Les 3e et la 4e générations de « la pilule » sont actuellement autant prescrites que la 2e génération. Il est légitime de s’en étonner quand on sait qu’il y a environ 2 fois plus d’accidents vasculaires avec ces nouvelles générations qu’avec la précédente, dite de « 2e génération ». Ce n’est pas juste l’opinion de quelques-uns : depuis 2007, la Haute Autorité de Santé alarme le corps médical sur cette question et recommande de réserver les nouvelles pilules aux seuls cas où l’ancienne est mal supportée. De plus, la revue Prescrire, seule revue médicale réellement indépendante de l’industrie pharmaceutique, alarme ses lecteurs depuis des années sur le fait que les nouvelles pilules n’apportent pas de bénéfice par rapport à la génération précédente, mais augmentent les risques d’accidents de thrombose et d’embolie.
Les médecins savent bien que tout médicament actif peut aussi avoir une toxicité et que le risque zéro n’existe pas. C’est pourquoi, depuis longtemps, la génération militante qui s’est battue pour la libéralisation de la contraception et qui a le souci de la santé publique, redoute le fait que la pilule favorise de sérieux problèmes de santé, dont les accidents vasculaires cérébraux chez certaines femmes. Il est clair que la contraception mérite qu’on limite autant que possible les risques, d’autant plus qu’elle concerne des femmes jeunes, a priori en bonne santé. La culture médicale ne transmet-elle pas de génération en génération la devise en latin « primum non nocere » : d’abord, ne pas nuire ! De l’autre côté, on ne peut pas oublier que la libéralisation de la contraception a été un immense progrès social, en particulier pour les femmes, en évitant des grossesses non désirées, qui représentent non seulement une souffrance des personnes, mais encore un véritable problème de santé publique. Ceci, qu’elles gardent l’enfant ou qu’elles veuillent avorter… Dans les années 70, l’arrivée de « minipilules » oestroprogestatives beaucoup moins dosées, dites de 2e génération, a bien limité les risques, aboutissant au meilleur compromis entre progrès social et moindre risque pour la santé.
Dès lors, pourquoi passer à la 3e, puis à la 4e génération de pilule ? Comment ne pas s’étonner que ces nouvelles pilules aient été autorisées sans restriction, remboursées par la Sécurité Sociale et largement prescrites ? Comment ne pas s’alarmer quand on apprend que les pilules de 3e et 4e génération coûtent de 4 à 7 fois plus cher (et jusqu’à 10 fois) que celles de la 2e génération ? Comment ne pas faire le lien entre l’augmentation considérable du budget qu’elles ont apporté à l’industrie pharmaceutique et cette anomalie de santé publique dans les prescriptions ?
Certes, les médecins ont seulement suivi les recommandations de l’industrie pharmaceutique et ont agi dans le cadre des autorisations de la commission officielle d’ « autorisation de mise sur le marché », de la Sécurité Sociale et du ministère de la Santé. Mais il faut voir ici un nouveau signe de la grave maladie qui ronge la politique de santé française et européenne : les conflits d’intérêt entre l’industrie du médicament et la santé publique. Après le scandale du Médiator, cette nouvelle illustration montre qu’il est urgent de sortir du laisser-faire qui domine depuis des décennies.
La première mesure à prendre est d’exiger que tous les experts, responsables administratifs et membres des cabinets ministériels, déposent sans retard leurs déclarations d’intérêts et que celles-ci soient rendues publiques car la confusion entre les intérêts de l’industrie et ceux des patients se protège dans le secret pour perdurer. Depuis le scandale du sang contaminé, les responsables des politiques de santé ont de plus en plus tendance à se responsabiliser du fait de la multiplication des procès dans ce domaine. Mais ce n’est pas la solution. En effet, à tous les niveaux, du médecin au ministre, chacun pense aujourd’hui à se couvrir juridiquement, de peur d’être attaqué en justice. Mais l’addition de toutes ces mesures de protection aboutit à renforcer la surconsommation de soins inutiles sans nécessairement faire progresser la santé de la population. Il serait bien plus efficace de regagner la confiance des malades dans la médecine en développant la transparence et l’intérêt général.
Marisol Touraine a décidé le déremboursement des pilules de 3e et 4e générations et demande aux médecins de respecter la recommandation de ne pas les prescrire en première intention pour les réserver aux cas où la pilule prescrite ne serait pas bien supportée. Cette décision va plutôt dans le bon sens, mais constitue une demi-mesure. Si les nouvelles pilules sont à la fois plus dangereuses et plus chères que les précédentes, pourquoi tout simplement ne pas les retirer du marché ? Il n’a pas été prouvé qu’elles étaient mieux tolérées, sinon dans les témoignages de médecins liés à l’industrie. Le déremboursement va inévitablement être utilisé par certains pour dire que le ministère veut faire des économies sur le dos des femmes, ce qui augmentera encore la perte de confiance dans les décisions politiques comme dans la pilule de 2e génération elle-même, entraînant par là une augmentation des intolérances. La politique de santé demande plus que toute autre de la clarté et de la lisibilité, car la confiance joue un rôle très important dans le système de soins comme elle pourrait le jouer dans la prévention si on développait cette dernière.
C’est pourquoi l’enjeu est aussi plus large pour la santé publique. Tout d’abord, sur le plan financier, compte tenu de l’importance des sommes en jeu, il est important de prendre des mesures pour rationaliser la surconsommation de médicaments. Les Français consomment par habitant environ 2 fois plus de médicaments par an que, par exemple, les Néerlandais. Or, leur système de santé n’est pas indigent et les indicateurs de santé sont plutôt meilleurs chez eux. Les conséquences financières ne sont pas anecdotiques car le budget des médicaments en France représente environ 40 milliards d’euros par an, dont environ 20 milliards à la charge de la Sécurité Sociale. Si l’on faisait diminuer seulement de 10 % la consommation de médicaments, on serait encore infiniment loin de la pénurie, mais l’on dégagerait environ 2 milliards dans le budget de la Sécurité Sociale. Cette somme est à comparer avec l’engagement pris pour les dernières élections dans l’accord PS-EELV de réaliser un nouvel investissement dans une véritable politique de prévention de 1 % du budget des soins, soit 1,7 milliard d’euros par an. L’économie de 10 % sur la consommation médicamenteuse ne diminuerait pas la qualité des soins et permettrait sans douleur cet investissement, avant que Marisol Touraine ne l’ait oublié…
A l’heure où la situation sanitaire est marquée par l’épidémie de maladies chroniques, qui sont en réalité des maladies de civilisation, nous ne pouvons pas fermer les yeux sur une politique de laisser-faire vis-à-vis du lobby pharmaceutique. Nous devons revaloriser le rôle des instances publiques chargées de l’intérêt général et les rendre réellement indépendantes des intérêts financiers. Nous devons rééquilibrer la politique de santé entre les soins et la prévention. Nous devons instaurer une nouvelle politique du médicament dans l’intérêt de la santé de la population. Ces réformes appellent la plus grande transparence et un réel courage politique. La pilule est une très bonne occasion de changer les mauvaises habitudes et d’amorcer sérieusement ce virage.
Président de la Commission Nationale Santé Europe Ecologie – Les Verts
Médecin de Santé Publique, Conseiller Municipal de Caen
3 réflexions au sujet de “Pourquoi ne pas utiliser la pilule la moins dangereuse, qui est aussi la moins onéreuse ?”
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certes je comprends votre point de vue et je suis pour un meilleur suivi de ces médicaments (qui de toute façon seront selon moi tous voués à disparaitre quand on connaîtra réellement leur effets secondaires…).
Pour autant, ce n’est pas si simple, je prends moi-même une pilule 3e génération et il y a une véritable raison: je ne tolère pas les pilules au dosage normal (2e génération) et je ne peux prendre que des micro dosées (3e génération) comme quelques une de mes amies d’ailleurs. Il est courant de prendre une pilule moins dosée quand on est très sensible aux changements d’hormones ou aux très nombreux effets secondaires de la pilule. Elles sont plus chères et ce n’est certainement pas un plaisir de payer plus mais lorsque ça fait 7 ans qu’on est avec son petit ami par exemple, la pilule peut être attractive comme moyen de contraception comme on le sait..
Maintenant que l’on a tous pris connaissance de ce scandale, pour nous ce n’est pas si simple, on ne peut pas revenir à une pilule normalement dosées comme cela, il faut que l’on fasse des tests et toutes ne toléreront pas les dosages de base qui, si vous y étiez sensibles, vous paraitraient élevés… alors nuançons tous nos propos, il n’y a pas toujours une raison à tout mais il faut souvent creuser profondément. Maintenant, encourager la liberté et l’indépendance de la recherche médicale et du milieu pharmaceutique oui, mais en tenant compte des conséquences déjà crées sans interdire de façon radicale et instantanée.
Cordialement et pour information,
Circé Debrix
Pourquoi aller se polluer le corps avec des hormones chimiques puis les eaux de boisson ( les stations d’épuration n’éliminent pas toutes les hormones retrouvées dans les eaux usées) quand on consacre sa vie à rechercher comment vivre en respectant au maximum la nature… Vous ne pouvez pas décemment soutenir l’emploi de la pilule, de quelle génération que ce soit !!!
Que la pilule soit cause de mortalité n’est pas l’apanage des formules nouvelles , les premières ont déjà provoqué nombre de maladies graves et des morts … Ce serait vraiment bien qu’au moins les Verts tiennent un discours de vérité sur ces produits soit disant libérateurs de la femme…
Mais pourquoi utiliser la pilule tout court ?
Et pourquoi pas le DIU (Dispositif Intra Utérin)
plus connu sous la marque commerciale Stérilet ?