Augmentation des coûts de production du nucléaire de 21% en 3 ans (et qui continueront de croître dans les années à venir) ; « mur d’investissement » de 110 milliards à venir sur les réacteurs existants pour les faire tenir jusque 40 ans (et au minimum 60 milliards supplémentaires si on les prolongeait à 60 ans) ; un coût de l’EPR multiplié par 3 ; une sous-évaluation manifeste de coûts pourtant conséquents concernant le démantèlement, la gestion des déchets, et évidemment le risque d’accident et donc l’assurance (la Cour des Comptes écrit que, de fait, l’Etat assure « gratuitement » le risque)… Suite au rapport de la commission d’enquête parlementaire, plus personne ne pourra prétendre que le nucléaire est bon marché et que la prolongation du parc à 60 ans serait une simple formalité.
Depuis 6 mois en effet, à l’initiative du groupe des députés écologistes, une commission d’enquête sur les coûts du nucléaire a œuvré d’arrache-pied à faire toute la lumière sur les coûts de cette filière que l’on nous présente souvent comme bon marché, compétitive, amortie. En qualité de rapporteur, j’en ai remis le rapport le 10 juin au président de l’Assemblée nationale. L’objectif de cette commission d’enquête était de faire toute la transparence et de contribuer rétablir la vérité des prix entre les différentes énergies. Alors que s’élabore la loi sur la transition énergétique et avant que les parlementaires soient amenés à définir la stratégie énergétique de la France, il était indispensable de sortir des idées reçues. Cet objectif a été clairement atteint. Certes nous n’avons pas été en mesure de faire toute la lumière sur une filière cultivant l’opacité (mais ces incertitudes en disent même parfois plus long) mais cela a été l’occasion de mettre sur la table des chiffres dont tout le monde n’avait pas conscience… certains avançaient même l’idée d’une « rente nucléaire ».
Ce rapport ne se contente pas d’énumérer des constats. Il a aussi permis l’adoption de recommandations : sur la reprise en main par l’Etat de la politique énergétique ; sur le passage à 50% de nucléaire en 2025 (dont le directeur énergie du ministère de l’Ecologie a indiqué que cela signifierait que 20 réacteurs seraient alors inutiles) ; sur la recherche sur le stockage des déchets en alternative à Cigeo ; sur la protection des travailleurs sous-traitants… Ces avancées, votées par la majorité, seront autant de points d’appui pour la future loi.
Je crois pouvoir dire que ce rapport témoigne de l’utilité du travail parlementaire et de la capacité des écologistes à peser, à faire avancer les choses, lorsqu’ils participent aux institutions. Au moment où arrive la loi sur la transition énergétique, cette capacité à peser, à être à la hauteur de notre responsabilité, se pose plus que jamais. C’est ce que nous faisons déjà depuis des mois de l’extérieur avant même que le projet de loi ne soit arrêté par le gouvernement.
Cette loi devra comporter à la fois des mesures fortes pour moins gaspiller notre énergie (c’est l’enjeu de l’efficacité énergétique), des dispositifs d’aides au développement rapide des énergies renouvelables, et organiser la baisse programmée de la production d’électricité d’origine nucléaire de 75 à 50 % en 2025.
Mais les choses doivent être très claires : les écologistes ne sauraient se contenter d’une simple affirmation d’un objectif de 50%. La loi devra définir les moyens permettant de l’atteindre : une programmation pluri-annuelle qui organise la décroissance de la puissance nucléaire, mais aussi, en parallèle, la croissance de la puissance éolienne, solaire, géothermique, biomasse, marine, etc., et une capacité de l’Etat à intervenir sur tel ou tel réacteur (particulièrement à sa 40ème année) si EDF ne se conformait pas à ses orientations. C’est à l’Etat de piloter EDF… et non l’inverse !
Cette loi est un rendez-vous essentiel pour les écologistes. Elle doit permettre de montrer que la réponse à un impératif environnemental – baisse des gaz à effets de serre et des risques technologiques majeurs – va de pair avec une avancée pour le pouvoir d’achat (particulièrement pour les précaires) par l’efficacité énergétique, pour l’économie et pour l’emploi. Au moment où l’économie est en berne, c’est dans les filières les plus intensives en emplois (qui plus est non délocalisables) qu’il faut concentrer les investissements. C’est précisément le cas des énergies renouvelables, de la réhabilitation thermique des bâtiments, des transports collectifs, des véhicules sobres… où des centaines de milliers d’emplois peuvent être créées.
On nous dit souvent que la transition énergétique a un coût. Nous répondons qu’il ne s’agit pas d’un coût mais d’un investissement. Et nous rappelons que la non-transition énergétique, elle, est bien plus coûteuse. Aux coûts du nucléaire et du dérèglement climatique, s’ajoutent les 70 milliards d’euros (et 500 milliards à l’échelle de l’UE) dépensés chaque année pour importer des énergies fossiles (et le coût géopolitique gigantesque de notre inaction énergétique). Chacun peut imaginer à quel point il serait économiquement bien plus censé de les dépenser sur notre territoire qu’en importations.
La France ne peut pas se permettre de rater le virage énergétique pris par nos voisins. En mettant fin au mythe du nucléaire bon marché qui entrave toute évolution de la politique énergétique de la France depuis des décennies nous avons marqué des points. Il nous reste à transformer l’essai. Nous nous battons pied à pied sur le pré-projet en cours. Et les écologistes continueront tout au long des mois à venir, au sein du Conseil national de la transition écologique, au Conseil économique social et environnemental… et évidemment au Parlement.
La loi de transition énergétique ne sera peut-être pas le « Grand Soir » de la sortie du nucléaire. Pour cela il faudra encore d’autres combats. Mais elle peut constituer une avancée très significative.
par Denis Baupin, député EELV de Paris,
rapporteur de la commission parlementaire d’enquête sur le coût du nucléaire