Article publié le 2 septembre 2013 sur le blog de Noël Mamère sur Rue89
Depuis 2011, un dictateur organise méthodiquement la guerre civile interconfessionnelle en Syrie. Il a d’abord fait tirer sur les manifestants désarmés, puis envoyé les chars, puis fait bombarder quotidiennement son peuple. Il a réalisé ce qu’aucun dictateur n’avait osé depuis Franco et Guernica.
La communauté internationale l’a laissé faire, paralysée par le précédent libyen, quand la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis n’avaient pas respecté le mandat qui leur avait été donné par l’ONU ; paralysée surtout par l’exemple irakien. D’une certaine manière, Bush a phagocyté Obama.
En utilisant une nouvelle fois les armes chimiques, Bachar el-Assad a voulu tester le point limite, la fameuse « ligne rouge » que les Etats ont tracée depuis le traité de 1925 sur les armes chimiques, réactualisé en 1993 après le massacre de 4 000 kurdes à Halabja par Saddam Hussein.
Les Etats-Unis et la France obligés d’intervenir
Il faut rappeler ces faits pour juger de l’attitude d’Obama et de François Hollande qui n’ont rien fait depuis deux ans – comme l’ensemble de la « communauté internationale » – pour aider concrètement la révolution syrienne contre le dictateur.
Résultat : plus de 100 000 morts, des millions de réfugiés, la guerre civile généralisée et des milliers de djihadistes qui pourrissent la révolution démocratique du peuple syrien. Pire, une guerre qui infeste maintenant la Jordanie, le Liban, l’Irak, la Turquie, une guerre qui s’internationalise avec l’intervention ouverte de l’Iran et du Hezbollah au côté d’Assad.
Si les Etats-Unis et la France ne veulent pas perdre toute crédibilité face à un clan qui a franchi un seuil insupportable dans le terrorisme d’Etat contre son peuple en commettant un crime contre l’humanité le 21 août, ils sont obligés d’intervenir.
La question des buts de guerre reste cependant posée : pour quels objectifs, à quelles fins intervenons-nous ? Le discours de François Hollande ne me satisfait pas. Selon le Président, il faut frapper pour « punir ». Cette rhétorique néoconservatrice masque le vide de la stratégie.
En larguant quelques bombes sur des casernes ou des bâtiments vides, on veut envoyer un message au dictateur. Cela peut se comprendre, mais c’est mettre le doigt dans un engrenage dangereux s’il n’y a pas de réponse pour le jour d’après.
Si nous ne mettons pas en œuvre une feuille de route visant à rééquilibrer les forces pour arriver à une négociation politique, le « message » envoyé ne fera que marquer une nouvelle étape dans l’impunité dont Bachar et son clan vont profiter.
Défendre le droit international
Les conditions de cette feuille de route sont connues :
- établir une « no flying zone », une zone d’exclusion aérienne, autour des zones frontalières libérées pour que puisse s’imposer un gouvernement issu de la coalition ;
- fournir des armes à l’Armée syrienne libre de manière à ce qu’elle s’impose non seulement aux forces d’Assad mais aussi aux djihadistes ;
- permettre à la coalition de participer à un Genève 2 en position de force.
La « no flying zone » est techniquement difficile à réaliser, mais ce qui a été possible autour du Kurdistan irakien peut l’être sur le territoire syrien, à condition de détruire les infrastructures aériennes du régime syrien.
Les armes, elles, doivent arriver d’urgence car, chaque jour, les djihadistes (qui eux n’ont pas de problèmes d’approvisionnement) se développent et retournent leurs armes contre les forces démocratiques et les Kurdes.
Il ne s’agit donc ni d’une occupation à l’irakienne, ni d’une intervention à la libyenne, ni même d’une guerre de défense de la Françafrique menée au Mali – et contre laquelle je m’étais élevé même si elle fut menée, il faut le reconnaître, avec une certaine intelligence par le président de la République.
Il s’agit de défendre le droit international sur la question des armes chimiques. Nous ne sommes pas dans le fantasme des armes de destruction massive de Bush ; elles ont été utilisées par l’armée d’Assad. Le constat est clair et la ligne rouge fixée a été enfoncée. Mais il faut aussi donner de l’espace politique à la coalition syrienne en lui permettant de gagner du temps face aux offensives syro-iraniennes.
Bien sûr, Assad tente de nous enfermer dans un piège, de faire jouer la fibre du nationalisme arabe et de l’anti-impérialisme pour défendre son clan. Il peut même espérer que les Iraniens s’engagent encore un peu plus dans la guerre en lui envoyant des centaines de milliers d’hommes pour repousser la coalition.
Mais l’art de la guerre, c’est justement de la faire en proposant une issue politique ; la clef, c’est la personne d’Assad. Il faut qu’à un moment, la communauté alaouite se débarrasse de ce clan et de ce personnage qui empêchent toute réconciliation nationale.
La situation complexe du Moyen-Orient et l’aventurisme des précédentes interventions en Irak ou en Libye sèment le doute dans les opinions publiques occidentales. Mais d’un mal peut surgir un bien.
La France, dernière monarchie occidentale de droit divin
Que le parlement britannique, pour la première fois depuis le XVIIIesiècle, ait dit non à une intervention militaire proposée par son Premier ministre, qu’Obama consulte le Congrès et mette en jeu sa crédibilité de commandant en chef des armées, est une avancée démocratique notable qui devrait s’imposer à la France.
Malheureusement, celle-ci apparaît comme la dernière monarchie occidentale de droit divin où seul le Président décide, en son âme et conscience, de la guerre et de la paix, du droit de vie et de mort… Après caution d’un débat sans vote par un Parlement croupion.
C’est pour cela, évidemment, qu’un vote doit avoir lieu, à l’instar de celui que le président Mitterrand avait organisé lors de la première guerre d’Irak… Et conformément à ce que nous avons toujours demandé chaque fois que la France a projeté des troupes sur un théâtre extérieur.
Les révolutions arabes menacées
Un dernier mot à l’attention de la gauche de la gauche : je ne pense pas que c’est « ajouter de la guerre à la guerre » que de renforcer politiquement la coalition syrienne. Les forces politiques qui appellent à des rassemblements contre l’intervention auraient mieux fait de se mobiliser depuis deux ans pour soutenir la révolution syrienne. C’est une conception « campiste » dépassée qui fait que, d’une manière un peu pavlovienne, dès que les Etats-Unis interviennent, on se mobilise contre le grand Satan.
Je l’avais déjà dit à propos du Kosovo : chaque situation politique est spécifique. La Syrie n’est ni l’Irak, ni l’Iran, ni le Mali. La gauche française doit comprendre que ce qui se joue en Syrie, c’est aussi et peut-être surtout la défense des révolutions arabes menacées par la contre-révolution en marche.
Ce qui s’est passé depuis le 3 juillet en Egypte est grave. Les généraux égyptiens soutiennent désormais ouvertement Assad dans lequel ils reconnaissent un frère d’arme qui défend les mêmes intérêts de caste.
Les révolutions arabes sont menacées par deux dangers : les dictatures théocratiques et le retour des dictatures militaires et policières. La seule manière de les défendre consiste à tout faire pour renforcer la troisième voie celle, fragile, des démocrates qui refusent les deux issues fatales.
Si les démocrates syriens sont battus par les extrémistes du djihad et par le clan au pouvoir, la régression qui s’en suivra nous ramènera des dizaines d’années en arrière. Les révolutions arabes, comme toute révolution, ne se jouent pas en un printemps mais sur une, voire sur plusieurs générations.
Le chaos actuel est difficilement compréhensible pour le citoyen européen, mais ce qui se joue en Syrie nous concerne tous. « La guerre n’est qu’un prolongement de la politique par d’autres moyens. » Le mot de Clausewitz ne s’est jamais si bien appliqué qu’en ce moment de veillée d’armes en Syrie.
photo par Bo yaser, sous licence Creative Commons : Manifestation à Homs contre le régime d’Al Assad, 18 avril 2011