Par Ronan Dantec (@RonanDantec), sénateur de la Loire-Atlantique et conseiller municipal de Nantes
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Depuis un demi-siècle, la justification du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, prévu initialement pour recevoir le Concorde, a constamment changé, et il n’est pas possible de comprendre l’importance des oppositions qu’il suscite sans appréhender les faiblesses chroniques du débat public en France, dont il est un cas d’école.
Il est ainsi édifiant de se replonger dans le document de conclusion du débat public de 2003 et d’y lire que la première justification avancée était « la saturation de l’aérogare à 3 millions de passagers », puis de la piste de Nantes Atlantique, entre 80 000 et 100 000 rotations d’avions.
En 2011, l’aéroport actuel a bien vu passer plus de 3millions de passagers, mais pour seulement 45 000 rotations d’avions, soit très exactement la même quantité d’atterrissages et de décollages qu’en 2000, onze ans plus tôt ! Après le Concorde rangé au musée, l’argument de la saturation est donc lui aussi à remiser au placard.
Quelques années plus tard, les promoteurs du projet mettaient en avant les risques et les nuisances sonores de la plate-forme actuelle. Là aussi, le classement de Nantes Atlantique parmi les meilleurs aéroports européens, avec témoignages de pilotes soulignant l’absence de danger particulier, a rapidement permis de rééquilibrer le débat contre les discours alarmistes des responsables locaux.
L’argument sur le bruit est à prendre en compte, même si le rapport concluant le débat public de 2003 soulignait que les Nantais ne s’en plaignaient pas ! Mais effectivement, du fait des contraintes d’urbanisme liées au plan d’exposition au bruit (PEB), l’impact était immédiat sur l’île de Nantes.
S’il y a une raison objective au soutien de Jean-Marc Ayrault, alors maire de Nantes, à ce projet porté initialement par le conseil général, alors à droite, c’est bien ce frein potentiel à l’urbanisation. Mais aujourd’hui, avec seulement 45 000 mouvements d’avions de moins en moins bruyants et la réduction des vols de nuit, ce PEB apparaît disproportionné, et un PEB révisé ne concernerait plus l’île de Nantes, ni même le nord de Rezé. L’agglomération dispose donc de nombreux territoires pour de nouveaux Nantais.
Les partisans de l’aéroport ont aussi toujours défendu l’argument du désenclavement régional. L’Etat a diligenté, dans le cadre de l’enquête publique de 2006, une enquête « coût-bénéfice », devant mesurer le gain financier de ce projet: expertisée par un grand cabinet international, cette enquête s’est révélée« pipeautée ».
L’étude a, sans explications, multiplié par un facteur 2 à 4 les valeurs habituellement utilisées pour permettre de chiffrer en euros le temps économisé par un voyageur prenant l’avion au départ de la nouvelle plate-forme. Sans cette réévaluation, le résultat de l’étude coût-bénéfice aurait été négatif. C’est donc un document manipulé que l’Etat a pris la responsabilité d’adosser à l’enquête publique, fragilisant encore plus sa crédibilité.
A l’époque, nous ne savions pas non plus qu’un des préfets de la Loire-Atlantique ayant eu à suivre ce dossier serait ensuite embauché par Vinci. Dans une démocratie moderne, on parlerait probablement de conflits d’intérêts, d’annulation d’enquête publique…
Ce rappel de la faiblesse et du caractère changeant des arguments – justifiant ce projet – montre donc un Etat incapable de jouer le jeu d’un vrai débat public, dont il a par avance décidé du résultat. Cela ne peut, en retour, que susciter la colère et la mobilisation des opposants. Cet anachronisme français n’est plus tenable et c’est à la gauche d’y remédier.
Le 17 novembre 2012, c’était bien, majoritairement, des électeurs de François Hollande qui faisaient la chaîne humaine pour décharger des tracteurs arborant les drapeaux de la Confédération paysanne, et reconstruire des cabanes sur le site. La gauche, nous le savons, ne peut conserver dans la durée une majorité dans ce pays sans se rassembler : à Notre-Dame-des-Landes, elle s’est pourtant durement opposée. Une situation absurde.
Nous avons un nouveau gouvernement qui fait de la concertation sociale un outil politique clé, qui évoque la transition écologique comme priorité, et qui, pour un projet sans urgence, brouille cette image et se fragilise.
Après de trop longues semaines de fortes tensions et d’affrontements qui auraient pu finir en drame, le gouvernement semble entendre les voix nombreuses et de sensibilités diverses qui appellent à la médiation et à la fin de l’intervention policière. On peut évidemment critiquer sévèrement son attitude, se focaliser sur une phrase de fermeture dans un communiqué…, mais il est si difficile d’accepter de rouvrir un dialogue, tant le système politico-médiatique est prompt à évoquer alors reculade et faiblesse, qu’il faut aujourd’hui se saisir de cette offre de« commission du dialogue ».
C’est mon choix et je m’y investirai avec la même détermination que celle qui m’a amené à dénoncer le « pipeautage » de l’enquête coût-bénéfice. Analyse fine d’une stratégie commerciale contestée par les autres aéroports de l’Ouest, réalité des saturations et des nuisances sonores, chiffrage précis des alternatives, inscription dans les programmes nationaux et européens de mobilité à grande vitesse et adéquation avec les priorités du schéma national des infrastructures de transport (SNIT), cohérence avec les objectifs de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et de préservation des terres agricoles, faisabilité des mesures environnementales compensatoires… ; sur tous ces points, il faut un débat sérieux alimenté de données vérifiables.
Le travail de cette « commission du dialogue » s’annonce donc très important et quelques semaines n’y suffiront pas. Vu les conditions de sa création, elle ne peut en tout cas pas décevoir, sauf à alimenter demain encore plus la mobilisation des opposants au projet.
Le défi politique est considérable, faire entrer notre pays dans une nouvelle modernité, où les arguments de posture ne peuvent survivre à la vigilance des garants du débat, où ce n’est pas le couple « décision imposée-manifestation d’opposition » mais la qualité des échanges contradictoires qui forge les décisions publiques.
Depuis des décennies, l’Etat confond véritable consultation et simple respect des procédures administratives… Ce serait tout à l’honneur de la gauche de mener à bien cette évolution démocratique, et d’y répondre collectivement.
Ronan Dantec, sénateur de la Loire-Atlantique et conseiller municipal de Nantes