Une nouvelle fois, l’Europe trébuche. Une fois encore, l’Europe déçoit. Les ministres des Finances de l’Union européenne ont adopté mardi 6 mai un principe en trompe l’œil, en l’occurrence une Taxe sur les transactions financières (TTF) qui n’en est pas une.
A la veille des élections européennes, alors que les conditions étaient réunies pour franchir un pas décisif en direction d’une Europe fiscalement plus juste et disposant de ressources supplémentaires pour financer ses investissements d’avenir, les représentants des Etats nationaux ont préféré reculer, cédant aux pressions de leurs secteurs financiers respectifs. Une fois encore, a contrario de ce que proposaient la Commission et le Parlement européen, les Etats ont choisi l’immobilisme au détriment de l’intérêt général. C’est une très mauvaise nouvelle pour les partisans d’une Europe solidaire et prospère. Par pusillanimité – le mot est faible -, les gouvernements, allemand et français en tête, viennent de donner un sacré coup de main au sentiment eurosceptique en confortant l’image d’une Europe qui se couche devant l’obstacle.
Un instrument sacrifié
La Taxe sur les transactions financières, que les écologistes ont toujours supportée avec ferveur, devait devenir un symbole fort et un outil efficace. Le marché des transactions financières, qui brasse sans vergogne des milliards d’euros chaque jour, est le seul secteur de l’économie qui n’est pas taxé. Exception injustifiable, surtout après la crise financière dont il fut un des acteurs majeurs ! En faisant contribuer l’industrie financière au budget collectif, comme n’importe quelle activité soumise à la TVA, la TTF devait participer à la dé-financiarisation de l’économie en décourageant la spéculation et la course suicidaire au toujours-plus-vite des échanges basés sur le trading à haute fréquence. Last but not least, elle devait permettre de dégager d’importantes marges budgétaires et poser les bases d’un futur impôt européen qui puisse financer des biens communs comme la lutte contre le changement climatique, l’aide au développement ou la transition écologique.
Après des années de mobilisation citoyenne en faveur d’une Taxe Tobin, la Commission, soutenue par une large majorité du Parlement européen, avait proposé un mécanisme de taxation qui n’épargnait aucun produit et devait rapporter au budget européen plus de 50 milliards d’euros par an. La résistance d’un certain nombre d’Etats, conduits par la Grande-Bretagne, avait provoqué un premier divorce. Seuls 11 pays (dont la plupart des poids lourds, l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne) décidaient de mettre en place une TTF dans le cadre de la procédure de coopération renforcée. Son assiette, large, ne devait épargner ni actions, ni obligations, ni produits financiers dérivés. On s’attendait à ce qu’elle apporte un plus budgétaire de l’ordre de 35 milliards d’euros (dont 7 à 9 milliards pour la France). De quoi envisager des programmes d’investissement ambitieux sans remettre en cause les trajectoires de lutte contre les déficits.
C’est cette perspective qui a été abandonnée en rase campagne par les ministres des finances des onze pays. Les ministres se sont contentés d’une déclaration de principe à minima, en repoussant d’un an l’échéance (la taxe ne serait appliquée qu’en 2016) tout en restant flous sur le contenu de celle-ci. Le champ d’application sur les produits dérivés spéculatifs – celui qui devait rapporter l’essentiel des ressources de la taxe – n’est pas défini et renvoyé à d’improbables négociations. L’affectation de son produit n’est pas plus précisée. Autrement dit, il s’agit d’une décision de façade sans implication directe. La TTF est morte mardi 6 mai, poignardée dans le dos par ceux qui devaient consacrer son avènement !
Une leçon de choses
Cet échec retentissant constitue un précipité des contradictions européennes. La TTF est victime du déchirement entre ceux qui partagent l’objectif d’une Europe intégrée en marche vers le fédéralisme et ceux qui, tournés vers le passé, restent recroquevillés sur les périmètres nationaux, en proie aux pressions des intérêts particuliers et des égoïsmes souverainistes. D’un côté, les acteurs d’une logique communautaire et régulatrice – le Parlement européen et, comme souvent, la Commission dont la réputation d’ogre du libéralisme n’est pas exacte – et de l’autre les dépositaires transis des statuts quo nationaux, du chacun pour soi et du business as usual des forces du marché – les Etats nationaux -. Entre ces deux pôles qui coexistent vaille que vaille, l’Europe bégaie, hésite, avance puis recule, refusant au final d’emprunter résolument la voie qui l’amènerait à embrasser le nouvel âge de l’humanité. Comment s’étonner ensuite que les peuples se détournent d’une Europe engluée, emberlificotée dans des compromis illisibles ou des demi-mesures inefficaces, incapable de prendre à bras le corps ses responsabilités transnationales ?
L’abandon de fait de la Taxe sur les transactions financières constitue un navrant cas d’espèce de cette Europe qui marche mal, de cette Europe du passé, de cette Europe des égoïsmes nationaux et des promesses non tenues. En consacrant la victoire des refuzniks contre la TTF, force est de reconnaître que les conservatismes nationaux et, derrière eux, les puissances de l’argent l’ont une fois de plus emporté.
Raison de plus pour qu’aux élections européennes du 25 mai, les partisans d’une Europe solidaire se fassent entendre en accordant leurs suffrages aux listes écologistes d’EELV et des partis Verts européens afin que le prochain Parlement ait les moyens d’imposer une véritable Taxe sur les transactions financières, indispensable à notre destin collectif.
Jean-Paul Besset