Climat : avec les annonces d’Obama, au Far West du nouveau ?
par Céline Ramstein, co-secrétaire du groupe EELV pour l’Amérique du Nord
Un rapport national sur le climat a été publié aux Etats Unis le 6 mai dernier. Son retentissement le hisse au rang d’évènement remarquable, pourquoi ? A l’ouest y aurait-il du nouveau ?
Oui ! Ce rapport est en fait le troisième « National Climate Assesment » (les précédents avaient été publiés en 2000 et en 2009). Le « US Global Change Research Program » (qui rassemble les départements scientifiques de 13 agences fédérales américaines) doit publier un tel rapport tous les 4 ans, dans l’objectif d’informer le pays sur les changements à venir pour mieux les anticiper et s’y adapter.
Il me semble que, si on parle tellement de ce rapport aux Etats-Unis – et ailleurs-, c’est tout d’abord en raison du contexte actuel. En 2011 et 2012, le pays a connu 25 événements climatiques extrêmes dont les conséquences, sur les infrastructures et l’agriculture notamment, dépassent un milliard de dollars (pour un total de 188 milliards de dollars). Les américains ont dû faire face à d’importantes inondations (dans le Midwest notamment), des ouragans (comme Sandy), des incendies majeurs (en Californie, au Colorado), un hiver très rude (à l’Est du pays) ou encore des vagues de chaleur et de sécheresse (en Californie, en Arizona et au New Mexico par exemple). S’il n’est pas possible de lier directement un événement climatique particulier au réchauffement climatique, il est clair que le dérèglement climatique va augmenter l’intensité et la fréquence des événements climatiques extrêmes, comme les vagues de chaleurs ou les inondations, et qu’il en aggrave d’ores et déjà les conséquences. Les américains commencent à prendre conscience de cette réalité. L’opinion publique évolue, les deux tiers des Américains se disent aujourd’hui inquiets face à l’évolution du climat et pensent qu’il a « empiré » au cours des dernières années. On constate donc une évolution dans la perception qu’a la population, en réaction face à ces catastrophes, « the hard way » comme disent les Américains.
Un deuxième élément qui peut expliquer ce « succès »: ce rapport et le site interactif qui l’accompagne présentent pour la première fois les conséquences du changement climatique à un niveau très local, avec l’idée d’inciter les américains à regarder les conséquences que le changement climatique aura pour eux, pour leur famille, pour leur « communauté », ce qui rend les choses d’une certaine façon plus « immédiate » et accessible pour le grand public.
Enfin, je crois qu’une autre raison qui a fait ressortir ce rapport comme un fait d’actualité majeur c’est l’implication personnelle du président Obama et de ses ministres pour le présenter au grand public. Dans une campagne de communication bien orchestrée, ils ont porté (et continuent de porter) un discours clair, dans les médias et au cours de leurs déplacements dans les Etats qui peut se résumer ainsi « le réchauffement climatique est une réalité, il affecte le pays dès aujourd’hui, il vous affecte vous personnellement ou risque de vous affecter dans les années à venir, nous devons agir ».
Le rapport avance des propositions pour atténuer les impacts : quelles sont-elles ?
Les propositions, malheureusement, elles, ne sont pas nouvelles… Comme on le sait depuis des années, le meilleur moyen d’éviter ces impacts, c’est de limiter l’ampleur du réchauffement climatique en diminuant les émissions de gaz à effet de serre : en consommant moins d’énergie et en développement un modèle de société plus sobre en carbone. Aux Etats-Unis, cela se traduit par la nécessité de réduire rapidement les émissions liées aux transports et la production d’électricité, les secteurs les plus émetteurs. Le rapport évoque également des actions pour réduire les émissions de carbone noir (la « suie ») ou de méthane qui ont une durée de vie dans l’atmosphère relativement courte.
Mais, bien sûr, comme une part du réchauffement climatique est déjà inéluctable et que, si les émissions continuent sur leur tendance actuelle, son ampleur va considérablement augmenter, il est important de s’y préparer et le rapport appelle donc à développer des plans d’évaluation des risques et des stratégies d’adaptation.
Ces propositions ne sont-elles pas des vœux pieux ?
Je pense que ces appels à l’action sont assez sincères. La question c’est plutôt de savoir s’ils seront suivis d’effet, avec le niveau d’ambition nécessaire et là ça devient plus compliqué…
Le président Obama par exemple a clairement fait du changement climatique l’une des priorités. Le plan action climat qu’il a présenté l’an dernier agit sur ces deux plans, voici quelques exemples parmi les mesures annoncées :
– atténuation : réglementation pour les centrales électriques fonctionnant aux énergies fossiles, adoption de standards d’efficacité énergétique plus contraignants pour les véhicules, les bâtiments et les appareils électroménagers, accélération du développement des énergies renouvelables, …
– adaptation : proposition pour la création d’un fonds d’un milliard de dollars pour la résilience, création une taskforce sur la préparation aux impacts du changement climatique rassemblant des élus locaux, régionaux et tribaux, amélioration des infrastructures, aide aux élus pour l’établissement de plans d’adaptation au niveau local, régional et national par les agences locales et fédérales, création de nombreux centres de recherches sur la résilience, …
Est-ce que c’est suffisant ? Certainement pas, mais pour autant, il faut voir quel est le contexte politique américain. Le Congrès est totalement bloqué, les élus républicains mènent une sorte de « croisade » contre le réchauffement climatique et il est donc quasiment impossible de faire passer une législation sur ce sujet au Congrès, sans compter l’importance de lobbies extrêmement puissants, qui s’opposent à tout progrès dans ce domaine. Le président fait donc ce qu’il peut avec les pouvoirs dont il dispose.
La publication, le 2 juin dernier, du projet de réglementation pour les émissions des centrales fonctionnant aux énergies fossiles, qui requiert une baisse de ces émissions de 30% d’ici à 2030 (par rapport à 2005) constitue par exemple une première historique pour le pays. Mais les progrès demeurent trop lents et trop peu ambitieux.
On peut aussi s’interroger sur la cohérence de sa stratégie énergétique dite « all of the above », qui vise à renforcer l’indépendance énergétique du pays en encourageant le développement de tous les types d’énergies sur le territoire (y compris du pétrole et du gaz de schiste).
Malgré les efforts de leurs associations environnementales, appuyées par quelques personnalités médiatiques politiques (Al Gore) ou artistiques, les Etats Unis semblent toujours debout sur le frein pour ce qui concerne le climat, quels sont les blocages aujourd’hui ?
Le principal blocage aujourd’hui, c’est le clivage politique et le refus total et idéologique des élus républicains d’agir pour le réchauffement climatique. Pour donner un seul exemple (mineur mais assez révélateur de l’état du débat): lorsqu’ils ont gagné la majorité à la Chambre des Représentants, les Républicains ont décidé de supprimer les couverts et verres biodégradables de la cafétéria de la Chambre mis en place dans une démarche éco-responsable et de revenir aux couverts en plastiques… L’orientation actuelle du parti républicain est assez inquiétante car il n’y avait pas un tel blocage il y a encore quelques années. John McCain (candidat républicain à l’élection présidentielle en 2008) avait soutenu un système d’échange de quotas carbone et reconnaissait la réalité du réchauffement climatique et son origine anthropique, ce qui semble inimaginable pour un candidat républicain à l’élection présidentielle aujourd’hui…
Pour finir sur une note encourageante néanmoins, ce qui me semble assez positif c’est qu’au delà des « stars », il y a un mouvement important qui se construit sur le terrain, que ce soit en opposition au gaz de schiste, contre le pipeline Keystone, la construction de centrales à charbon ou encore dans des campagnes pour encourager à retirer les investissements (des universités ou des fonds de pension par exemple) de l’industrie des énergies fossiles, la population s’organise et se fait entendre.
Autre signe encourageant : les actions au niveau local. De plus en plus de villes adoptent des modèles de développement plus « durables », 29 Etats possèdent aujourd’hui des standards pour encourager les énergies renouvelables et les énergies éolienne et solaire se développent considérablement (la quantité d’électricité produite à partir de ces deux sources a quadruplé entre 2007 et 2012), la Californie, l’un des Etats les plus ambitieux dans le domaine s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre à leurs niveau de 1990 d’ici 2020 (soit une réduction de 30%) et de les réduire de 80% par rapport à leur niveau en 1990 d’ici à 2050. Là encore, ces actions seules ne seront pas suffisantes, mais c’est certainement encourageant !
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