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François de Rugy promeut une vision du sentiment d’appartenance multiple, d’une identité plurielle.

Dans le débat général, François de Rugy, député EELV de Loire Atlantique, promeut une vision du sentiment d’appartenance multiple, d’une identité plurielle.

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 Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois – qui, sans doute du fait de sa fonction, est pour le moment un peu silencieux ! –, monsieur le rapporteur, chers collègues, tout a commencé par la déclaration de politique générale du Premier ministre voilà un peu plus de trois mois, dans laquelle il annonçait une réforme territoriale, mais ne faisait en réalité que relancer un processus à l’arrêt depuis deux ans. D’ailleurs, les tentatives de la précédente législature avaient également été enterrées.

Le Gouvernement a donc décidé de présenter deux projets de loi pour cette réforme, et nous trouvons, contrairement à d’autres, que c’est une bonne chose, car la question du découpage des régions et celle des compétences de ces futures collectivités sont des sujets à part entière. Nous considérons cependant que le texte sur les compétences est le plus important. Nous regrettons d’ailleurs qu’un glissement sémantique ait été opéré, et je m’adresse en particulier à M. le ministre et à M. le secrétaire d’État, du terme “décentralisation“ vers ceux de “réforme territoriale“.


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Or je me souviens que, pendant la campagne électorale de 2012, le candidat François Hollande avait fait un discours dans la ville de Dijon. Je ne sais pourquoi il avait choisi cette ville en particulier, mais le thème du discours était la décentralisation. On est parfois perdu dans les numéros, mais il avait parlé d’acte III de la décentralisation, et nous considérons que c’est bien ce qu’il faut lancer en priorité ; ce sera le débat de l’automne.

Quant au découpage des régions, c’est un autre sujet. Pour notre part, nous ne souscrivons pas à la logique de départ qui consisterait à poser comme objectif la division par deux du nombre de régions. La priorité pour renforcer les régions serait plutôt selon nous de leur donner des compétences et des moyens supplémentaires. Pour autant, le projet de loi que nous examinons sur le découpage des régions est l’occasion de parler de nos régions, et beaucoup de nos collègues ont évoqué les leurs, ce qui est tout à fait légitime. C’est d’ailleurs plutôt bon signe, car cela montre l’ancrage territorial des députés que nous sommes. À cet égard, je pourrais moi-même parler de “ma“ région, autrement dit celle à laquelle je me sens appartenir : la Bretagne.

Mais je voudrais d’abord parler de la France, car il me semble que c’est ce que nous devons faire au sujet d’un texte comme celui-là. L’histoire de France est en effet indissociable de celle de nos régions. À une époque, on disait les provinces, mais c’est la même chose ; j’y reviendrai. La construction de la France est tout à la fois celle d’une unité nationale et celle de régions. Quand on observe la succession des différents régimes politiques et les tentatives successives de découpage, on constate qu’il s’est toujours agi de la construction d’une unité nationale composée de régions, de territoires ayant leur propre identité, y compris linguistique.

On parle souvent de l’unité linguistique de la France, mais on ne doit jamais oublier qu’il y a une pluralité linguistique dans notre pays. Je me souviens, en partie pour des raisons personnelles, d’une région qui avait été séparée de la France – ce n’est pas si vieux – et dans laquelle les Français, car c’étaient bien des Français, étaient particulièrement attachés à la France, et peut-être plus encore que les autres Français, alors que beaucoup d’entre eux ne parlaient même pas le français. Mon arrière-grand-mère était dans ce cas. La France, c’est cette histoire. Mais l’avenir de la France est aussi de conserver cette unité et cette diversité des régions.

J’ai fait hier un petit rappel historique à l’occasion d’une explication de vote sur l’une des motions de procédure déposées par l’UMP en rappelant qu’il n’y avait eu qu’un seul débat parlementaire dans l’histoire de notre République concernant le découpage territorial ; c’était en 1789 lors de la création des départements. Il est vrai que, 225 ans plus tard, nous vivons toujours avec cette œuvre, dont la longévité mérite d’être saluée. Cependant, alors que l’objectif de certains des rédacteurs de cette carte était de casser les vieilles provinces d’Ancien régime, à l’instar d’un certain nombre de nos rois, ces provinces, qu’on appelle aujourd’hui les régions, existent toujours. Malgré cette volonté, le sentiment d’appartenance régionale existe toujours. Il est donc intéressant d’observer que la carte des départements s’est imposée sans faire disparaître ce sentiment d’appartenance. Si j’en crois un sondage paru dans plusieurs journaux régionaux, l’attachement aux régions reste fort. Certes, il diffère selon les régions : sont attachés à leur région 90 % des sondés en Bretagne, mais une portion inférieure à la moyenne nationale dans la région voisine artificielle des Pays de la Loire.

Nous, écologistes, continuons à penser que le découpage régional le plus légitime, le plus durable est précisément celui qui s’appuie sur ce sentiment d’appartenance. Or la légitimité d’un découpage n’est pas une question à prendre à la légère ; elle a son importance, en particulier si nous voulons renforcer les pouvoirs, les compétences et les moyens des régions. Et c’est dans cette direction que les écologistes ont toujours voulu aller.

Quand on avance un tel argument, et j’ai encore vu dans cet hémicycle certains lever les yeux au ciel, on nous rétorque qu’il s’agit de “dérive identitaire“, de “repli identitaire“ répondant à un “sentiment d’exclusion“ ; je cite ici des mots et expressions qui ont été employés au cours du débat en commission. À entendre certains collègues, les futures régions auront des frontières, elles seront cerclées de barbelées infranchissables !

Je pense pour ma part qu’il faut affronter cette question de l’identité. Je trouve ce raisonnement particulièrement étrange et, pour tout dire, je le récuse, car l’identité régionale, c’est le sentiment d’appartenance à une collectivité. C’est le fait d’avoir envie de partager l’idée qu’on va mettre en œuvre un projet commun. Et c’est là l’essence même de la politique. J’ajoute, en particulier à l’attention de mes collègues de gauche, que c’est le plus puissant ferment de solidarité. On est beaucoup plus solidaire lorsqu’on se sent investi dans un projet commun. J’y insiste d’autant plus que c’est exactement ce qu’on dit au sujet de la solidarité nationale : il est souhaitable qu’un certain nombre de solidarités soient organisées à cette échelle. Il en va de même à l’échelle locale.

C’est exactement ce dont il est question dans les deux projets de loi, mes chers collègues, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État : si j’ai bien compris, et c’est ce que nous souhaitons, il s’agit de permettre aux régions de porter des projets de territoire et d’organiser la solidarité territoriale. Tels sont les deux piliers de la réforme, et nous en sommes d’accord.

Je récuse l’argument selon lequel il faudrait choisir entre l’identité régionale et l’identité nationale. Je le dis car, parmi les partisans de la construction européenne – j’en suis un, considérant que celle-ci est le fondement de mon engagement politique –, personne ne défend sérieusement l’idée que la construction européenne signifierait la disparition des identités nationales. Au nom de quoi la construction de la France supposerait la disparition des identités régionales ? Cela vaut également pour les langues régionales. Comment pourrions-nous, à l’échelle internationale, défendre la francophonie au nom de la diversité linguistique, face au risque d’uniformisation par le rouleau compresseur de l’anglais, et, à l’échelle régionale, vouloir effacer, casser les langues régionales ?

Vous l’avez compris, nous, écologistes, défendons cette vision du sentiment d’appartenance multiple, d’une identité plurielle. Sur les questions d’identité, on se trouve d’ailleurs toujours aux confins de l’individuel et du collectif. Je suis très frappé que ceux qui nient la question de l’identité dans ce débat convoquent très souvent leur histoire personnelle. Ces constructions mêlant l’intime et le collectif, c’est justement ce à quoi il faut faire très attention. C’est la tradition française.

Je le dis, je récuse l’idée selon laquelle la tradition française serait d’uniformiser et de nier les particularismes régionaux. On raille souvent l’esprit de clocher, mais c’est une richesse pour la France et les Français que d’avoir ces identités, l’une n’étant pas exclusive de l’autre.

Une députée a remarqué en commission que ce débat lui rappelait celui que nous avions eu, en 2009, sur l’identité nationale. Justement, j’avais dénoncé alors la vision d’Éric Besson, qui, je crois, a arrêté la politique – ce qui valait sans doute mieux… À l’époque, il était ministre de l’identité nationale et de l’immigration – oui, vous aviez effectué ce mélange étrange – et il expliquait que les Français devaient hiérarchiser leurs identités. Eh bien non ! Nous, nous ne demandons pas aux Français de choisir. Même s’ils ont une identité régionale forte, les Bretons, les Alsaciens, les Corses et les Picards sont aussi français que les autres !

Nous avons fêté il y a quelques jours le 14 juillet, qui commémore le 14 juillet 1790, jour de la fête de la Fédération. Non pas que la France était devenue un État fédéral – ne faisons pas de contresens –, mais parce que la garde nationale venait de se fédérer. Partout en France, le peuple s’était constitué en garde nationale pour protéger les acquis de la Révolution. La garde nationale a alors défilé sur le champ de mars, à quelques centaines de mètres d’ici, sous les bannières des régions et des départements. Dans ce grand moment d’unité nationale, la diversité territoriale s’est elle aussi exprimée.

Si j’ai abordé la question de l’identité, c’est parce qu’elle sous-tend ce débat. Deux logiques s’affrontent : la logique technocratique et la logique démocratique.  Lorsqu’ils évoquent le découpage régional, certains collègues parlent de critères tels les projets, les schémas, les plans, les pôles de compétitivité, tout un tas de “machins » – comme aurait dit le Général de Gaulle – que nos collectivités, qui elles aussi ont leurs technocrates, sont très fortes pour inventer. Je suis frappé de ne plus les entendre parler alors des Français, parler aux Français. Non, une ligne de TGV, un canal, un aéroport, un pôle de compétitivité ne feront jamais une région, une identité régionale ! Je vois bien que la tentation de nier les identités et cultures régionales existe. Nous vivons aujourd’hui avec un découpage régional qui est une construction technocratique. Les vingt-deux régions n’ont jamais été soumises au débat et au vote du Parlement, et pour cause : ce découpage n’était pas conçu pour créer des collectivités locales, mais pour organiser les services de l’État. À l’époque, il s’agissait de “circonscriptions d’action régionale“, lesquelles sont devenues des “établissements publics régionaux“.

Nous n’en sommes plus là, heureusement ! L’élection au suffrage universel direct des conseillers régionaux fut une excellente disposition, votée par la majorité de gauche, en 1986. Le découpage régional, conçu dans les années 1950, remonte à 1959, il y a plus de cinquante-cinq ans. Je vous invite, chers collègues, à vous pencher sur sa genèse, c’est très intéressant.

Vous pourrez lire aussi le portrait que le magazine l’Express en 2004 a consacré à celui qui en fut le père, Serge Antoine. Celui-ci expliquait : “Dans les années 1950, il s’agissait simplement de permettre à l’État de réussir sa planification territoriale […]“ – nous étions bien loin de l’idée des projets de territoire ! – “Ma seule erreur a été de croire que je mettais en place un système évolutif. J’étais convaincu, naïvement, que l’on assisterait peu à peu à des fusions de régions. Hélas, j’attends encore“. Voilà ce que disait Serge Antoine de ce découpage, qui doit, en effet, être modifié.

Que faire maintenant ? Les écologistes ont toujours été du côté des réformateurs. M. le secrétaire d’État Vallini, membre du comité Balladur, sous la précédente législature, doit se souvenir que nous avions plaidé pour une réforme importante. Mais en ce qui nous concerne, nous faisons preuve de cohérence et ce que nous disons aujourd’hui est dans la continuité stricte de ce que nous disions alors : notre priorité n’est pas la réduction du nombre de régions, mais la décentralisation de l’État.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, je vous invite à ce que, dans le débat sur les compétences, nous évoluions sur ce sujet : pour le moment, je n’ai rien vu qui corresponde à une décentralisation de l’État vers les régions. Or des régions plus fortes sont des régions qui assumeront demain des compétences qui sont celles aujourd’hui de l’État. Il faut une clarification du mille-feuille territorial, avec une fusion des départements et des régions.

Je me permets d’ailleurs de tirer la sonnette d’alarme : prenons garde à ce que la création de grandes régions ne conduise à maintenir les conseils généraux. Car on en viendra à expliquer qu’il faut, dans les grandes régions, créer un échelon intermédiaire.

Le Premier ministre l’a dit dans un discours aux parlementaires de la majorité – et je crois que vous partagez cette opinion, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État : l’organisation territoriale peut ne pas être la même partout en France. Des dispositifs différents peuvent coexister. Les écologistes seraient, par exemple, tout à fait favorables à une assemblée d’Alsace, comme à une assemblée de Bretagne, chère au cœur du président Urvoas, qui a même écrit un livre sur le sujet. On aurait même pu penser que la Picardie pouvait être une région réunissant trois départements et 2 millions d’habitants, avec une assemblée qui gère tout à la fois les compétences régionales et départementales : c’eût été une région à la fois proche des citoyens et suffisamment grande pour mener un certain nombre de politiques. Nous avons compris que ce n’était pas la logique du Gouvernement, qui est plutôt de faire des grandes régions.

La première proposition était à nos yeux incompréhensible et inacceptable. Aucune logique n’y présidait : ni de fusion, ni d’appui sur les identités et cultures régionales, ni de taille géographique, ni de taille démographique.

Le Sénat aurait pu faire évoluer la carte. Les amendements comportaient des propositions intéressantes, notamment celle du président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, en faveur de la région Centre. Malheureusement, la drôle de majorité composée des sénateurs UMP, communistes et radicaux de gauches a préféré saborder purement et simplement la carte.

Cette dernière a évolué une première fois en commission, de façon assez modeste, le Limousin rejoignant l’Aquitaine. Une nouvelle carte nous est proposée par le groupe socialiste. Je tiens d’ailleurs à bien souligner qu’il s’agit d’une proposition du groupe socialiste, car si l’on en croit certains médias, cette carte aurait déjà été adoptée ce qui signifie qu’il n’y aurait donc plus de débat.

Cette proposition me paraît aller dans le bon sens. Je l’ai dit publiquement lorsqu’elle a été annoncée. Mais elle n’est pas encore totalement compréhensible. Il faut bien dire qu’une anomalie demeure, et qui saute aux yeux. Maintenant que vous avez privilégié la logique des grandes régions, il est quand même assez étrange que trois régions se trouvent maintenues dans le statu quo, dans l’ouest et le centre de la France. Il s’agit de la Bretagne, amputée de la Loire-Atlantique, de la région Pays de la Loire, artificielle parmi les artificielles et maintenue en l’état, et de la région Centre, pour laquelle beaucoup, notamment des députés de la majorité qui en sont issus, souhaiteraient faire évoluer les choses.

Je faisais allusion à la Bretagne. Parlons-en justement. Il s’agit de la seule région de France où existe, depuis des dizaines d’années, une revendication de découpage. Il n’y en a pas eu dans d’autres, sauf peut-être en Normandie, comme l’a expliqué Alain Tourret.

Ainsi, alors qu’un projet de loi de redécoupage est soumis à notre examen, cette revendication ancienne de réunification de la Bretagne ne serait pas satisfaite ? C’est incompréhensible. J’en appelle donc à une nouvelle évolution, à un pas supplémentaire dans le débat. Nous proposerons des amendements pour achever de réformer la carte des régions, avec, dans l’ouest, une vraie région Bretagne et une vraie région Centre-Val-de-Loire.

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