Alors que les négociations se crispent entre le PS et les écolos sur la question du nucléaire, deux élus EE-LV reviennent sur les tenants et les aboutissants de la construction de l’EPR de Flammanville.
Depuis le 11 mars dernier, au premier jour de la catastrophe nucléaire toujours en cours au Japon, le monde entier se projette de plus en plus nettement dans un avenir sans nucléaire. Le monde entier ? Pas tout à fait. Un pays résiste, encore et toujours. Le nôtre. La France est le village d’Astérix de l’électricité nucléaire. Ici, les élites économiques et politiques semblent, dans leur grande majorité, n’avoir même pas été troublées par l’irruption d’une catastrophe majeure dont tous pourtant assuraient qu’elle était impossible. La France ne doute pas. Le nuage des incertitudes portées par Fukushima s’est arrêté à nos frontières.
Les arguments qui avaient cours avant la catastrophe n’ont même pas été congédiés. Persuadés qu’à force de la répéter, une erreur peut devenir une vérité, gouvernants et industriels persistent à ne rien céder. Le nucléaire français, proclament-ils imperturbables, c’est la sécurité, l’indépendance énergétique, l’électricité bon marché, et pour toujours ! L’accident ? Il est – à jamais – impossible. Peu importe que ces affirmations fantaisistes soient régulièrement battues en brèche par les révélations répétées sur les failles de sûreté ou les rapports alarmés des autorités de sûreté et des organismes indépendants. Les faits sont têtus, mais l’idéologie l’est davantage. On n’abandonne pas comme ça le dogme de l’infaillibilité nationale.
Reste que tout cela tient du gros œuvre, à peu près aussi bâclé et brouillon que l’actuel chantier de l’EPR de Flamanville, qui se distingue surtout pour son acception particulière du droit du travail, et dont même la qualité du béton est à revoir. On trouve, admettons-le, plus sophistiqué dans la masse des arguments mobilisés en faveur de l’atome. Ainsi de cette idée selon laquelle, s’il serait certes souhaitable de réduire peu à peu la part du nucléaire dans le « bouquet énergétique » national, il conviendrait d’utiliser le réacteur EPR, dit de « troisième génération », comme « outil de la transition ».
La chose mérite qu’on s’y attarde pour elle-même, tant elle est très sérieusement défendue et, on le sait, fait l’objet d’âpres discussions entre deux des formations politiques qui pourraient, dans quelques mois, gouverner ensemble notre pays. Certes on retrouve là l’inoxydable optimisme technologique de ceux qui, persuadés de l’évidente supériorité du nucléaire sur toute autre manière de produire de l’électricité, n’imaginent sincèrement pas possible de faire autrement. C’est le drame et la force de l’aveuglement, lorsqu’il se prend pour la raison.
Rappelons, d’abord, ce qu’est l’EPR : un réacteur nucléaire conçu par AREVA (avec l’allemand Siemens, qui a depuis abandonné ses activités dans le nucléaire) et construit par EDF, et que la France souhaite vendre dans le monde entier. Objectif commercial : une filière d’exportation du savoir-faire français. Résultat guère concluant pour l’heure, malgré la débauche de moyens investis : trois EPR sont en construction à l’étranger, dont l’un, en Finlande, accumule tant de difficultés qu’il ne peut guère susciter l’enthousiasme du client. En France, un premier chantier a été engagé à Flamanville, dans la Manche, où le consensus politique droite-gauche en faveur de la monoculture atomique prédisait une adhésion durable et sans à-coup. Raté là aussi : le chantier additionne les retards, la facture s’alourdit et même les élus locaux les plus favorables commencent, dans les commissions locales d’information, à s’interroger sur la crédibilité des promesses de sécurité conjointes d’EDF et AREVA.
Sombre tableau, pour un modèle de réacteur qui était censé assurer le renouvellement du parc nucléaire national, l’EPR de Flamanville étant présenté comme la « tête de série » de chantiers futurs dans toute la France. Mais les problèmes n’effraient après tout que ceux qui doutent, et l’EPR continue d’être invariablement présenté comme un outil indispensable, à la fois par ceux qui contre vents et marées promettent encore de construire de nouveaux réacteurs dans les prochaines années (alimentés par quel minerai ? Les réserves mondiales d’uranium – une ressource fossile – sont estimées à quarante ou cinquante années au niveau actuel de consommation. Il n’y a pas de réponse à cette question, qui d’ailleurs n’est jamais posée) et par ceux qui admettent, à regret, qu’il faudra bien commencer de tourner la page.
Discutons, à présent, l’hypothèse : l’EPR, outil de la transition énergétique ? On ne s’attardera pas sur les arguments génériques, ils sont connus. L’EPR, pas plus qu’un autre modèle de réacteur, n’échappe aux problèmes liés à la production électronucléaire : risques d’accidents, production de déchets, coûts incertains du démantèlement, technologie lourde, chère et inadaptée. Bref, l’EPR, c’est bien du nucléaire, soit la manière la plus dangereuse de faire bouillir de l’eau, selon la formule du physicien Bernard Laponche. Pire : présenté comme le plus sûr des réacteurs, et dès lors admis à contenir plus de matière dangereuse qu’aucun autre, l’EPR est surtout le plus dangereux, précisément parce qu’il s’alimente de davantage de combustible que tout autre. Pour autant, comme les réacteurs plus anciens, il n’échappera pas, selon l’Autorité de sûreté nucléaire, aux « leçons de Fukushima », et à l’obligation coûteuse de réviser le modèle de sécurité qui le fonde. Mais concentrons-nous, au delà, sur trois arguments strictement rapportables à l’EPR, et surtout à cette idée que ce réacteur serait un « progrès » par rapport aux précédents, et nous serait d’un quelconque secours pour, en quelque sorte, passer le cap vers autre chose.
D’abord, sa date de conception. Ce réacteur du futur a été pensé… dans les années 1990, à une époque où l’idée même de l’épuisement des ressources fossiles était considérée par les esprits sérieux comme une blague potache et l’hypothèse d’une attaque terroriste par des avions gros porteurs impensable. On voit mal comment, même en faisant crédit aux ingénieurs qui l’ont conçu d’un sens de l’anticipation peu commun, ce réacteur hérité d’hier pourrait être la réponse aux défis d’aujourd’hui et de demain. Dès lors, rien d’étonnant à ce que l’Autorité française de sûreté nucléaire (ASN), avec les autorités de sureté britannique et finlandaise, aient enjoint EDF à apporter de lourdes modifications à « la conception de ce système » et des « justifications de sûreté supplémentaires ». Et ceci, plus d’un an avant Fukushima, qui aggrave encore l’évidence des failles de sûreté.
Ensuite, un rappel d’ordre logique : sortir du nucléaire, ou même réduire sa part dans le bouquet énergétique, suppose d’abord, et on s’excusera du truisme, de ne pas l’augmenter. A qui fera-t-on sérieusement croire qu’on sortira de la dépendance à l’énergie nucléaire en commençant par accroître ses capacités de production ? Une stratégie énergétique nationale s’élabore à vingt ans, pas à quinze jours. Décider d’aller au bout de l’EPR, c’est décider, sans le dire vraiment, qu’on augmentera, pour les années à venir, la production nucléaire française. Et engager, sans le dire du tout, notre pays sur la voie du renouvellement de son parc nucléaire.
Ce qui nous amène au dernier point, qui suppose de changer de regard. De faire un pas de côté, et de poser les questions dans l’autre sens. Ne pas se satisfaire, par exemple, de demander aux écologistes « pourquoi et comment sortir du nucléaire ? », mais interroger celles et ceux qui voudraient pouvoir continuer sur comment ils comptent faire. Le tout en gardant à l’esprit que les centrales nucléaires, à la différence des déchets qu’elles produisent, ont une durée de vie finalement très limitée. L’âge moyen du parc français est aujourd’hui de 25 ans. Et nos réacteurs ont été prévus pour durer trente ans. Autant dire que la question se pose maintenant : en 2015, 33 réacteurs (sur 58 que compte notre pays) auront atteint cet âge. En 2016, quatre de plus. Logiquement, et si du moins les promesses étaient tenues, il faudrait fermer, au terme de ces trente ans, les réacteurs concernés. Même en investissant massivement dans la remise à niveau pour porter cette durée de vie à 40 ans, comme certains le suggèrent, on ne fait finalement que reporter l’échéance de 10 ans. Question simple, à poser à ceux qui expliquent qu’on-ne-peut-pas-
La sortie du nucléaire n’est ni une proclamation théorique ni une posture religieuse. Si on fait abstraction des considérations – et des désaccords – politiques et idéologiques sur la technologie elle-même, on peut en gros réduire l’option « sortir du nucléaire » à l’une des deux réponses possibles à la question qui, quoiqu’on pense de la réponse à y apporter, se posera de toute façon : une fois nos centrales nucléaires en fin de vie, décide-t-on, oui ou non, de les remplacer par d’autres centrales nucléaires ?
Si la réponse est oui, le débat reste au stade où il est aujourd’hui, figeant d’un côté pronucléaires et de l’autre antinucléaires. Mais il y a fort à parier – et dans notre cas, à espérer – que le niveau de mobilisation antinucléaire ne sera plus le même que celui qu’on a connu hier. On peut douter, en effet, que les populations qui ont accepté, dans les années 1970 et 80, les promesses du nucléaire, soient enthousiastes à tenter encore l’expérience, sachant qu’ils sont eux-mêmes les sujets de l’expérience. C’est une chose de défendre – ou d’accepter – ce qui est là. C’en est une autre d’en vouloir davantage.
Si la réponse est non, c’est la sortie de facto du nucléaire. Ne pas renouveler, c’est arrêter. C’est donc « sortir », et il n’y a pas de réponse « entre deux ». C’est cette position qui peut aujourd’hui rassembler ceux qui, toujours, ont mis en garde contre l’impasse électronucléaire et ceux qui, hier et longtemps, ont considéré que les avantages, en la matière, l’emportaient sur les coûts et les risques. L’enjeu n’est pas de savoir qui sortira vainqueur d’un combat de tranchées – ou de couloirs. L’enjeu est de proposer, pour notre pays, un chemin qui soit à la hauteur des enjeux qu’il a, comme tous les autres, à affronter : ceux de la transition énergétique, au sens le plus plein du terme, qui exige que nous ne puissions pas, par les seules vertus d’une potion magique offerte comme artifice à un village gaulois, nous affranchir de la réalité. Elleaussi est têtue.
Hélène GASSIN est vice-présidente (Europe Écologie – Les Verts) du Conseil régional d’Ile de France, et Mickaël MARIE, président du groupe Europe Écologie – Les Verts au Conseil régional de Basse-Normandie.
7 réflexions au sujet de “EPR : le nuage de Fukushima n’est pas encore arrivé en France”
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D’abord merci, pour cet excellent article autant sur le fond que sur la forme.
Or, même si vous le savez,je vous le rappelle quand même, une nouvelle politique énergétique s’inscrit nécessairement dans une politique plus globale, des économies d’énergie à tous les niveaux, transformation industriel etc..
Enfin, je lisais sur Mediapart que des éoliennes en Allemagne sont à l’arrêt car le réseau est saturé et que,d’autre part, situées au Nord elles ne peuvent alimenter le Sud qui en manque
JAPON 31 octobre 2011 :
« beaucoup de cas de mort prématurée ou d’enfants difformes à qui il manque le cerveau ou qui ont ce qu’on appelle des « cœurs de Tchernobyl », à savoir des cœurs défectueux, des malformations etc… »
http://message.in.a.bottle.over-blog.com/article-carnet-de-voyage-87627327.html
Nuage radioactif sur l’Europe depuis 2 semaines, silence de l’AIEA et des autorités françaises, que se passe t-il à la centrale nucléaire de Krsko (Slovénie)?
http://fukushima.over-blog.fr/
Pourquoi EELV participe t-il à l’omerta internationale en taisant ces actualités dramatiques et très graves pour la santé humaine ?
Il ne suffit pas de tenir un discours électoraliste sur le nucléaire avant mai 2012, il faut également avoir le courage de révéler ce qui se passe vraiment aujourd’hui et dénoncer en public l’irradiation massive des populations.
Aurez-vous ce courage ?
Les citoyens vous jugeront la-dessus.
Bon article sur les décisions impératives et les choix à prendre pour l’avenir immédiat . La réponse DOIT être non , et comme souligné , il n’y a pas » d’entre deux ».
Je souhaite que la position de EELV ne varie pas en tenant compte de cet axiome précisément indépassable et qu’il n’y ait pas d’accord avec le PS qui on le sait restera sur sa position pro-nucléaire .
J’entends à la radio que Eva Joly ménage un espoir d’accord avec François Hollande entre les deux tours de la présidentielle si les conditions sont réunies . Nous savons que le PS ne changera pas sa version , aussi convient -il rationnellement d’en tirer les conséquences dès aujourd’hui . Si EELV devait transiger en avril alors je considérerais que mon soutien a été trahi , je ne peux l’imaginer un instant . Avec ou sans nucléaire : c’est SANS , point barre !
Bonjour,
Pleinement d’accord avec les propositions du réseau sortir du nucléaire je viens d’envoyer un message à François Hollande pour lui dire que 70% des Français lui demandent de s’engager clairement dans l’abandon rapide de l’énergie nucléaire, et donc dans l’arrêt du programme EPR. Je lui demande aussi de ne pas rater ce rendez-vous avec l’Histoire qui pourrait conduire les générations futures à nous reprocher de ne pas avoir su arrêter tant qu’il en était encore temps…
Mais EELV doit aussi s’engager fermement. Elle ne doit pas « vendre son âme au diable » pour quelques sièges de députés. L’engagement à l’abandon total du nucléaire (et donc bien sûr de l’EPR) doit être la condition sine qua non d’un accord avec le PS pour les législatives de 2012. Pour être crédible EELV ne doit pas transiger sur cette question. Eva Joly et Cécile Duflot paraissent l’avoir compris : il est indispensable qu’elles tiennent solidement cette position, sinon les citoyens écologistes ne comprendraient pas, seraient désemparés et pourraient se détourner d’élections où ils ne se sentiraient pas représentés, ce qui serait évidemment dommageable pour notre avenir à tous…
Eva, Cécile : tenez bon face au PS et à François Hollande, qui se laisse influencer par le lobby du nucléaire, ce qui ne devrait pas se produire pour un candidat à la présidence de la république !
Gérard Gouverneur. Conseiller CDC de Montesquieu. 33650 Saint-Morillon
« L’enjeu n’est pas de savoir qui sortira vainqueur d’un combat de tranchées – ou de couloirs. » HAAAAAAAAAAAAAAAAAHAHAHAHAHAHAHAHAHAhahahahahahahahahahahahaha!
Les hommes ont la mémoire courte, comment peuvent-ils déjà oublier un drame qui nous touchent tous, je parle de Fukushima. C’est être irresponsable que de vouloir continuer le nucléaire. Je demande instamment aux responsables politique, actuels et à venir, une sortie du nucléaire pour qu’il n’y ai plus jamais de Fukushima.
Claire CHEMINAUD
excellent article. j’aimerais bien qu’ E E les verts ne se laisse pas enfermer dans le débat EPR ou pas EPR. le plus important, c’est d’acter la sortie progressive du nucléaire, et de ne pas compromettre la capacité de la France à faire face à ses besoins énergétiques à un coût soutenable pour son économie. Alors, oui, nous allons fermer les centrales nucléaires en commençant par les plus veilles. Non, ce n’est pas une perte d’emplois que de sortir du nucléaire, c’est au contraire la création nette d’emplois dans les énergies renouvelables. Un exemple, la biomasse qui produit du méthane à partir de la fermentation des déchets verts est une solution dèjà mise en oeuvre par les agriculteurs allemands, et qui contribue à baisser leurs charges énergétiques, et à les rendre plus compétitifs !
Imaginons qu’avec les milliards que nous n’investirons pas dans la filière nucléaire, nous pourrions financer l’isolation efficace des logements sociaux, soutenir la création d’une filière industrielle française sur l’éolien, le solaire, la biomasse…et créer des emplois non délocalisables !
Les allemands que notre gouvernement cite souvent en exemple sur d’autre sujets ont décidé de sortir du nucléaire, et ils ont déjà pris une sacré longueur d’avance sur les énergies renouvelables. Alors, on continue dans notre obstination nucléaire, ou on prend le train de l’avenir avec eux ?