La colère et la honte… Ainsi donc, la justice ne sera pas faite, ni la vérité révélée sur les circonstances de la mort de Rémi Fraisse.
La violence, la froideur et le cynisme de la machine d’État auront à la fois rendu possible sinon encouragé ce drame mais aussi refusé que toute la lumière soit faite.
Sans vérité, il ne peut y avoir de justice. Sans justice, il ne peut y avoir de confiance des citoyennes et des citoyens vis à vis des institutions auxquelles nous déléguons notre souveraineté et l’autorité qui va avec.
Et sans cette confiance, il ne peut y avoir de garantie du maintient de la paix sociale dans une démocratie.
Je ressens donc une grande colère, celle que génère mon humiliation de militant écologiste dont l’un des siens a subit une agression non fondée et disproportionnée ayant conduit à sa mort, de la part de forces de l’ordre censées nous protéger contre l’arbitraire.
Mais je ressens également cette colère en tant que citoyen vigilant au respect des valeurs de notre démocratie. Car les forces de l’ordre ont agit sur ordres. Ceux d’un Gouvernement qui a assimilé les militant-es écologistes et régionalistes aux terroristes de Daesh, légitimant par cet amalgame la violence déchainée contre les militant.e. présent.e.s à Sivens. Il s’agissait aussi, dans une confusion criminelle entre « autorité » et « autoritarisme » pour le premier ministre de l’époque, Manuel Valls, de montrer sa « force » à moindre frais contre des écologistes ultra majoritairement pacifistes.
« Faible avec les forts, fort avec les faibles », telle est sans doute dans son esprit la définition de l’exercice du pouvoir et le moyen de démontrer sa virile capacité de dirigeant… Nuque raide et mâchoire serrée : pathétique petit héros de sa pitoyable « story telling »… J’enrage d’autant plus qu’à Sivens, faut-il le rappeler, les Gendarmes qui ont utilisé une force de frappe d’une puissance folle n’étaient pas du coté du droit, comme la justice l’a montré en donnant raison aux opposant.e.s au barrage de Sivens. A Sivens, force n’a pas été à la Loi. Et un jeune militant pacifiste en est mort.
Oui, cette mort est une tache indélébile sur ce Gouvernement qui dans son aveuglement, son amateurisme, son immaturité et son impuissance s’est laissé allé à faire un exemple en « matant de l’écolo ». Mais cette tache s’étend aujourd’hui quand on constate avec quel soin tout est fait pour que soient dissimulées ces turpitudes. Je suis donc en colère, mais j’ai honte, aussi, de notre pays quand je constate la manière dont sont traité.e.s toutes ces militantes et tous ces militants qui luttent de manières désintéressées et pacifiques pour de justes causes.
À Notre Dame des Landes, c’est le même scénario obscène qui est renouvelé où des femmes et des hommes en paix avec la Nature et avec leurs contemporains sont dépeints comme des criminels, et cela dans le but de mieux justifier le traitement qui leur sera peut-être réservé demain par ces mêmes forces de l’ordre obéissant aux même consignes de « fermeté ». Mais c’est aussi le harcèlement que subissent les militant.e.s qui au nom des principes les plus élémentaires d’humanisme et de solidarité refusent que des réfugié.e.s puissent mourir de froid dans nos montagnes après avoir survécu à la traversée de la Méditerranée.
C’est l’un des tristes signes de notre époque où les victimes finissent par lasser et cette lassitude autorise alors les diverses saloperies d’un pouvoir qui à défaut de peser sur les puissants s’acharne sur les plus fragiles. On est chômeur par ce qu’on refuse un emploi; on est SDF par ce qu’on refuse un abri; on est réfugié par ce qu’on refuse de rester dans son pays; on subit 10, 20, 100 fois plus de contrôles d’identité qu’un concitoyen blanc par ce qu’on est noir ou arabe, et on est tué par des gendarmes par ce qu’on est écologiste, qu’on aime les fleurs et qu’on refuse qu’un barrage qu’on soupçonne, à raison, d’être illégal soit construit au détriment de la biodiversité. Toutes ces injustices se tiennent. Elles constituent les différents maillons d’une même chaîne qui légitime de faire donner la force contre les plus fragiles pour faire oublier qu’on a renoncé à combattre les véritables injustices d’un monde qui en compte de plus en plus. Triste signe de notre époque, donc, où les moyens de l’État, police et justice, sont employés pour poursuivre, harceler ou tuer des gens biens, des citoyen.n.e.s engagé.e.s qui essayent de faire en sorte à leur niveau que notre monde soit un peu moins pourri qu’il n’est.
Mes pensées sont toutes tournées vers Rémi Fraisse, vers sa famille. Je ne trouve pas en moi les ressources pour imaginer ce qu’elle ressent à cette heure. Je pense donc à eux, humblement. Je pense à toutes celles et ceux qui ressentent ces mêmes sentiments de colère et de honte qui me frappent ce soir. Et j’espère… J’espère que cette honte et cette colère seront des vecteurs puissants et bienveillants de changements décisifs qui mettent à bas ces injustices qui nous font souffrir et auxquelles nous ne nous résignons pas. C’est la leçon que je retiens de Rémi. A la place qui était la sienne, il ne s’est pas contenté de l’indignation, il a fait sa part. C’est ce qu’aucune violence imbécile et impunie ne pourra jamais lui retirer pour peu que nous soyons nombreuses et nombreux lucides, actif.v.e.s et déterminé.e.s à refuser de nous habituer et à nous résigner à la misère du monde.
David Cormand, secrétaire national d’Europe Écologie – Les Verts