Mardi 13 mai 2020, l’Assemblée nationale adoptait en lecture définitive la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet. Depuis mars 2019, cette proposition de loi a suscité de nombreuses réserves d’institutions ou d’associations de défense des libertés. Les écologistes se joignent à ces préoccupations quant à un déséquilibre entre l’objectif nécessaire d’efficacité de la lutte contre la haine en ligne et un arsenal juridique qui porte atteinte à la liberté d’expression. Faut-il lutter contre la haine en ligne au prix d’un retrait unilatéral des contenus par la police, sans contrôle d’un juge ?
Des mesures disproportionnées, une lutte inefficace
Ainsi, l’article 1er de la loi oblige l’ensemble des sites à retirer en une heure les contenus que la police leur notifiera comme relevant des actes de terrorisme, de son apologie ou de la pornographie. La procédure, sans aucun contrôle d’un·e juge, peut aboutir au blocage du site, même si elle est enclenchée la nuit ou le weekend. Les grandes plateformes devront également retirer en 24 heures les contenus “manifestement illicites”, sous peine de sanctions allant jusqu’à 4 % de leur chiffre d’affaires.
Le risque de censure est grand : un tel délai rend nécessaire la censure automatisée de contenus. Aujourd’hui déjà, certains propos légitimes sont d’ores et déjà censurés en violation de l’article 22 du règlement général sur la protection des données (RGPD), qui interdit les décisions individuelles sur le fondement de traitement automatisé de données personnelles. En outre, une telle censure entraîne, dans le contournement du juge qu’elle implique, une forme de privatisation de la justice au profit de quelques entreprises (Facebook, Google, Twitter). De plus, le risque d’instrumentalisation de la procédure afin de censurer une opposition politique ou morale par les propriétaires des réseaux sociaux ou d’autres acteurs du pouvoir est grand : l’Office de lutte contre la cybercriminalité a déjà exigé le retrait d’une caricature d’Emmanuel Macron. De même l’inter-LGBTQI note que les règles antérieures avaient déjà entrainé une censure forte de photos de personnes LGBTQI car massivement signalées par les mouvements opposés à l’égalité des droits et assimilés à de la pornographie.
L’absence de décision judiciaire et la nécessité de répondre rapidement vont conduire les plateformes à systématiser la censure a priori selon leurs normes morales, pour limiter les risques juridiques : cette censure doit être conservatoire. Par ailleurs, la police se verra dotée d’un droit de censure sur Internet qui pourrait contrevenir au droit à la caricature, ou plus généralement à la liberté d’expression qui sont déjà suffisamment encadrés dans le droit existant.
La place prépondérante faite au conseil de supérieur de l’audiovisuel (CSA) ne permet pas de débat démocratique quant aux règles à imposer aux grandes plateformes, ce qui présente un autre risque de dévoiement politique de la procédure. Enfin, un risque d’identification massive des personnes accédant à des contenus pornographiques, sous couvert d’une protection des mineur·e·s moins efficace parce qu’elle est automatisée.
Lutter efficacement contre le poison de la haine en ligne
160 000 signalements ont été adressés à la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupements et d’orientation des signalements (PHAROS) en 2018. Près de 14 000 relevaient de la haine en ligne ou de discriminations et concernaient 8 000 contenus. En outre, cette loi fait peu de cas du harcèlement en ligne spécifique aux femmes : il faut renforcer l’application de la répression des délits d’injures publiques et de leur complicité c’est à dire la responsabilité des plateformes. Les écologistes ne remettent pas en cause l’ampleur du phénomène ni sa dangerosité mais la disproportion des mesures prévues par la loi au regard de leur impact sur la liberté d’expression et de leur efficacité par rapport à l’objectif. Le même débat est en cours à l’échelon européen et il est possible qu’une partie des dispositions de la loi Avia entre en conflit avec un règlement européen.
C’est pourquoi les écologistes demandent :
- du fait du risques d’effets pervers de censure automatisée de la liberté d’expression, de garantir que les retraits de contenus dans des délais d’une heure et 24 heures soient conservatoires, dans l’attente d’une décision de justice ;
- de rétablir le contrôle par les juridictions publiques de la procédure, garant contre une instrumentalisation politique et afin d’éviter une privatisation de la justice, ce qui suppose de doter les juridictions de moyens humains dédiés, voire de créer une juridiction spécialisée ;
- de rompre avec le “solutionnisme technologique” par des moyens humains supplémentaires à l’aide aux victimes de contenus haineux ou de pédopornographie et pornographie non sollicitée, seuls à même de leur garantir un accompagnement.
Alain Coulombel et Éva Sas, porte-paroles
Commission Justice, Commission Partage 2.0 et Commission Sécurité, tranquillité publique d’EÉLV