Pour José Bové et Rebecca Harms, eurodéputés verts, l’occupation de la place Maïdan, depuis rebaptisée « Euro Maïdan », à Kiev montre l’immense espoir que suscite encore le projet européen en dehors de nos frontières. Cette communauté qui porte des valeurs démocratiques et garantit un meilleur avenir. Lire leur tribune parue dans le journal Le Monde le 11 décembre 2013.
Dimanche 1er décembre, plus de 350 000 personnes ont manifesté dans les rues de Kiev contre la décision du président ukrainien, Viktor Ianoukovitch, de renoncer à un accord d’association avec l’Union européenne. L’occupation de la place Maïdan, légendaire place de l’indépendance au centre de Kiev et cœur de la Révolution Orange de 2004, rebaptisée Euro Maidan a provoqué une violente réaction policière, faisant au moins 190 blessés parmi les manifestants. Dix jours plus tard elle ne désemplit pas et l’opposition pro-européenne ne désespère toujours pas de faire revenir son président sur sa position.
L’explication officielle à l’échec de ces négociations est la condition posée par les Européens du transfert en Allemagne pour raisons de santé de l’ex-premier ministre Ioulia Timochenko, condamnée en 2011 à une peine de sept ans d’emprisonnement pour abus de pouvoir. Derrière cet étrange équation entre la situation d’une personnalité et le destin collectif d’une nation se profile l’ombre du nouveau tsar. Depuis la révolution orange, la Russie de Poutine n’a de cesse d’œuvrer au retour de l’Ukraine dans sa sphère d’influence. Les victoires électorales de Ianoukovitch en 2006 (parlement) puis 2010 (présidentielle) portaient déjà en grande partie sa marque, mais le rejet de cet accord avec l’UE couronne le succès de sa diplomatie régionale, à coup de dollar et de gaz.
Voilà la première leçon de Kiev : aussi à l’aise dans les brodequins des tsars que dans les bottes de Staline, Poutine continue de diviser l’Europe. Et depuis 20 ans, les Etats membres privilégient leurs relations bilatérales et ne parviennent toujours pas à parler d’une seule voix et avoir une position cohérente face à la Russie. L’Union Européenne doit maintenant tenir la porte ouverte pour l’Ukraine et soutenir ce nouveau mouvement porté par des jeunes et des étudiants. Il faut apporter du soutien à ceux qui lèvent la voix contre Ianoukovitch et sa politique. Pour cette raison, nous demandons non pas seulement un débat au Parlement Européen sur la situation en Ukraine, mais aussi une délégation parlementaire à Kiev pour montrer sur place que nous ne les abandonnons pas, que l’Union Européenne s’oppose aussi aux pressions exercées par Poutine.
La deuxième leçon de Kiev s’adresse aux Européens désenchantés que nous sommes : à l’heure où la fièvre identitaire et souverainiste précipite nos sociétés dans un euroscepticisme ordinaire, au point de remettre en cause la construction européenne et l’ensemble de ses acquis, voilà qu’à nos portes des centaines de milliers de manifestants clament leur appartenance à l’Europe et veulent rejoindre ce bateau que certains chez nous se réjouissent de voir sombrer.
Pas de cynisme déplacé : si les Ukrainiens ne pensaient qu’aux subsides européens, ils accepteraient l’offre russe, tout aussi généreuse, et débarrassée du fardeau bureaucratique, qui plus est. Ne nous y trompons pas : il s’agit d’un choix entre deux modèles, entre deux systèmes de valeurs. Il s’agit de choisir entre retourner dans le giron russe et la « démocrature » autoritaire du président Poutine ou rejoindre malgré la terrible crise qui la secoue, une communauté de droits et de valeurs, où règne l’état de droit, garantissant ses citoyens contre l’arbitraire du pouvoir.
À l’heure de la désespérance sociale généralisée qui nourrit la tentation du repli sur soi et le rejet de l’idée européenne par de plus en plus de citoyennes et de citoyens occidentaux, levons un peu le nez de nos propres malheurs. Entendons aussi ces messages d’espérance. La grande leçon de Kiev, c’est que pour bon nombre de peuples un peu partout sur la planète, et notamment au Sud comme à l’Est des frontières de l’espace Schengen, l’Europe reste un idéal, un horizon à rejoindre, une extraordinaire zone d’attraction, porteuse d’espoir et d’un avenir meilleur. Si ce n’était pas le cas, tous ces gens ne braveraient pas l’hiver ukrainien et la brutalité des forces de police ; ou bien ils ne se risqueraient pas sur des radeaux de fortune pour traverser par milliers la Méditerranée dans des conditions inhumaines afin de pouvoir vivre leur « rêve européen ».
Cessons de nous comporter sans cesse comme des enfants gâtés de la démocratie et d’avoir l’Europe timide. Aujourd’hui, nous sommes tous des manifestants ukrainiens, nous sommes tous des Européens.
José Bové (Eurodéputé EELV, membre du Groupe Verts-ALE)
Rebecca Harms (Co-présidente du Groupe Verts-ALE au Parlement Européen)