Intervention du député EELV François de Rugy :
M. le président. J’ai reçu de M. François de Rugy une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.
La parole est à M. François de Rugy.
M. François de Rugy. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je ne vais pas revenir longuement sur les discussions qui se sont tenues au Sénat.
Puisque je défends une motion de renvoi en commission, je souhaite parler de ce que le rapporteur général a fait au nom de la commission. Je remarque que son rapport tient en une seule page, et cela me semble suffisamment rare pour être souligné. C’est tout de même assez incroyable. Je vous invite à le vérifier, chers collègues : son rapport tient dans l’introduction.
M. Gilles Carrez, rapporteur général. L’essentiel, c’est la suite !
M. François de Rugy. En réalité, vous essayez d’évacuer en une seule page le travail de nos collègues sénateurs, et vous devez être bien à court d’arguments pour simplement écrire : « Le Sénat n’a voulu que témoigner de choix politiques qui s’opposent aux choix de la majorité de l’Assemblée nationale. »
M. Guy Malherbe. C’est exactement le cas !
M. François de Rugy. C’est une réalité : la majorité sénatoriale, en effet, par ses choix, propose des mesures qui s’opposent aux choix de la majorité de l’Assemblée nationale.
En vérité, l’exercice auquel s’est livrée la nouvelle majorité sénatoriale est un peu un exercice de style. Nous savons bien qu’il s’agissait de faire un certain nombre de propositions concrètes, de contre-propositions, mais qu’il n’était pas possible de faire un véritable contre-budget, et nos collègues sénateurs l’ont reconnu lors de la discussion. S’il est un exercice qui relève de l’exécutif, c’est bien le budget, et tout le monde sait que c’est en cas de changement de majorité à l’Assemblée nationale, après les élections de 2012, qu’il serait possible de présenter une véritable alternative budgétaire. Celle-ci reposerait sur un certain nombre de mesures ponctuelles, s’agissant des niches fiscales, des recettes et des dépenses, mais surtout sur une réforme fiscale de grande ampleur qu’ont toujours refusé de mener ce gouvernement, en place depuis cinq ans, et cette majorité, au pouvoir depuis neuf ans et demi. Il vous faudra bien assumer devant les Français cette longue durée de dix années de gouvernement.
Je souhaite relever une phrase prononcée par Mme la ministre dans son introduction, d’autant plus que son discours s’est résumé à une longue énumération de salutations à l’égard des députés de la majorité. C’est très sympathique pour eux, mais il me semble que le rôle d’une ministre du budget, lors d’un débat budgétaire, doit aller un peu au-delà des salutations d’usage, qu’exige la courtoisie. Il devrait être d’apporter des arguments concrets, notamment sur le travail du Sénat.
Mme Valérie Pécresse, ministre. C’est ce que j’ai fait en demandant le rétablissement du texte !
M. François de Rugy. Madame Pécresse, vous avez déclaré que le projet du Sénat aurait pour effet de « briser net » la croissance. Ce sont vos mots. Vous ne manquez pas d’air ! Car pour ce qui est de « briser net » la croissance, vous vous y connaissez ! En l’occurrence, vous savez très bien où en est l’activité économique dans notre pays au terme de près de dix ans de majorité de droite, et depuis quatre ans et demi que Nicolas Sarkozy est Président de la République.
Vous avez dit aussi que « nous aurions pu travailler ensemble », avec les collectivités locales, sur les questions du budget, du déficit, de la dette. Mais que ne l’avez-vous fait ! En fait, vous n’avez jamais réellement souhaité travailler avec elles. M. Woerth, l’un de vos prédécesseurs, disait, dès 2007, que le problème en matière budgétaire résidait dans les dépenses des collectivités locales. Certes, on peut discuter de leur niveau d’endettement, mais reconnaissez que leur budget est toujours en équilibre.
Mme Valérie Pécresse, ministre. Mais qui paie la dotation globale de fonctionnement ? C’est l’État ! Qui s’endette ? C’est l’État !
M. François de Rugy. Mais la dotation globale de fonctionnement n’est pas la seule variable budgétaire d’une collectivité locale !
J’ai participé, lundi dernier, dans ma commune, au débat d’orientation budgétaire. Je peux vous dire que si l’on ne devait y parler que de la DGF versée par l’État, ça n’irait pas très loin puisqu’elle est gelée depuis plusieurs années et qu’elle ne suit pas l’inflation.
Mme Valérie Pécresse, ministre. Elle est gelée depuis un an !
M. François de Rugy. Quelques jours auparavant, j’avais assisté au débat d’orientation budgétaire de la communauté urbaine de Nantes. Là encore, et nos concitoyens le savent bien, on n’y parle pas que de la dotation globale de fonctionnement, mais de fiscalité. Nous assumons un certain nombre de choix en matière de dépenses, que nous maîtrisons, et en matière de recettes, que nous maîtrisons aussi. Vous pouvez d’ailleurs vérifier que nous n’augmenterons pas les taux durant les trois prochaines années.
En réalité, vous n’avez jamais voulu travailler avec les collectivités locales ni avec l’opposition. Nos amendements, depuis quatre ans et demi, sont systématiquement refusés, au seul motif qu’ils viennent de l’opposition. Or, vu la gravité de la situation dont vous êtes les principaux responsables, vous devriez, si nous étions dans une démocratie normale, tenir compte du Parlement, ce que Mme Merkel – puisque vous citez souvent l’Allemagne en exemple – est d’ailleurs obligée de faire.
M. Olivier Carré. Votez la règle d’or !
M. François de Rugy. En commission, le rapporteur général a bien vu que son diagnostic n’est pas si éloigné du nôtre. Malheureusement, la majorité se croit toujours obligée de soutenir le Gouvernement.
Si vous n’avez pas voulu entamer cette discussion républicaine, c’est parce que cela vous obligerait à revenir sur un certain nombre de dogmes, de totems auxquels vous restez agrippés depuis quatre ans et demi. Je pense, bien sûr, au paquet fiscal et à toutes les mesures complètement anachroniques que vous avez prises en cette période de difficultés budgétaires. Vous n’avez jamais voulu reconnaître les erreurs que vous avez commises au début du quinquennat, et que vous avez continué à commettre tout au long de la crise.
Nous avons déjà eu l’occasion de dire, lors des nombreux débats budgétaires que nous avons enchaînés depuis la crise de 2008, que vos budgets sont virtuels, et c’est le cas de ce projet de budget pour 2012. En effet, il est perpétuellement caduc. D’une certaine façon, vous êtes obligée de le reconnaître, puisque vous multipliez les projets de lois de finances rectificatives. Votre créativité a été sans limite puisque, pour la première fois, un projet de loi de finances rectificative était proposé avant même que le projet de loi de finances initial soit adopté. Du reste, cela vous a conduit à une acrobatie dans l’ordre du jour, et le rapporteur général s’est élevé contre ces méthodes en commission, puisque nous devions voter des modifications alors même que les dispositions que nous devions modifier n’avaient pas encore été définitivement adoptées.
On pourrait presque en rire si le sujet n’était pas aussi grave, si la réalité n’était pas aussi prégnante. Nos concitoyens le voient bien, la réalité budgétaire pèse de tout son poids sur l’ensemble de l’économie, c’est-à-dire sur les entreprises, les salariés et les contribuables.
Venons-en au bilan des cinq budgets que vous avez défendus depuis 2007.
D’abord, les prévisions de déficit ont été systématiquement sous-évaluées et les prévisions de croissance systématiquement surévaluées, et cela quelle que soit la situation économique, qu’il y ait crise ou pas.
Vous avez commencé le quinquennat avec cette phrase fétiche : « Travailler plus pour gagner plus ». Or, en application de ce mot d’ordre électoral, vous avez fait des cadeaux fiscaux qui, bien loin de favoriser le travail, ont favorisé l’économie de la rente, le patrimoine. Et vous avez persisté dans cette voie. J’y reviendrai.
En 2007, Nicolas Sarkozy disait aux Français : « Endettez-vous ! ». Si l’on ne voulait pas s’endetter c’est qu’on n’avait pas confiance en l’avenir ! Ses propos ont aujourd’hui une résonance particulière. Souvenons-nous qu’avant le déclenchement de la crise, le Gouvernement avait un projet de subprimes à la française. C’est ce qu’on appelait à l’époque le crédit hypothécaire. Pendant sa campagne, Nicolas Sarkozy disait qu’il fallait faire comme aux États-Unis, c’est-à-dire s’endetter indéfiniment en gageant ses biens propres.
M. Jean-Pierre Gorges. Vous mélangez tout !
M. François de Rugy. On sait bien que cette sorte de cavalerie financière, appliquée à l’économie en général, nous a conduits à la crise en 2008. De façon plus modeste, on a vu à quel point vous avez freiné la réforme du crédit revolving.
M. Jean-Pierre Gorges. Vous allez chercher des exemples aux États-Unis pour expliquer la situation de la France !
M. François de Rugy. Ces rappels vous gênent. Pourtant, c’est la réalité ! Moi, je pense que l’heure du bilan a sonné, et qu’il est normal que l’on vous rappelle quels ont été vos engagements et votre politique depuis cinq ans.
En pleine crise, on l’a un peu oublié, vous avez lancé le grand emprunt. Du reste, vous n’étiez pas d’accord entre vous en la matière. On se souvient que M. Guaino avait entraîné une centaine de parlementaires à signer une tribune dans un grand journal français pour dire qu’il fallait au minimum 100 milliards d’euros. Le Premier ministre, que j’avais moi-même rencontré, puisqu’il avait reçu les dirigeants de tous les partis, avait indiqué, pour sa part, que le montant de cet emprunt ne devait pas dépasser 35 milliards. Depuis, on ne sait plus très bien où on en est. Quoi qu’il en soit, il y a quelque chose d’assez contradictoire à nous parler de rigueur après avoir lancé ce grand emprunt.
On va de plan de rigueur en plan de rigueur. Vous les multipliez. Et il s’agit bien de rigueur, puisque vous baissez les dépenses dans un certain nombre de domaines tandis que vous augmentez les impôts des classes moyennes. Mais, dans le même temps, comme vous êtes un peu fidèles à votre ligne de conduite de 2007, vous n’avez pas pu vous empêcher – c’est sans doute plus fort que vous – de faire, au mois de juillet dernier, un cadeau de 1,8 milliard d’euros à vos amis du premier cercle, en supprimant la moitié de l’impôt de solidarité sur la fortune.
M. Jean-Pierre Gorges. C’est faux !
M. François de Rugy. Et vous le faites alors même que la gravité de la situation et l’ampleur de la dette sont connues et archi-connues.
En première lecture, vous avez même réussi à créer une petite niche fiscale supplémentaire, dont le coût est de 150 millions d’euros. En effet, vous avez accordé aux personnes non propriétaires de leur résidence principale de ne pas être taxées sur la plus-value à l’occasion de la vente d’une résidence secondaire achetée depuis plus de cinq ans.
Votre ligne de conduite consiste donc à accorder des cadeaux fiscaux aux plus aisés tout en continuant à nous parler de rigueur – c’est encore une contradiction –, au risque d’étouffer l’activité et d’augmenter le chômage.
Depuis maintenant quelques mois, vous avez décidé de résumer votre politique à un seul mot d’ordre : conserver le triple A. C’est ce que vous dites, madame la ministre, reprenant ainsi le discours de vos deux prédécesseurs, Mme Lagarde et M. Baroin. Le Premier ministre ne cesse de dire que la politique de la France est indexée sur ce seul indicateur. J’en suis étonné, et je veux souligner à quel point c’est dangereux.
Étonné, parce que vous ne pouviez pas ignorer, il y a quelques mois, que la situation de la France était tellement dégradée en matière de comptes publics que ce triple A ne tenait qu’à un fil.
Mais c’est également dangereux. Car vous savez que les agences de notation ne rendent de comptes à personne. En outre, avoir les yeux braqués sur le triple A, tel un horizon indépassable, c’est prendre le risque inconsidéré de voir les taux d’intérêt de la France augmenter. Et c’est ce qui se passe, puisqu’il y a restriction du crédit, ce qui est un comble en période de crise. En 2008, il n’y avait pas de restriction du crédit. Aujourd’hui, elle frappe l’État. Il y a d’ailleurs à cela une certaine logique : la crédibilité de l’État est tellement entamée depuis quatre ans et demi que les investisseurs, les prêteurs, ne lui font plus confiance. Mais la restriction du crédit frappe également les ménages, les collectivités locales et les entreprises, qui se retrouvent étouffés. Là aussi, votre bilan est catastrophique.
Un mot, enfin, sur le débat européen. Vous essayez de déplacer la discussion sur ce terrain en polémiquant, y compris avec les dirigeants de l’opposition et notamment avec François Hollande, alors que vous savez très bien que, dans six mois, les traités qui sont imaginés aujourd’hui – ils ne sont même pas encore signés – seront renégociés. Vous avez été systématiquement à contretemps sur le terrain européen, comme sur l’industrie, que vous faites semblant de défendre bien tardivement.
S’il y a bien une politique qu’il faut revoir entièrement, c’est bien la politique budgétaire et fiscale. Pour notre part, nous présenterons aux Français des propositions concrètes dans le cadre des prochaines élections. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)