairement responsables. Il faut aussi rappeler ceux qui depuis des années croupissent dans les geôles du régime : torturé-es, disparu-es ,exécutées (cf rapport Cesar [1]).
La Syrie est devenue après 6 ans de conflit, un pays en ruines , un lieu d’affrontements multiples, post colonisation, post guerre froide, post-guerre d’Irak, triste illustration des rivalités internationales, des conflits énergétiques, des compétitions entre puissances régionales, sur fond de luttes confessionnelles, de revendications nationales, de combats des minorités, et d’implantation de l’État Islamique .
Un soulèvement démocratique et aussi social
Cette complexité ne doit pas faire oublier que les Syriens se sont révoltés contre la dictature implacable d’un clan appartenant à la minorité alaouite soutenue par une partie de la bourgeoisie sunnite qui s’est maintenu grâce à l’armée et au parti Baas et règne sans partage depuis 40 années. Dans le contexte du « printemps arabe », les premières manifestations pacifiques pour la démocratie et la liberté ont été dès le début réprimées sauvagement par les armes. Mais le peuple syrien s’exprimait aussi contre la captation des richesses par des clans au pouvoir, les difficultés sociales intensifiées par la spéculation financière mondiale sur les denrées alimentaires) et la pauvreté.
La crise sociale est exacerbée par des sécheresses dues au réchauffement climatique mais aussi en raison de l’épuisement des nappes phréatiques provoqué par la politique clientéliste de Bachar el Assad. Son gouvernement a favorisé les cultures les plus consommatrices en eau, en les subventionnant, défavorisant par la même les Kurdes du Nord Est.
Ces problèmes d’eau ont toujours envenimé les conflits régionaux. Les 2 fleuves, le Tigre et l’Euphrate, indispensables à la vie des habitant-es, sont alimentés par les sources turques. Ce qui donne un pouvoir à la Turquie sur cette ressource essentielle. Ils continuent aujourd’hui d’être des zones convoitées au centre des combats. En effet, l’ONU prévoit une diminution du débit de l’Euphrate de l’ordre de 50 % à l’horizon 2025 – s’assurer du contrôle de l’eau sera donc une nécessité. Sans des négociations sur usa gestion raisonnée, la survie des populations dans la région sera réellement menacée.
Mais ces questions ont été rapidement évacuées. La violence de la répression, l’échec flagrant du conseil de sécurité, les timides initiatives diplomatiques des démocraties occidentales et les interventions d’allié-es chiites, comme celles des voisins sunnites, ont laissé penser que le conflit était religieux. Aucune oligarchie régionale ne souhaite l’instauration d’une démocratie en Syrie, ni que s’interroge la répartition des richesses dans le Moyen Orient pétrolier. Bachar El Assad a alors profité de Daesh dont il avait favorisé l’apparition en libérant des centaines de prisonniers membres de mouvements islamistes, pour se présenter comme l’unique recours contre les Djihadistes. Il a, d’ailleurs, toujours traité les opposants de « terroristes » semant aussi la confusion.
L’auto-organisation de la société civile
Cette propagande a occulté des millions de Syriens et Syriennes ordinaires qui se battent pour survivre. Victimes, bien sûr, mais aussi résistant au quotidien. Très tôt, des dizaines d’organisations de la société civile ont remplacé l’état défaillant : défense civile, associations médicales, initiatives éducatives, médias alternatifs, réseaux de solidarité sociale, pour l’accès à l’eau, à l’énergie, à l’alimentation…
A partir de conseils locaux, une forme d’autogestion s’est mise en place[2]. Même dans le chaos actuel, des réseaux se maintiennent, aidés par des exilés, à Beyrouth, à Istanbul, et ailleurs.
Déjà participatifs et structurés par voie élective sur des bases techniques, non idéologiques et non confessionnelles, leurs objectifs ont rapidement été d’administrer tous les aspects de la vie civile, de distribuer à tous l’aide intérieure et extérieure, publique et privée, sur des critères de justice et de transparence, de développer les compétences dans tous les domaines de l’administration, pour ainsi créer le noyau des futures municipalités, regroupées en Gouvernorats de province (Alep, Idleb..) en lien avec le Gouvernement provisoire, dans l’attente d’un gouvernement nationalement élu.
Depuis 2016, le Gouvernement provisoire est choisi parmi les élus des Conseils locaux par la Coalition Nationale Syrienne, reconnue par l’UE et les USA comme représentant légitime de l’opposition. Sont ainsi rassemblés l’opposition politique de la diaspora et l’opposition intérieure organisée au service des populations civiles des territoires libérés. Distincte des instances de négociation de l’opposition, cette structuration civile se veut l’ébauche d’une Syrie libre et démocratique.
Malgré la chute d’Alep fin 2016, des millions de civil-es syrien-nes, la plupart déplacé-es, survivent encore dans des territoires libérés d’Assad où ils se sont regroupés fuyant les exactions du régime, quoique ballottés entre la protection de l’Armée syrienne libre et l’emprise locale de groupes djihadistes. Ils tentent, à travers leurs Conseils locaux et leurs ONG, en sollicitant l’aide extérieure,, trop limitée, et la diaspora, non seulement de résister à des conditions de vie, terribles, mais aussi de maintenir l’espoir d’une transition démocratique, dans les négociations en cours.
Les négociations d’Astana
Face aux atermoiements des autres puissances, aux intérêts régionaux divergents, et au changement de l’administration Etatsunienne , la Russie s’est imposée comme incontournable. La chute d’Alep, symbole de l’opposition, reprise par le régime, modifie les rapports de force. Les frappes de l’aviation russe, l’appui militaire des forces libanaises ( Hezbollah), iraniennes, afghanes sauvent Bachar El Assad.
Après avoir négocié, avec un succès relatif, un cessez le feu, fin 2016, la réunion que la Russie avait convoquée à Astana, début février, s’est soldée par un échec. Mais la présence à cette réunion des ennemis d’hier, l’Iran et la Turquie, représentant-es de l’arc chiite et sunnite, marque une rupture et souligne l’erreur de privilégier une analyse confessionnelle du conflit..
Le jeu trouble de la Turquie
Après avoir encore affirmé en août 2016, la nécessité du départ de Bachar El Assad et celle d’un vote du peuple syrien, Recip T Erdogan semble privilégier la lutte contre les partis kurdes. En particulier depuis la tentative de coup d’Etat du 16 juillet 2016 qui le visait, l’ amenant à être plus critique vis-à-vis des USA et à esquisser un rapprochement avec la Russie de Poutine
L’armée turque en Syrie est intervenue, dans une opération baptisée « Bouclier de l’Euphrate », pour contrôler la progression de l’YPG[3] qu’Ankara considère comme une émanation du Parti des travailleurs du Kurdistan turc (PKK). Après la prise d’Al Bab , à 30 km de la frontière turque, la Turquie souhaite participer aux opérations de la coalition sous commandement américain contre Rakka et Manbij. Et exige que les forces kurdes se retirent de cette ville qu’elles avaient pourtant contribué à délivrer. Il s’agirait d’établir une « zone de sécurité » dans cette région du nord-ouest de la Syrie pour les civils déplacés , d’où les djihadistes de l’EI et les combattants kurdes auraient été chassés.
Ces demandes ont de bonnes chances d’ aboutir avec l’élection de Trump, dont on connaît la proximité avec Poutine. Déjà l’installation de population turkmène dans cette région avait été autorisée par le gouvernement Obama et son vice-président avait averti les Kurdes qu’ils perdraient l’appui américain s’ils ne se retiraient pas de l’ouest de l’Euphrate.
La Turquie est une puissance régionale que personne ne veut mettre de coté. Certes, les critiques de l’UE s’accentuent, même celles de l’Allemagne, mais la gestion des migrants qui lui a été confié apparaît comme un piège dont il est difficile de sortir. Pourtant, beaucoup l’accusent d’avoir laissé passer les combattants rejoignant l’État islamique. Alors qu’elle fermait ses frontières aux défenseurs et aux réfugié-es de Kobané assiégée. Ou, que, selon certaines sources, elle cessait d’alimenter Alep-Est en armes et provisions en échange d’un soutien russe contre les kurdes.
Fin août 2016, un Rapport parlementaire allemand concluait à l’islamisation de la politique intérieure et extérieure turque. Ce n’était qu’une confirmation de ce qu’on savait déjà : depuis que l’AKP est arrivé au pouvoir à la fin 2002, sa politique étrangère s’est basée sur ce que l’ancien ministre des Affaires étrangères et architecte de la politique étrangère, Ahmet Davutoglu, appelle «profondeur stratégique ». Vision qualifiée par certains de neo-ottomanne car elle se déploie tous azimuts au dans l’ancien espace ottoman qui va du Moyen-orient à l’Afrique. Ceci explique en partie la proximité du président Erdogan et de l’AKP (son parti) avec les Frères musulmans, leur soutien aux groupes de rebelles islamistes en Syrie ( hors EI), et l’accueil des dirigeants du Hamas à Ankara. La surprise provient plutôt du silence qui entoure généralement ce jeu trouble.
L’intervention militaire turque semble annoncer une volonté de s’emparer des zones frontalières à dominante turkmène pour contrer l’installation d’un Kurdistan syrien à ses portes.
Le Kurdistan syrien
Cent ans après l’accord franco-britanniques partageant le Kurdistan entre quatre pays, les guerres, s’ajoutant aux discriminations vécues par les minorités kurdes, ont exacerbé les revendications d’autonomie. En Irak puis en Syrie, bien que classés par les institutions internationales comme groupes terroristes[4], la résistance kurde a reçu l’appui de la Coalition, car en première ligne pour repousser Daesh. Aujourd’hui les Forces démocratiques syriennes (FDS), mêlant combattants kurdes, majoritaires, et arabes laïques, mènent une offensive pour la reconquête de Raqqa, la capitale de l’organisation Etat islamique.
Mais leurs avancées militaires et leur organisation de plus en plus structurée face aux violences et au chaos syrien, se heurtent à des oppositions fortes. Territoriales, d’abord, puisqu’en 2016, le PYD et ses alliés ont annoncé la mise en place d’une région fédérale pour le nord de la Syrie et le Rojava (le Kurdistan syrien), menaçant l’unité des pays de la région. Et idéologiques, leur « gouvernement » se déclare être le seul démocratique, élu par la population, composé de façon pluriethnique, multiconfessionnel[5] et paritaire, ce qui ne plait guère à ses voisins. Ni aux États Unis qui, pour ne heurter aucun membre de sa coalition, refusent de le reconnaître. Comme de nombreux acteurs internationaux qui redoutent la fragmentation de la Syrie et une contagion dans le reste du Moyen Orient, ce qui menacerait beaucoup d’intérêts.
Les kurdes sont critiqués, accusés de crimes, sur la base de rapports d’Amnesty, soupçonnés de ménager le régime, etc. Il n’est évidemment pas question de défendre quelque exaction que ce soit. Mais comme pour l’ASL ou d’autres, la réalité est complexe et il n’y a pas d’innocents dans une guerre. On ne peut nier les tentatives d’organisation démocratiques dans le Rojava. Comme l’auto-organisation de la société civile Syrienne, c’est un espoir dans un Moyen Orient où elle est systématiquement bâillonnée et férocement réprimée. Région autonome dans des états nationaux, fédération régionale trans-étatique, les négociations ne pourront enterrer les revendications kurdes.
Aujourd’hui, elles ne sont pas prises en compte, et le combat pour l’autonomie entre en contradiction avec la lutte contre la dictature. Ainsi, en réaction à l’intervention directe de la Turquie, allié à l’ASL, chassant l’EI de villes en zone kurde, le FDS[6] vient de déclarer laisser passer les forces de Bachar El Assad, afin qu’ils leur servent de tampon.
Washington voit de nouveau deux de ses alliés antagonistes se faire face : d’un côté, certains rebelles syriens et la Turquie, de l’autre les Kurdes syriens et leurs alliés. Et au milieu, Bachar El Assad qui profite des divisions et de la protection russo-iranienne pour regagner du terrain, comme à Palmyre. Et massacrer les populations syriennes.[7]
L’Arabie Saoudite : l’ allié fidèle ?
Lors ce quinquennat, l’Arabie Saoudite est devenu le pivot de la politique étrangère française au Moyen-Orient au détriment du Qatar, et ironie du sort, épicentre de la Coalition qui combat l’Etat islamique.
Or S’il y a bien un membre de la Coalition qui abomine les tentatives démocratiques, c’est l’Arabie Saoudite. Pour cette théocratie pétrolière aux mains d’un clan, qui bafouent quotidiennement les droits humains, et notamment sa minorité chiite (+20% de la population) – censure, répression, tortures, exécutions – et nient tout droit aux femmes, tout mouvement démocratique représente un danger. Fidèle allié des puissances occidentales, dont elle est l’un des fournisseurs et des meilleurs clients, elle s’appuie sur un Islam intégriste dont est issu l’ État islamique qu’elle qu’elle a contribué à financer par le biais des fondations caritatives qui gravitent autour du pouvoir wahhabite. Pressé par ses alliés traditionnels nord-américains et européens, et menacée à son tour par sa créature, elle s’est engagée dans la coalition. Cependant, on peut douter que ses objectifs soient les mêmes que ceux de la population syrienne.
En fait, le régime Wahhabite défend aussi ses intérêts économiques. L’Arabie Saoudite domine la production de pétrole et le Qatar celle du gaz. Avec la signature de l’accord sur le nucléaire iranien, l’Iran redevenait un concurrent possible et projetait de construire un pipeline traversant l’Irak et la Syrie pour s’assurer un débouché vers la méditerranée. Il s’agissait alors en intervenant en Syrie de contrer le plan iranien.
Face à la politique indéfendable du royaume, l’indulgence du gouvernement français, si prompt à dénoncer le terrorisme et l’islamisme, s’explique aussi par la défense d’intérêts purement commerciaux.
Devenu un partenaire de premier plan, en particulier dans les domaines militaire et de l’énergie nucléaire, c’est, depuis 2014, le premier importateur mondial d’équipements militaires ( 6 milliards de dollars) et le premier client de la France au Moyen-Orient : 8 milliards d’euros d’armement lui ont été vendues depuis 2010. Lequel peut être utilisé contre les populations civiles du pays, ou des pays voisins comme le Yémen, subissant les bombardements meurtriers de la coalition qu’il dirige, dénoncés à plusieurs reprise par des rapports d’Amnesty International.
L’Iran : « l’arc Chiite »
L’Iran a poussé son allié chiite libanais du Hezbollah à se joindre aux combats, aux côtés de sa force d’élite des gardiens de la révolution. Avec la mobilisation de milices chiites irakiennes, afghanes et pakistanaises, l’ensemble des forces pro-iraniennes en Syrie est estimé entre quinze et vingt mille hommes.
L’engagement iranien s’est aussi traduit par des milliards de dollars d’aides pour soutenir une économie de plus en plus vacillante, ainsi qu’une présence de plus en plus marquée des acteurs iraniens sur le marché syrien, ce qui a accru la dépendance de Damas.
La survie du régime syrien est considérée par Téhéran comme participant directement de la défense de ses intérêts et de la préservation de son importance stratégique dont l’axe chiite fait partie, incluant le Hezbollah libanais (bien que le soutien de l’Iran au Hamas et l’alliance Hezbollah/Hamas nuance cette thèse de l’axe chiite). .Le régime Al-Assad est devenu la « ligne de front de la résistance » contre les Etats-Unis et Israël, a dit avec force le sous-commandant en chef du Corps des gardiens de la Révolution islamique d’Iran (CGRI).
Toute la question est de savoir si Bachar Al-Assad est lui-même jugé irremplaçable par Téhéran ou si une solution de rechange satisfaisante pourrait être envisageable. Le vice-ministre des affaires étrangères iranien, a assuré que l’Iran « ne travaille pas à maintenir Al-Assad au pouvoir pour toujours ».
Le durcissement annoncé de la politique du gouvernement Trump à l’égard de l’Iran, en particulier la remise en cause de l’accord sur le nucléaire finalisé par le président Obama, risque de renforcer les positions pro-Assad iraniennes.
Quel objectif pour l’intervention française ?
François Hollande, en septembre 2015[8], invoquant l’accroissement du risque terroriste en France, a décidé, d’étendre l’opération « Chammal », initiée en Irak, à la Syrie. Si l’on regarde les chiffres des frappes ( 4,9 % du total) et des objectifs détruits par l’aviation française (4,6 %), on constate leur faiblesse. Ce qui est confirmé par la modestie de la base aérienne de Jordanie où sont posés 8 mirages, dont 2 ( sur 6) ont été retirés de l’opération Barkane au Mali. Il est clair, que la France n’a pas les moyens de mener une politique militaire interventionniste au Moyen-Orient. Pour ses frappes, elle dépend cruellement des renseignements américains, qui réoriente les frappes françaises en fonction de ses besoins. D’où des questions que posent des gradés et de nombreux journalistes sur l’opportunité et l’utilité réelles de ces opérations : s’agit-il de participer à une stratégie élaborée et exécutée en commun (ce qui n’est pas le cas, les forces françaises n’étant nullement associées aux décisions de la Coalition) ou simplement d’afficher sa présence et affirmer sa puissance ?
On sait qu’aucun conflit ne peut se régler durablement par la seule force armée. Il faut réfléchir au type de régime envisagé, à la place des religions dans les institutions, au respect de toutes les communautés aux groupes rebelles que l’on peut aider, en plus des laïcs et démocrates, à ceux qui peuvent être des alliés provisoires et à ceux avec lesquels nulle coopération n’est possible. Définir des objectifs de moyen et long terme, élaborer une stratégie pour l’après-guerre, des propositions à négocier .Et enfin tout mettre en œuvre pour préparer la paix en levant le voile sur les enjeux économiques et stratégiques qui alimentent le conflit.
Un plan russe
L’Iran, la Turquie et la Russie, en dépit de leurs prises de position diamétralement opposées sur le dossier syrien, ont des intérêts convergents : elles sont interdépendantes sur les plans économique et énergétique, ce qui les contraint à coopérer. Mais elles sont aussi obnubilées par la lutte contre les mouvements islamistes djihadistes, notamment la Russie de Poutine, qui ayant vécu l’expérience tchétchène, s’active pour rassurer les 20 millions de musulmans russes. Aussi s’accordent -elles sur le fait que la solution doit être « régionale », c’est-à-dire initiée par elles mêmes, et non « parachutée » par les Occidentaux.
Le plan initié à Astana doit garantir à chacune de ces puissances régionales une sphère d’influence en Syrie, une « part du gâteau » sur le marché de la reconstruction du pays et un rôle actif et influent dans les futures négociations sur la reconfiguration politique du pays.
Chacun des trois pays semble convaincu de la nécessité d’en finir avec la guerre
Ankara mesure l’ampleur de l’ « effet boomerang » de la crise syrienne sur sa sécurité, sur le poids économique des 3 millions de réfugiés qu’elle accueille. Surtout, elle considère depuis quelques mois qu’un rapprochement avec le régime de Bachar el-Assad n’est pas si grave pour contenir les Kurdes dont l’expansionnisme représente un danger bien plus important.
Quant à la Russie, elle mesure aussi le coût économique de ses frappes en Syrie et s’inquiète de la résurgence du Djihadisme sur son sol si la crise syrienne se prolongeait. Elle pourrait se contenter de la conserver ses entrées en Syrie, son influence, ses intérêts économiques et commerciaux, dont les passages pour un accès maritime. Et s’affirmer de nouveau comme une puissance de dimension internationale.
Enfin, si l’Iran est toujours en position de va-t-en-guerre, il partage avec Ankara la même inquiétude quant à la montée en puissance et l’éventuelle autonomisation des Kurdes. Par ailleurs, nombre d’experts font remarquer que la chute d’Alep permet à Téhéran de disposer d’un axe direct pour alimenter en armes son précieux allié au Liban, le Hezbollah. Et d’avoir l’assurance qu’Assad s’il devait être remplacé le serait par un autre dirigeant alaouite, les alaouites étant perçus comme proches de l’islam chiite iranien.
Pour le moment, le territoire de la Syrie est divisé en deux vastes zones, avec des dynamiques contraires à l’intérieur de chacune d’entre elles. La chute d’Alep a consolidé pour le régime un sanctuaire, même imparfait, la « Syrie utile ». Ce qui laisse le reste du pays sous l’emprise de nombreuses factions qui se combattent. Pour les russes, une nouvelle carte de la Syrie est en train d’être dessinée, dans laquelle le pays évoluerait de la fragmentation chaotique actuelle vers une forme plus ordonnée de cantonisation, dans le cadre d’une décentralisation générale.
Avec ou sans Bachar El Assad ?
Bachar Al-Assad approuve ce plan, lui qui a déclaré début Février que des accords locaux de réconciliation était « la manière la plus efficace de mettre un terme à la guerre et d’aller vers une solution politique ». Il cherche à obtenir que sa propre survie fasse partie de tout accord Poutine-Trump. Mais si cette perspective apparaît à certains comme un moindre mal, elle est loin d’être partagée par tous.
Le Secrétaire général de l’ONU avait affirmé lors du siège d’Alep que « l’usage systématique et aveugle d’armes dans des zones densément peuplées constituait un crime de guerre ». Une enquête onusienne est d’ailleurs ouverte. Un récent rapport d’Amnesty international a indigné l’opinion internationale en révélant les exactions commises par le régime dans une prison près de Damas. Les dizaines de milliers de prisonniers, en majorité des civils, y sont torturés régulièrement et 13.000 personnes y ont été exécutées «dans le secret le plus total». Ces accusations s’ajoutent à celles d »utilisation d’armes chimiques que l’enquête des Nations Unies vient de confirmer.
Malgré ces actes relevant de la justice internationale, le veto de la Russie et de la Chine viennent d’empêcher à nouveau le vote de sanctions par le Conseil de sécurité. Il faut cependant souligner que la Russie n’a pas remis en cause les résultats de l’enquête. Elle a déclaré le moment inapproprié, car pouvant gêner les négociations en cours de Genève 4. Cela illustre une fois de plus la nécessité de réformer les modes de décision du Conseil de sécurité et de supprimer le droit de veto.
Les pourparlers indirects entre l’opposition et le régime sous mandat onusien se sont achevés ce 4 mars sans résultats tangibles mais avec un bilan plus positif que les précédents selon la délégation du Haut comité des négociations (HCN, principale délégation de l’opposition). Pour la première fois, des points précis de discussion ont été posés, la gouvernance -thème flou pour évoquer une transition politique-, la Constitution, et les élections. Damas, fidèle à sa stratégie habituelle, la seule lui permettant de se maintenir, exigeant, lui, de discuter du terrorisme contre lequel il continue à se proclamer le meilleur rempart.
Motion
Le Conseil fédéral d’EELV, réuni les 11 et 12 Mars 2017 :
rappelle
sa condamnation absolue des atrocités et des violations massives des droits humains et du droit humanitaire international commises en Syrie par les forces du régime d’ASSAD et ses alliés ainsi que par les groupes terroristes intégristes
demande
- que les cessez le feu décidés fin 2016 soient respectés, les bombardements contre les populations civiles de territoires assiégés par Assad continuant ;
- que la France et l’UE préparent la paix en apportant soutien, fonds et expertise aux organisations démocratiques nées de la révolution syrienne, notamment :
- que l’aide humanitaire accordée par l’U E, les Etats membres et les pays développés aux organisations civiles syriennes (Conseils locaux et ONG) soit amplifiée, (nourriture et produits médicaux, services et équipements de santé et d’éducation, services et équipement publics essentiels, outils de gouvernance locale et de défense des droits humains) ;
- que le gouvernement français soutienne la transition démocratique de l’opposition civile, extérieure et intérieure (conseils locaux, gouvernement provisoire créé par la société civile dans les territoires libérés), ce qui suppose en particulier des élections libres et démocratiques sous supervision de l’ONU (et observation de l’U.E.) sur le territoire syrien, dans les camps de réfugié-es et dans leurs pays d’accueil , ainsi qu’une décentralisation véritable,
- que EELV favorise des rencontres entre les différentes composantes de l’opposition et leur participation aux négociations ;
- Eelv invite tous les militant-es à participer aux mobilisations de soutien au peuple syrien
demande
- que la question kurde et les revendications de leurs organisations soient prises en compte,
- qu’elles soient de nouveau reçues par le gouvernement,
- et par EELV
rappelle que les premières victimes des guerres sont les femmes, mais qu’elles sont aussi omniprésentes dans la résistance ;
demande
- que la place des femmes soient reconnues et qu’elles soient associées aux négociations
rappelle qu’il ne peut y avoir de résolution du conflit ni paix durable en Syrie si les crimes de guerre et contre l’humanité du régime d’Assad, emprisonnements, tortures, disparitions, violences sexuelles et pendaisons de masse comme utilisations d’armes chimiques, interdits par les conventions internationales, restent impunis ;
demande
que le gouvernement français
- fasse pression sur le régime syrien en gelant les avoirs des membres de son gouvernement
- soutienne toutes les actions des organisations démocratiques syriennes, les ONG, les associations de solidarité visant à faire condamner les crimes contre l’humanité,
- que les responsables des crimes de guerre soient traduits en justice,
- soit devant le TPI,
- soit, dans le cadre d’un mécanisme international, impartial et indépendant, par un procureur spécial Syrie nommé par l’AG des Nations Unies (Résolution ONU de mars 2011)avec un Tribunal spécifique pour la Syrie,
Rappelle la nécessité de supprimer le droit de veto du Conseil de Sécurité qui le paralyse
- que la France et les pays membres de l’UE réforment et utilisent les dispositions existantes en matière de « compétence universelle » des tribunaux nationaux ;
dénonce les entreprises comme Lafarge ont rétribué Daesh pour pouvoir maintenir leur activité,
rappelle sa condamnation du gouvernement turc pour sa politique anti-démocratique, la répression massive des oppositions auquel s’ajoute un référendum liberticide[9] ,
dénonce une politique de plus en plus autoritaire qui peut accentuer la volonté de R E Erdogan de main mise sur la Syrie frontalière comme son refus de négociations ;
rappelle que la transition énergétique indispensable face au réchauffement climatique doit s’accompagner d’une diminution drastique du pétrole et du gaz, sources de conflits comme d’une protection des ressources en eau.
demande
- que la question énergétique, production, achat, transport, accès maritimes, etc, soit traitée dans les négociations,
- que la France agisse pour qu’une négociation sur la question de l’eau soit initiée dans la région en conflit ,
- qu’elle propose au niveau international que l’eau soit considérée comme un bien commun non commercialisable[10];
rappelle sa condamnation de ventes d’armes à des régimes non démocratiques[11] ;
demande
- au gouvernement français de dénoncer explicitement la politique répressive et l’application de la peine de mort en Arabie Saoudite ;
demande
sur la question des Réfugié-es
- que le gouvernement respecte ses engagements d’asile politique, augmente de façon significative leur accueil (environ 7000 Syrien-nes sur 13 000 réfugié-es pour 66 millions d’habitants ) . Accueil qui doit se faire dans des conditions dignes et respectueuses.
- appuie la suspension des subventions communautaires aux pays ne respectant pas les quotas,
- dénonce la construction de murs aux frontières de l’Europe.
Unanimité pour
1 rapport « Cesar » : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/12/16/syrie-du-dossier-cesar-au-dossier-bachar_4833112_3218.html
2 Etude réalisée par Frantz Glasman pour la Délégation aux Affaires Stratégiques Ministère de la Défense oct 14.
3 Unités de protection du peuple forment la branche armée du Parti de l’union démocratique (PYD).
4 Un Appel des parlementaires européens d’EELV demandent que le PKK soit retiré de la liste des organisations terroristes de l’UE.
5 Il se compose d’arabes, de kurdes, d’arméniens, de turkmènes, de tchétchènes ou encore de syriaques.
6 Les Forces démocratiques Syriennes regroupent principalement des Kurdes , des rebelles arabes proches de l’Armée syrienne libre, des tribus locales et des chrétiens du Conseil militaire syriaque.
7 Toutes les enquêtes soulignent que le régime et ses alliés ont fait beaucoup plus de morts que l’E.I. même.
8 20 novembre 2015 – le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté une résolution dans laquelle il appelle tous les Etats qui le peuvent à lutter contre l’Etat islamique d’Iraq et du Levant (EIIL), aussi appelé Daech.
9 Voir la motion votée en décembre 2016
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Télécharger la motion :
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au Conseil fédéral des 11 et 12 mars 2017