Mardi, les locaux de la commission des Affaires européennes accueillaient une table ronde consacrée au projet d’infrastructure Lyon-Turin. Rencontre avec Danielle Auroi, présidente de la commission, à l’initiative de cette rencontre destinée à faire le point sur ce projet, à la veille de l’examen par l’Assemblée d’un accord entre le Gouvernement français et le Gouvernement italien.
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Vous avez pris l’initiative d’une table ronde, organisée à l’Assemblée nationale, consacrée au projet de voie ferroviaire et de tunnel dédié Lyon-Turin. Pourquoi ?
L’écologiste que je suis n’a pas oublié les luttes contre les « grands projets » d’infrastructures hautement contestables, tant du point de vue de leur utilité économique que de leurs conséquences environnementales ou de leur impact budgétaire.
Et la présidente de la commission des Affaires européennes n’oublie pas que ce projet, spécifiquement, est un projet transfrontalier qui engage et la coopération franco-italienne et l’Union dans son ensemble. C’est pourquoi il m’est apparu nécessaire d’organiser une table ronde, dans le cadre de la commission des affaires européennes, afin d’éclairer l’assemblée sur les aspects européens de cette question, en pesant à la fois les forces et les faiblesses du projet et en pointant les interrogations qui demeurent.
C’est donc cette « double casquette » qui m’a fait organiser cette table ronde, qui réunissait Anne Houtman, cheffe de la Représentation de la Commission européenne en France, Hubert du Mesnil, président du conseil d’administration de Lyon Turin Ferroviaire, François Lépine, vice-président délégué du Comité pour la Transalpine, Christian Descheemaker, ancien président de la 7 ème Chambre de la Cour des comptes et Daniel Ibanez, de la Coordination des opposants au projet de ligne Lyon Turin.
L’objectif, c’était de faire un point d’étape sur ce projet. Je pense que les échanges ont mis en évidence l’aberration d’un projet du 21è siècle conçu avec les outils et les modèles du 19è siècle.
Face aux enjeux énergétiques et climatiques qui sont les nôtres, l’Union européenne a surtout besoin de développer le ferroutage et les connexions maritimes et fluviales.
En quoi ce projet est-il, à vos yeux, une aberration ?
Les raisons sont nombreuses : des prévisions de trafic fantasques, une rentabilité non démontrée de la future ligne, des sources de financements hasardeuses et pharaoniques dans un contexte de disette budgétaire, une contradiction flagrante avec les conclusions de la commission Mobilité 21 présidée par Philippe Duron, des enjeux climatiques et de santé publique liés à l’émission de particules fines par le trafic routier totalement sous-estimés, une consommation d’espaces agricoles incompatible avec les objectifs affichés de lutte contre l’artificialisation des terres…
Si vous deviez résumer les principales contributions au débat, que retiendriez-vous de saillant ?
Comme l’a rappelé Paul Molac, des solutions existent pour moderniser une ligne existante et passer très vite au fret ferroviaire. La ligne s’inscrit dans une infrastructure existante qui va de Almeria à la frontière ukrainienne qui est d’ores et déjà harmonisée et fonctionnelle. Or, elle n’est actuellement utilisée qu’à 17% de sa capacité de 20 millions de tonnes !
François-Michel Lambert a ainsi posé le cadre d’une solution alternative en interpellant les promoteurs du projet sur la façon dont ils intégraient dans leurs scénarios la prise en compte des solutions alternatives existantes. La technologie Air Shift Air, la motorisation répartie ou encore l’Internet physique se développent ailleurs dans le monde. Ces solutions combinées permettraient de moderniser la ligne existante pour un coût largement moindre aux 26 milliards annoncés dans le traité de ratification.
Quant à Noël Mamère, dépositaire le 23 septembre dernier avec Paul Molac, Michèle Bonneton, et François-Michel Lambert d’une plainte « pour mise en danger de la vie d’autrui par abstention » auprès du procureur de la République de Chambéry, il a utilement rappelé que ceux qui ne font rien pour utiliser la ligne existante mettent en danger la vie des populations riveraines : de 800.000 à un million de camions transportant des marchandises pourraient « basculer » sur la ligne ferroviaire existante ! Cela démontre l’absence de prise en compte des coûts environnementaux et sanitaires qu’entraînent l’inaction et le privilège donné à la route.
Au-delà des contributions de mes collègues écologistes, je crois que l’intervention du représentant de la Cour des comptes a été très édifiante. Il a rappelé les principales conclusions de son référé du 12 août 2012 : il souligne que les solutions techniques alternatives ont été écartées trop vite, que le pilotage du projet n’est pas suffisamment lisible, et que son plan de financement reste incomplet tandis que le coût total estimé ne fait que croître.
Quelles conclusions concrètes tirez-vous de ces analyses ?
Pour les écologistes, le message est clair : la priorité doit être donnée à la prospective et aux solutions techniques du 21è siècle pour moderniser et exploiter la ligne existante de façon à favoriser le fret ferroviaire sur le transport de marchandises par la route en mobilisant les financements publics pour la modernisation des réseaux existants comme le préconise la commission Mobilité 21.
C’est pourquoi nous avons voté mercredi, en commission, contre le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne pour la réalisation et l’exploitation de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin.
Ce vote est une étape et un relais dans la mobilisation citoyenne qui s’exprime. Cette voix citoyenne singulière, il faut le dire, c’est à travers les interventions des écologistes qu’elle s’exprime.