par Esther Benbassa, Eva Joly et Noël Mamère
tribune publiée dans Libération le 27 janvier 2011
Le thème de la laïcité revient au centre du débat politique. Mais l’a-t-il jamais quitté ? Il hante depuis des années le cœur du nationalisme (ré)émergent des pays européens et la France ne fait l’impasse sur aucune de ses déclinaisons possibles. De la loi contre le port de signes religieux distinctifs à l’école à celle interdisant la burqa, des «émeutes de banlieue» et des prières de rue devenues les symboles d’un islam d’«occupation» à la dénonciation en boucle du «terrorisme musulman», nous remâchons notre incapacité à sortir d’obsessions entretenues avec art par la droite et l’extrême droite.
La campagne présidentielle qui s’annonce risque fort d’exacerber un peu plus ce genre de passions, faute de projets politiques et économiques susceptibles de donner de l’espoir aux Français, plongés dans le pessimisme. D’autant que la gauche elle-même tombe dans ce piège où la laïcité et les valeurs de la République se confondent avec ces dérives que sont le laïcisme et le républicanisme. Nouveaux dogmes d’une France drapée dans son conservatisme, qui se cogne la tête au mur de ses peurs et de ses fantasmes.
L’Europe elle-même semble décidément bien lasse, sans appétit pour ce potentiel de jeunesse et de vitalité que représentent ses populations issues de l’immigration. Pourtant, on ne gagne pas contre la jeunesse. Les «générations perdues», qu’elles soient, de fait, «venues d’ailleurs» ou «autochtones», sont toujours des bombes à retardement ; les exemples tunisien et algérien sont là, hélas, pour nous le rappeler. Sommes-nous donc vraiment condamnés à vivre entre «vieux», contemplant notre passé glorieux, rêvant de nos colonies perdues et de notre grandeur disparue ?