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Les perspectives de la construction européenne, par André Gattolin

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André Gattolin est intervenu ce jour, au nom du Groupe écologiste, au cours du débat sur les perspectives de la construction européenne qui s’est tenu en séance publique au Sénat. Vous trouverez ci-dessous son intervention. Seul le prononcé fait foi.

 

Donnons enfin vie à l’Europe !

 

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mes chers collègues,

Nous ne sommes plus qu’à quelques jours des élections européennes. Et pourtant, c’est un peu comme si ces dernières n’existaient pas…

L’exemple du débat qui a opposé le 15 mai dernier les prétendants à la Présidence de la Commission européenne est à cet égard emblématique. Non seulement les grandes chaînes n’ont pas voulu le diffuser, mais l’une d’entre elles, la principale antenne du service public, a mis en place un programme concurrent, consacré à l’Euro sans aucun des candidats en lice sur son plateau.

France 2 entendait faire de l’info-audience plutôt que de faire de l’information citoyenne.

Ceux qui, notamment parmi les politiques, avaient osé critiquer cette impasse allaient voir ce qu’ils allaient voir, selon les dires de la chaîne… Et bien, ce fut tout vu : cet ersatz de programme de campagne n’a recueilli que 7,7 % de parts de marché, une des plus faibles audiences de l’histoire de la chaîne !

C’est avec la même désinvolture que France Télévisions et ses consoeurs privées se sont abstraites des équilibres des temps de parole durant la phase de pré-campagne, obligeant la semaine dernière le CSA à procéder à un sérieux rappel à l’ordre.

Ces manquements à leurs obligations de nos grands médias démontrent, s’il le fallait encore, la justesse de l’initiative – approuvée par le Sénat – de notre collègue Pierre Bernard-Reymond de soutenir la création d’une Radio France Europe vouée à informer de manière récurrente nos concitoyens sur l’Europe.

J’en profite ici pour saluer son engagement européen sans faille, sur lequel – au-delà de nos différences politiques – je le rejoins totalement. Cette assemblée ne serait pas tout à fait la même sans la voix de ce grand fédéraliste !

Les Européens tels que lui, en France, sont encore trop peu nombreux. Car les lacunes de la classe politique n’ont sur ces questions rien à envier à celles observées chez nombre de nos médias.

Nos responsables nationaux cèdent souvent à cette trop facile tentation : se défausser sur l’Europe pour masquer leurs propres erreurs et leur absence de véritable vision politique.

Il est si facile de blâmer des institutions lointaines et forcément complexes en raison de leur fonctionnement, de leur localisation, de leur caractère polyglotte, et des tâches ingrates qu’on veut bien leur confier !

L’Europe n’est évidemment pas parfaite. Telle qu’elle existe aujourd’hui, elle est même foncièrement viciée, inachevée.

Elle est loin d’être suffisamment  démocratique, lisible et efficace. C’est d’autant plus difficile à accepter, que le monde évolue très vite, alors qu’elle-même semble faire du surplace.

Dans 30 ans, plus aucun pays de l’Union ne sera membre du G8 alors qu’ils sont 4 aujourd’hui à y figurer : c’est évidemment une source d’inquiétude et d’exigence.

Cette exigence, qui n’est pas propre à la France, est aussi la résultante d’un autre trait commun qui renvoie à nos valeurs partagées. Les Européens ont soif de progrès, de libertés, de démocratie. Or, au-delà de l’Union européenne elle-même, ce sont ces notions même de progrès, de liberté, de solidarité et de démocratie qui sont aujourd’hui en crise.

Comment l’Europe, qui s’est construite dès ses origines en tentant d’articuler ces attentes, pourrait-elle échapper à ces difficultés et à ces questionnements ?

En paraphrasant l’Abbé Sieyès, je résumerai ainsi la situation que nous vivons aujourd’hui :

Qu’est-ce que l’Europe ? Tout.

Qu’a-t-elle été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien.

Que demande-t-elle ? À y devenir quelque chose.

L’Europe, c’est une formidable rupture historique, volontaire et pacificatrice.

C’est une aventure visant à réunir des peuples qui par-delà leurs frontières, leurs langues, leurs coutumes respectives partagent déjà  l’essentiel.

L’Europe aujourd’hui, c’est la première puissance économique mondiale et le plus grand espace démocratique commun, après l’Inde. Le brassage de ses populations se voit à tous les niveaux de la société, dans tous nos pays. Aujourd’hui le Premier Ministre français et la Maire de Paris sont d’origine espagnol ; le Président de l’Assemblée nationale est d’origine italienne… Ce sont-là des illustrations de ce que l’Europe, en dépit de ses faiblesses, est belle et bien unie dans sa diversité… Qu’elle constitue une part essentielle de notre identité collective.

Mais au lieu de l’assumer, nos gouvernements successifs sont passés maîtres dans l’art de pousser toujours plus loin une certaine intégration européenne tout en cherchant à en minimiser l’aspect fédéral, démocratique, politique.

La Commission européenne est condamnée pour ses orientations libérales ; mais on oublie de dire que ce sont les orientations des gouvernements réunis au sein du Conseil qu’elle sert.

Le Parlement européen est critiqué pour son impuissance politique ; mais ce sont les Etats qui veulent à toute force restreindre son pouvoir législatif.

L’opacité dans laquelle se négocie actuellement le projet de traité transatlantique est un véritable déni de démocratie.

Ceci n’est plus possible !

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, mes chers collègues,

Le débat du 15 mai dernier, en dépit de son insuffisante médiatisation, a constitué une première historique.

Certains ont parlé d’un « putsch démocratique » lorsque les candidats ont, l’un après l’autre, prévenu les gouvernements que ce processus démocratique d’un genre nouveau s’imposerait à eux, et qu’ils devraient choisir comme Président de la Commission celui ou celle qui aurait réuni une majorité européenne sur son nom.

Attendons encore de voir si les cinq conjurés tiendront bons face aux oukases de tel ou tel chef d’Etat ou de gouvernement. Mais, c’est bel et bien à un mini-Serment du Jeu de paume que nous avons assisté dans l’assourdissante indifférence des responsables politiques nationaux. « Les pensées qui mènent le monde arrivent sur des pattes de colombe » écrivait un grand philosophe…

Si nous sommes cohérents avec nous-mêmes, si nous voulons donner à l’Europe de nouvelles perspectives, nous devons nous joindre à ce serment et l’appuyer dans les faits.

Il ne tient qu’à nous de sortir de l’ornière dans laquelle nous nous trouvons. Non pas en sortant de l’Euro mais en complétant l’Union.

Non pas en donnant plus de poids aux Etats ou à je ne sais quel Marché intérieur, mais en rendant les institutions européennes plus démocratiques et en améliorant les interactions entre niveau européen et niveau national.

Par exemple, en dotant le Parlement européen, le cas échéant appuyé sur les parlements nationaux, d’un véritable pouvoir d’initiative législative. En déconnectant la citoyenneté européenne de la stricte notion de nationalité. En créant pour 2019 une circonscription transnationale sur laquelle serait élue une partie des eurodéputés, pour que ces élections européennes soient les dernières à se faire uniquement à l’échelon national ou infra-national.

Nous sommes déjà Européens sur le plan économique, historique et culturel, mais nous n’assumons pas encore de l’être sur le plan politique.

C’est pourtant en franchissant ce pas décisif que nous donnerons enfin vie à l’Europe !

Je vous remercie

 

Source Photo : Union européenne de Radio-Télévision, débat « Tell Europe »

du 15 mai 2014

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