> Tribune de Karima Delli, députée européenne, à lire sur Rue89
Le gouvernement organise lundi et mardi une conférence de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, mais depuis dix ans, le constat reste toujours aussi alarmant : le nombre de pauvres en France est passé de moins de 7,5 millions à plus de 8,6 millions. Un bond en arrière de plus de quarante ans dans la réduction des inégalités dans notre pays. Dix années au cours desquelles la droite n’a cessé de faire des cadeaux aux riches : bouclier fiscal, suppression des droits de succession, relèvement du plafond de l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF), etc.
Pendant la campagne présidentielle, la question de la pauvreté est restée au second plan. Le mot « pauvreté » n’apparaît pas une seule fois dans les 60 engagements de François Hollande pour la France. Ce qui m’avait conduite, à l’époque, à réclamer dans une lettre ouverte adressée au Président nouvellement élu, la création d’un ministère pour les pauvres. Mais les candidats préféraient miser sur les classes moyennes, plus rentables électoralement.
Aujourd’hui, il est plus que temps de s’attaquer à la question de la répartition des richesses et de la pauvreté. Non pas en faisant des cadeaux aux pauvres, comme on l’a trop souvent fait : un petit coup de pouce aux minima sociaux par-ci, une prime de Noël pour les bénéficiaires du RSA par-là. Mais plutôt en s’attaquant frontalement aux causes structurelles de la pauvreté et en y répondant de manière globale.
Où sont passés les engagements européens ?
Car nous n’avons plus le droit à l’échec : la paupérisation des quartiers populaires, mais aussi des zones rurales, l’explosion du chômage, du coût du logement, de l’énergie, de l’alimentation, la peur du déclassement, sont autant de facteurs qui détériorent la qualité de la vie et renforcent le rejet des politiques.
La France a pourtant pris des engagements clairs au niveau européen en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Après l’échec patent de la stratégie de Lisbonne, adoptée en 2000, qui s’était donné pour ambition d’éradiquer la pauvreté en Europe avant 2010,les Etats membres se sont accordés sur un objectif, certes peu ambitieux mais réaliste, de sortir au moins 20 millions de personnes de la pauvreté d’ici 2020. Mais encore faut-il s’en donner les moyens, et la France doit être l’aiguillon de cet effort de justice et de solidarité.
Si les Français sont particulièrement généreux, on ne peut plus fonder notre politique de lutte contre la pauvreté sur la charité et sur des solutions faites de bouts de ficelles. L’Etat vient de débloquer 50 millions d’euros pour renforcer le plan hivernal pour les sans-abri, c’était nécessaire mais c’est loin d’être suffisant pour répondre à l’urgence sociale aux besoins d’accompagnement. On ne peut plus se contenter de discours creux et d’effets d’annonce, il est temps de passer à l’action.
Quelques idées pour les sans-abri
La première des priorités doit être la lutte contre l’extrême pauvreté et la situation des sans-abri :
- un vrai moratoire sur les expulsions locatives doit être décrété avant la fin de la trêve hivernale et les centres d’hébergement doivent être maintenus ouverts toute l’année, afin d’en finir avec « la politique du thermomètre » ;
- une garantie publique des risques locatifs doit être mise en place sans tarder. Elle était promise par le candidat Hollande avant la rentrée universitaire pour les jeunes et n’a pourtant toujours pas été mise en place ;
- enfin, les réquisitions annoncées depuis des semaines doivent réellement être appliquées : on ne peut pas continuer à loger des familles entières dans des hôtels aux frais de l’Etat (plus de 15 000 places) quand des millions de mètres carrés de logements restent inoccupés dans les grandes agglomérations de notre pays.
De même, il est inacceptable que des demandeurs d’asile soient obligés de se tourner vers le 115 faute de places suffisantes en Centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) et que des sans-papiers squattent des temples ou des églises alors que la plupart d’entre eux pourrait travailler et avoir un logement si on procédait enfin à leur régularisation.
Ni cadeaux ni privilèges mais des droits
Le vrai cadeau pour les pauvres serait, au-delà de l’urgence, de préparer aussi l’avenir de nos enfants. 23% des jeunes de 18 à 24 ans et plus de 2,6 millions d’enfants vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les enfants qui naissent dans la pauvreté ont très peu de chances d’en sortir, et la pauvreté est devenue héréditaire. L’école doit donc redevenir un rempart contre la misère et la fatalité.
La lutte contre l’échec scolaire doit être une priorité absolue et un revenu d’autonomie doit être mis en place pour garantir à chaque jeune une transition digne vers la vie indépendante, quels que soient son origine sociale et son parcours de formation.
Le vrai cadeau pour les pauvres serait de changer notre regard sur eux. Le discours de la droite sur l’assistanat a provoqué trop de dégâts. Les pauvres n’ont pas choisi d’être pauvres, ils ne réclament ni cadeaux, ni privilèges, mais ils ont des droits qui doivent être respectés : droit à un logement décent, droit à l’éducation et à la santé, droit à une vie digne et au respect.
Alors on nous dira que tout cela coûte cher et que l’Etat n’a pas les moyens, en cette période d’austérité. Mais réduire l’écart entre les annonces politiques et la vie quotidienne des gens, c’est aussi considérer la lutte contre la pauvreté non plus comme une charge pour la société mais, à l’avenir, comme un investissement.