“Cessons de ruiner notre sol“
de Frédéric Denhez
chez Flammarion
14 €
“L’agriculture n’est pas au pied du mur mais sur son sommet. Elle ne sait de quel côté basculer, s’il lui faut sauter à pieds joints ou descendre de l’autre côté en choisissant ses prises“. Voilà la conviction du journaliste Frédéric Denhez. La révolution agricole, écrit-il, est déjà entamée. Bien au-delà des agriculteurs bio et des exemples héroïques les plus visibles, le monde agricole bouge. Le sacro-saint labour, le phytosanitaire roi ? Ça ne passe plus, ou de moins en moins. Bien entendu, rien ne va de soi. Les blocages persistent, les mauvaises habitudes avec. L’idéal productiviste a de beaux restes, vorace et féroce. Mais ça change. C’est timide, hésitant, menacé toujours par “la peur du vide“ et le retour à l’habitude, c’est confortable l’habitude. Mais quelque chose se passe.
Et, pour Denhez, c’est le sol qui l’a permis : “en regardant le sol, les agriculteurs se sont vus dans un miroir. Qui leur a renvoyé l’image de ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être : des paysans“. Et l’auteur énumère, dans d’implacables chapitres, ce que nous lègue cette désolante transformation des paysans en agriculteurs : l’agriculture technicisée, les champs nus sur lesquels dévale l’azote, les pollutions chroniques, la dépendance obligée (aux marchands d’engrais, de pétrole, de soja), et surtout, le sacrifice de terres fertiles impitoyablement déchues en zones de bétonnage dont la laideur s’illustre dans les entrées de villes dévorées par les surfaces commerciales et les panneaux publicitaires. Dès la couverture, le diagnostic est sévère : “en France, 26 m2 de terres fertiles disparaissent chaque seconde“. C’est parce qu’ils constatent le désastre, parce qu’il n’est plus possible de le nier, que les agriculteurs changent.
Mais, et ce n’est pas le moindre mérite du livre que de le rappeler, tout le problème ne vient pas des agriculteurs. Les consommateurs ont leur part à jouer. Les pouvoirs publics aussi – et Denhez de se désoler du torpillage, ces dernières semaines, de la loi ALUR, qui allait enfin dans le bon sens. Le tout sans dogme, même généreux : il n’y a pas de solution miracle. L’objectif de performance environnementale, dont on sait l’urgence, ne pourra à lui seul suffire à réduire le problème. Après tout, explique Denhez, on peut très bien faire – techniquement, s’entend – des productions très intensives et artificialisées sans grand impact environnemental (“vous verrez qu’en termes de rejets, la ferme des Mille Vaches sera exemplaire !“). Poussée dans ses limites, l’agriculture intensive peut être verte. Mais elle aura d’abord vidé la campagne de ses paysans. Et massacré ses sols, dégradés au seul rang de supports de production. Denhez plaide pour une écologie qui ne soit pas “l’idiote utile d’un système que ses porte-parole prétendent vouloir détruire“. Ne pas voir que les émissions, les rejets, l’impact énergétique ou environnemental, mais regarder le beau. Ce qui fait le pays, et qui a besoin de paysans. On ne sortira pas du massacre des sols sans alliance entre les paysans et les écologistes.
Ah, une dernière chose. Le livre pourra aussi, par endroits, faire rire. De nos petites manies écolo friendly, notamment. Vaut le détour sa description d’un grand salon, qu’il peint comme “une foire écolo-sociale au tarif de concept-store parisien“, où l’on peut croquer “une tablette de chocolat bio-éthique-équitable-
Par Mickaël Marie