Après les concertations et les rapports, voici venu le temps des actes. Il faut que le « plan national pour l’éducation artistique et culturelle » promis par François Hollande prenne de la consistance et que les ministères concernés (Éducation, Culture, Jeunesse et Éducation populaire, Universités, sans oublier l’Agriculture) s’impliquent dans sa mise en œuvre, résolument et solidairement. Les enjeux de l’entreprise sont de deux ordres.
Pour l’Éducation nationale, au sein des établissements comme à l’extérieur, dans le cadre des enseignements mais aussi en complément et au delà des disciplines, il s’agit d’intégrer la dimension artistique, sous ses diverses formes (pratiques personnelles et collectives, découverte des œuvres du patrimoine et de la création contemporaine, partenariat avec des artistes, histoire des arts). Et ce, à tous les niveaux du système scolaire, du cursus universitaire et de la formation professionnelle, afin de favoriser l’émergence de l’école imaginative, alliant savoir et créativité, que réclament les mutations du monde contemporain. Il s’agit d’introduire au cœur de l’œuvre éducative, de ses rythmes, ses horaires et ses espaces, un antidote au formatage des esprits et des modes d’expression par les industries du divertissement.
Pour les politiques culturelles, il en va de la légitimité et de l’avenir du projet de démocratisation qui sous-tend l’engagement public depuis plus d’un demi-siècle. On ne saurait se contenter d’accumuler les offres d’art et de culture envers les adultes sans s’assurer que l’ensemble des enfants et adolescents aient été préparés à s’en saisir. Depuis des décennies, les expériences originales se multiplient et les évaluations positives se succèdent. Leur généralisation à tous les élèves, « de la maternelle à l’université », est à l’ordre du jour. Elle sera bien sûr progressive. Mais comment procéder ?
Outre l’inscription bienvenue de ces objectifs dans la loi d’orientation sur la refondation de l’école et le « socle commun de connaissances et de compétences », outre l’indispensable coordination avec les collectivités territoriales, afin que la palette des activités offertes à la jeunesse croisse en variété comme en qualité, plusieurs résolutions s’imposent au gouvernement s’il veut réussir la réforme espérée de tous côtés.
Il faut d’abord définir les parcours d’éducation artistique et culturelle. Officiellement adopté, ce terme de « parcours » a le mérite de répondre au besoin d’inscrire l’initiation aux arts dans la durée et le cadre de la scolarité, de même qu’à la nécessité d’articuler entre elles les activités scolaires, péri et extrascolaires. Une charte nationale devrait en préciser les principes et les critères, afin qu’il ne se limite pas à une addition de visites de monuments, de sorties au spectacle ou de séances d’ateliers fragmentées. Un parcours doit être une suite articulée d’expériences dans les divers domaines de l’art, permettant à chaque enfant ou adolescent de s’exprimer (seul et en relation avec d’autres), d’éprouver (voir, entendre, ressentir) et de réfléchir (apprendre l’histoire, comprendre les techniques, interpréter les codes) : bref, de se construire et de s’élever dans une démarche dont il peut décrire la cohérence et partager le sens, pour transformer son expérience en connaissance.
Le parcours de chaque élève doit être ensuite validé. Pour valoriser ces expériences et leurs acquis, à la fois aux yeux des enfants, des parents, des enseignants, des artistes et des institutions qui les encadrent, il importe qu’elles ne soient pas rejetées en marge de la scolarité. Elles doivent être évaluées au sein même du cursus scolaire, notamment à l’occasion du brevet des collèges et du baccalauréat. Chaque élève pourrait présenter ainsi les éléments ou les étapes de son parcours artistique (à l’instar de son parcours professionnel et de son parcours citoyen). Ce dernier sera alors validé, non à travers les performances qu’il aurait permises mais dans l’engagement qu’il aura requis. L’éducation artistique ne constituerait plus un simple supplément d’âme, mais bien une force motrice de la réussite scolaire, individuelle et collective.
Pour cela, il faut reconstruire la formation initiale et continue de tous les partenaires. Il ne suffit pas de mettre en place des dispositifs scolaires, encore faut-il que les acteurs aient les dispositions pour les mettre en œuvre. La démolition de quantité de formations durant ces dernières années a causé des dégâts considérables. Plusieurs générations de jeunes enseignants, responsables éducatifs, artistes intervenants, se trouvent aujourd’hui démunies face aux attentes des élèves et aux instructions ministérielles. Il faut les aider d’urgence à travers une formation initiale et continue revue de fond en comble. Commençons, dès cette année, par un large appel à la réalisation de dizaines d’universités d’été sur la conduite de projets d’éducation artistique dans tous les domaines, et publions leurs travaux pour diffuser leurs avancées. Restituons aux associations et structures expérimentées les moyens perdus pour réaliser ces formations, afin qu’elles irriguent de proche en proche tout le champ concerné. Assurons enfin la présence de modules spécifiques de formation à l’éducation artistique, pour tous les enseignants, dans les futures écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE), mais aussi dans les formations artistiques supérieures, donnant lieu à validation dans les deux cas. Ce double mouvement garantira à la fois la pérennité des politiques engagées et la qualité des actions menées.
Cette qualité dépend de la place des artistes et des professionnels de la culture dans les projets éducatifs, qu’il s’agit de conforter. La France se distingue dans le monde par son choix de privilégier la participation directe des artistes (mais aussi des conservateurs, des bibliothécaires, des médiateurs, etc.) dans les projets d’éducation artistique, en partenariat avec les enseignants. Pourtant le statut des artistes et le régime des intermittents restreignent encore leur faculté d’être rétribués comme des acteurs de la transmission. Le projet de loi sur la création artistique en cours d’élaboration devra conforter leur capacité à contribuer aux projets éducatifs et à se former au partenariat avec les enseignants. Il en va autant de la défense de l’emploi artistique et de la lutte contre la précarité que de la qualité des projets éducatifs.
Il faut enfin bâtir le réseau des pôles de référence et de ressources. L’essor de l’éducation artistique et culturelle s’accomplira de manière diversifiée mais concertée, comme il sied dans un pays décentralisé, à condition que les territoires les moins pourvus bénéficient de l’appui prioritaire de l’État. De nombreux acteurs seront de fait confrontés au lancement de projets dont ils ne maîtrisent pas toujours les enjeux, la genèse, les implications, les modes d’évaluation. En plus des moyens financiers, qui manquent toujours à l’appel, il convient de leur offrir, sur le plan territorial comme sur le plan national, des pôles de référence qui fassent office de centres de ressources, de formation, d’évaluation, d’édition et de production d’outils pédagogiques. De tels pôles ont existé dans plusieurs domaines culturels, certains agissent encore ; il faut les faire renaître ou les consolider en relation avec le réseau du Centre national de la documentation pédagogique. Mais il importe aussi d’instituer un pôle national chargé d’animer et de coordonner les réflexions, d’esquisser des comparaisons internationales, d’encourager les coopérations transversales ou pluridisciplinaires. Se substituant au Haut Conseil de l’éducation artistique et culturelle (strictement consultatif) il deviendrait un véritable outil au service d’une politique nationale, pilotée dans une dynamique interministérielle.
Ces propositions sont à nos yeux les premiers leviers d’une politique cohérente pour faire reculer la « misère symbolique », cousine et porte-parole de la misère tout court. Elles peuvent être concrétisées très rapidement. Le président de la République et le gouvernement se sont engagés à un plan de grande ampleur. Ils doivent maintenant passer à l’acte. À moins de passer à la trappe ce pilier de la « refondation » de l’école et de la démocratisation de la culture qu’est l’éducation artistique.
Collectif « Pour l’éducation, par l’art » Marie-Christine Bordeaux (maître de conférences, Université Stendhal Grenoble 3), Jean-Gabriel Carasso (auteur, réalisateur, directeur de l’Oizeau rare), Pascal Collin (dramaturge, metteur en scène), Jean-Pierre Daniel (cinéaste pédagogue, ex-président des Enfants de cinéma), François Deschamps (président de la Fédération nationale des associations de directeurs des affaires culturelles), Alain Kerlan (philosophe, Institut des sciences et des pratiques d’éducation et de formation, Université Lyon 2), Jean-Claude Lallias (professeur de lettres), Geneviève Lefaure (présidente de « Scènes d’enfances et d’ailleurs »), Philippe Meirieu (pédagogue, professeur à l’Université Lyon 2), Claire Rannou (déléguée nationale de l’ANRAT – théâtre et éducation), Robin Renucci (comédien, directeur des Tréteaux de France, président de l’ARIA), Emmanuel Wallon (sociologue, professeur à l’Université Paris Ouest Nanterre).Contact : pourleac@orange.fr