Intervention au Sénat d’Aline Archimbaud sur le bisphénol
Monsieur le Président, Madame la Ministre, Madame la Rapporteur, Mes chers collègues,
Le Bisphénol A est à l’heure actuelle l’un des produits chimiques les plus produits au monde, avec plus de 3,8 millions de tonnes par ans, pour un marché mondial de 6 milliards de dollars.
Parmi d’autres, le travail méticuleux entrepris par le Réseau Environnement Santé recense toutes les études sortant sur le sujet, soit un peu plus de 700 en tout. Les conclusions de 95% d’entre elles sont concordantes : le bisphénol A a un effet délétère sur nos organisme et ce à plusieurs niveaux.
Aujourd’hui, nous savons que le bisphénol A est un perturbateur endocrinien, qu’il est cancérigène et qu’il est neurotoxique.
Des centaines d’études menées sur cette substance ressortent que le BPA a des effets sur nos organismes à différentes périodes de notre vie, comprenant entre autre :
Des changements comportementaux ;
Une altération de la croissance ;
Un avancement de la maturation sexuelle secondaire ;
Des altérations du système nerveux pouvant causer un déclin cognitif, la dépression et la schizophrénie ;
• Une prédisposition à l’obésité ;
• Des effets profonds sur le métabolisme du glucose, pouvant favoriser le développement de diabète de type 2 – y compris par des expositions à faibles doses ;
• Des effets reproductifs tels qu’une baisse de la qualité du sperme et des lésions de l’ADN du sperme ;
• Une augmentation du risque de cancer – de la prostate et du sein surtout ;
• Des effets neurotoxiques
Surtout, ces effets sont héréditaires et trans- générationnels, même à des niveaux d’exposition très faibles, comparables aux concentrations de BPA retrouvées dans la plus grande part de la population humaine occidentale.
Certains de mes collègues ont comparé l’ampleur du désastre au scandale de l’amiante : les conséquences potentielles sont en fait même pires, puisqu’il ne suffira pas d’interdire le bisphénol A 3
(BPA) et de l’éliminer physiquement de notre environnent pour que ses effets sur les populations disparaissent. Il faudra aussi attendre. Et attendre suffisamment pour que passent plusieurs générations.
Si l’on se concentre sur la période allant d’octobre 2011 à septembre 2012, on recense 143 études sur le bisphénol A et ses effets chez l’homme et/ou chez l’animal. Sur ces 143 études, seules 9 n’ont pas montré d’effet, dont 3 chez l’animal et 6 chez l’homme.
J’entends encore certains de mes collègues ou lobbys particulièrement mobilisés sur la question remettre en cause la fiabilité des études, et j’en profite pour me permettre une petite parenthèse et appeler à un changement de paradigme concernant l’évaluation des risques et la santé publique.
La controverse scientifique autour du BPA telle que nous l’avons évoquée met d’abord en évidence des divergences de premier ordre sur les méthodes scientifiques d’évaluation dans le domaine sanitaire.
Lors de leur évaluation de la littérature scientifique sur le bisphénol A, les agences sanitaires, au nom des « Bonnes pratiques de laboratoire », ne prennent souvent en compte que les études financées par l’industrie, excluant des centaines d’études indépendantes ne répondant pas à ces critères, bien qu’elles permettent parfois d’observer bien plus finement la réalité.
Par ailleurs, les études montrant les effets faibles doses du BPA, en écho à celles sur d’autres perturbateurs endocriniens, ont bouleversé le principe selon lequel « la dose fait le poison », avec certaines trouvant davantage d’effets pour les expositions à faibles doses que celles à fortes doses. Elles suggèrent que la période d’exposition est aussi à prendre en compte. De la controverse scientifique sur l’innocuité du BPA découle donc l’injonction à changer de paradigme d’évaluation des risques sanitaires.
Pour en revenir à la présente proposition de loi, le groupe écologiste, qui appelle de ses vœux une telle décision depuis des années, se réjoui bien entendu du texte sous nos yeux. Même si le fait que ce soient les parlementaires qui aient aujourd’hui à se prononcer sur une telle décision souligne les lacunes des systèmes français de sécurité sanitaire, ce dont nous aurons l’occasion de reparler lundi après-midi lors de l’examen du texte de ma collègue Marie-Christine Blandin sur l’indépendance de l’expertise et la protection des lanceurs d’alerte.
Quoi qu’il en soit, bien sûr, nous voterons pour cette proposition de loi, et saluons l’initiative et le travail de notre collègue député Gérard Bapt.
Toutefois, cela ne nous empêche pas d’avoir quelques remarques à faire, en plus des amendements relatifs aux matériels médicaux et aux perturbateurs endocriniens en général, que je serai amenée à défendre tout à l’heure.
Pour ceux de mes collègues qui s’inquiètent du délai trop court que constituerait 2015 pour l’entrée en application de l’interdiction du bisphénol A, je veux leur répondre que la proposition de la rapporteur Patricia Schillinger de reculer d’un an la date contenue dans la PPL nous provenant de l’Assemblée est déjà une décision extrêmement coûteuse pour nous écologistes, et qui prend déjà largement en compte les difficultés du tissus industriel à s’adapter au changement de norme, de surcroît en période de crise.
Compte tenu des enjeux énormes en termes de santé publique, que je vous ai décrits précédemment, sachez qu’il s’agit du maximum acceptable pour nous, et qu’il est hors de question que nous ne cédions un jour de plus.
De nombreuses alternatives fiables existent au BPA dans le plastique polycarbonate (PC).
• Le verre et l’acier inoxydable sont connus pour être des matériaux inertes sur le plan chimique et constituent pour cette raison des alternatives sûres à l’utilisation du polycarbonate dans certaines applications ;
• Le copolyester Tritan, est réputé, après études toxicologiques, n’être pas cancérigène, n’être pas un perturbateur endocrinien, et ne pas s’attacher aux récepteurs hormonaux ;
• Le polypropylène et les Grilamid TR sont également de bons candidats.
La question des alternatives au revêtement epoxy des emballages métalliques (boites de conserve, canettes, etc) est certes plus épineuse. Mais :
• Les oléorésines permettent ainsi depuis avril 1999 à l’entreprise agroalimentaire américaine Eden Foods de commercialiser des conserves dans BPA.
• Résines reformulées, films en PET, PolyKoat conviennent également parfaitement aux revêtements d’emballages métalliques à usage alimentaire.
• Et les plastiques de haute performance conçus par Novomer Inc. (Polypropylene Carbonate ou PPC et Polyéthylène Carbonate ou PEC) sont un exemple de chimie verte particulièrement innovant: leur procédé de fabrication non seulement ne fait pas usage du BPA, mais encore emploie du CO2 en le séquestrant. Ainsi le lien est-il fait entre la conception et la fabrication de matériaux sans danger sanitaire et des modes de production de ces matériaux moins polluants et moins consommateurs de ressources fossiles, en phase avec le défi du changement climatique.
Finalement, n’oublions pas non plus les autres options d’emballage :
• Les briques cartonnées Tetra Pak, alternative aux conserves en acier ou canettes en aluminium, composé à 73% de carton, 23% de polyéthylène et 4% d’aluminium, et qui conviennent parfaitement aux aliments à haute acidité et ont l’avantage d’avoir une faible empreinte carbone ;
• Et en matière de conserverie, la transition vers un conditionnement alimentaire en bocaux de verre, déjà utilisée à l’heure actuelle par de nombreux producteurs, notamment pour des produits issus de l’agriculture biologique.
Finalement, à l’approche de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, ma dernière remarque sera d’ordre financier.
Madame la Ministre, dans le dossier explicatif qui accompagne le PLFSS 2013 est mentionné page 19 la volonté de faire face à la montée des pathologies chroniques, je cite « liées au vieillissement de notre société ». Vous n’êtes pas sans savoir que les perturbateurs endocriniens, et le bisphénol A en particulier, ont également une lourde part de responsabilité dans cette épidémie de maladies chroniques, même si votre document ne le précise pas.
Or cette épidémie est l’une des principales causes de l’inflation de nos dépenses d’assurance maladie. Le diabète par exemple, dont j’ai expliqué précédemment qu’il était favorisé par le bisphénol A, coûte près de 15 milliards d’euros par ans à l’assurance maladie, à mettre en perspective des 13,9 milliards de déficit de la sécurité sociale prévus pour 2012.
Mon temps de parole me contraint à m’arrêter là, en espérant, Madame la Ministre et mes chers collègues, que nos propositions saurons retenir votre attention.
Et que les délais de seconde lecture et de publication des décrets b de la présente proposition de loi tiendront compte de la gravité des enjeux et de l’urgence à agir.
Merci de votre écoute !