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L’écologie, une nouvelle prospérité

Par Pascal Canfin Ministre chargé du développement (Europe Ecologie-Les Verts)
> Tribune publiée dans Liberation le 12 septembre 2013

 

Il était bien sûr possible de laisser sans réponse la nouvelle charge de Pascal Bruckner contre l’écologie (1). Après tout, la pertinence de l’analyse de celui qui a soutenu la guerre de George W. Bush en Irak, fondé une revue proche des thèses des néoconservateurs américains et soutenu Nicolas Sarkozy est relative.

Mais, bien au-delà de son auteur, cette tribune s’inscrit dans une offensive idéologique qui cible l’écologie. J’ai jugé qu’il était de ma responsabilité de ne pas la laisser passer.

Cette offensive se fonde en premier lieu sur une remise en cause des données scientifiques en matière environnementale. Les écologistes noirciraient le tableau. Cette ligne de communication n’est pas nouvelle. Elle est suivie méthodiquement par les lobbys industriels quels que soient les sujets.

Les groupes qui nient aujourd’hui le réchauffement climatique utilisent les mêmes arguments que ceux qui niaient hier le caractère cancérigène de la cigarette, de l’amiante, des particules diesel… Ce sont eux qui sont dans la négation des résultats scientifiques. En matière de santé publique, comme de lutte contre le changement climatique, les écologistes ne
demandent qu’une chose : que les analyses des scientifiques soient enfin entendues. Il y a donc une contradiction absolue, qui ne semble pas émouvoir notre philosophe, à faire l’éloge de la science… tout en jetant aux oubliettes les conclusions des scientifiques.

Le second argument réside dans le fait que les écologistes seraient, par nature, opposés à tout progrès. Sans doute Pascal Bruckner n’a jamais entendu parler de la vache folle, de l’amiante, de Tchernobyl, de Fukushima, de l’augmentation du nombre de cancers liés aux pesticides, chez les agriculteurs notamment… Ni lu Rabelais pour qui, déjà, «science sans
conscience n’est que ruine de l’âme». L’obscurantisme est bien du côté de ceux qui croient aveuglément que toute invention est bonne. Et la raison du côté de ceux qui veulent des innovations utiles. Car l’écologie appelle bien une nouvelle révolution qui porte en elle des myriades d’innovations qui demandent de l’intelligence et de la science.

L’écologie serait aussi une nouvelle austérité destinée à nous appauvrir.
C’est au contraire la condition de notre prospérité future. Toutes les études scientifiques – oui scientifiques ! – montrent que le rythme des catastrophes naturelles s’est accéléré, contrairement à ce que dit Bruckner. Et que ces catastrophes deviennent de plus en plus coûteuses. Il va de soi que ce coût supplémentaire pèsera sur notre richesse et que la meilleure façon d’en réduire l’impact négatif est justement de mener des politiques écologiques.

Par ailleurs, la France importe pour près de 70 milliards d’euros d’énergies fossiles contre 20 milliards il y a dix ans. Ce sont ainsi 50 milliards d’euros en plus qui fuient la France, constituant une véritable saignée sur notre économie. La meilleure façon de garder cet argent à la maison, c’est bien de réduire notre consommation d’énergie grâce à des politiques d’investissements verts.

Au fond Pascal Bruckner rêve du monde d’hier, du monde de sa jeunesse perdue, des années 70. Un rêve fait d’autoroutes et de Concorde, un monde où l’énergie fossile était aussi inépuisable que bon marché. Cette idée de progrès est morte, non pas du fait des écologistes, mais parce qu’elle s’est heurtée, d’une part à la réalité des limites physiques de notre planète, et d’autre part aux nouvelles aspirations de la société.

La société française du XXIe siècle n’est plus celle des années 70 qui acceptait les 3 000 morts annuels de l’amiante ; la société française du XXIe siècle n’est plus prête à sacrifier ses paysages et son environnement pour exploiter des ressources fossiles incertaines. Le progrès aujourd’hui n’est pas dans le toujours plus mais dans le vivre-mieux partagé.

En ce sens, l’écologie est porteuse d’une nouvelle prospérité fondée sur des inégalités réduites au sein de nos sociétés mais aussi entre pays du Nord et du Sud. L’écologie est donc bien le contraire du prétendu néocolonialisme dénoncé par notre grand philosophe. Sans doute n’a-t-il pas lu les dernières études de la Banque mondiale, repère bien connu d’écologistes radicaux, qui démontrent que la plus grande menace sur la sécurité alimentaire et sur la mortalité des enfants dans les pays pauvres, c’est le changement climatique. Lutter vraiment contre le changement climatique est donc le plus grand service que nous puissions rendre au 1,3 milliard d’êtres humains qui vivent avec moins de 1 euro par jour.

Mais finalement, Pascal Bruckner croit-il lui-même à ses propres caricatures ? Car il ne manque pas de rappeler, au détour d’une phrase :
«Qu’il faille s’acheminer vers un développement compatible avec le respect de l’environnement, tout le monde est d’accord là-dessus !» A la bonne heure ! Alors, M. Bruckner, arrêtez de vous faire peur, arrêtez de chercher à nous faire peur avec des arguments qui n’en sont pas, et venez travailler avec nous à un monde meilleur, celui que nous voulons transmettre à nos enfants. Vous proposer de nous rejoindre après tant de propos qui dénoncent notre sectarisme est bien la meilleure preuve de notre ouverture d’esprit !

(1) «Libé» du 6 septembre et Libération.fr

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