| Cahiers de l'Ecologie

Entretien avec le chercheur François Bottolier-Depois : focus sur les Fablabs et l’économie du partage

On parle beaucoup d’économie du partage. Pour tout comprendre à ce sujet, nos amis belges de la Fondation Etopia ont publié un article exhaustif sur le sujet. Vous pourrez le trouvez ici. Mais il n’y a pas qu’en Belgique que des chercheurs s’intéressent à ce modèle économique et politique émergeant qui pourrait bien bouleverser nos manières de vivre et de consommer. Le chercheur François Bottelier-Depois a répondu à nos questions afin de nous expliquer ce que sont les Fablabs. Les Fab quoi ? Rassurez-vous, vous aurez tout compris d’ici quelques lignes. Et peut-être trouvé une chouette idée à faire vivre près de chez vous.

Un FabLab, qu’est-ce que c’est ?

François Bottolier-Depois : les Fabrication Laboratories sont des espaces de travail collaboratif centrés autour de la mutualisation de machines de production à commande numérique comme les imprimantes 3D, les fraiseuses numériques ou encore les découpes laser. Le concept a été créé en 2001 par Neil Gerschenfeld, un professeur du MIT qui avait mis à la disposition de ses étudiants des machines à commande numérique dans le cadre d’un cours dont l’objectif était de « créer (presque) n’importe quoi ». Face au succès de cette initiative a été créé le concept de FabLab, qui s’est étendu dans le monde depuis lors : le premier FabLab français, Artilect, a été créé à Toulouse en 2009 ; depuis, le nombre de lieux augmente de façon exponentielle (55 lieux sont aujourd’hui recensés sur le fablab wiki).

Les FabLabs répondent à une charte qui met en avant le partage, la collaboration, l’apprentissage pair-à-pair, l’opensource et l’accès ouvert. En d’autres termes, un FabLab est par définition ouvert à tous gratuitement (au moins une partie du temps) ; on vient y donner autant qu’y recevoir (dimensions collaborative et pair-à-pair).

Cependant, il faut insister sur le fait que, si le mot FabLab s’impose en France comme un mot-valise, il fait souvent référence à une pluralité de lieux, que nous appelons « ateliers de fabrication numérique », et qui ne font pas référence au MIT ni à la Charte des FabLabs. Ainsi, de nombreuses entreprises (comme Renault, Seb, Airbus ou encore Adeo) se dotent d’ateliers de fabrication numérique qui sont destinés à remplir des objectifs internes et qui ne sont pas ouverts au public : il ne s’agit en aucun cas de FabLabs, même s’ils on un certain nombre de caractéristiques communes.

Ainsi, il existe aujourd’hui plusieurs types d’ateliers de fabrication numérique : les FabLabs, les hackerspaces (plus anciens que les FabLabs, plus militants, comme l’electrolab), les bio-hackerspaces (centrés sur l’étude du vivant, comme La Paillasse), les ateliers de fabrication numérique d’entreprises, les ateliers de fabrication numérique professionnels (comme les Américains de TechShop, ou comme le Français YOUFACTORY).

 

Un atelier de fabrication numérique, à quoi ça sert ?

F B.-D. : les ateliers de fabrication numérique sont des lieux qui doivent permettre, comme le prophétisait Neil Gershenfeld, de faire « presque n’importe quoi ». Ce sont des lieux de fabrication mais aussi des lieux d’échange, et par là d’innovation.

Les ateliers de fabrication numérique sont ce que l’on appelle des « lieux ouverts d’innovation » :

  • Dans ces lieux, on trouve des ordinateurs et des machines peu coûteuses qui, pour le prix des matériaux, permettent de concevoir et fabriquer un bien, ou encore de produire un bien qui a été conçu à l’autre bout de la planète (on peut par exemple imprimer un château « compatible lego » téléchargé sur la plateforme Thingiverse), ou encore de réparer votre machine à laver ou même votre voiture (par exemple en téléchargeant et en imprimant le bouton de condamnation de porte que vous venez de casser). Dans ces lieux, vous pouvez ainsi lutter contre l’obsolescence programmée.
  • Dans ces lieux, on rencontre des individus différents, aux compétences différentes, qui partagent leurs savoirs, leurs savoir-faire, leurs expertises et apprennent les uns des autres. Cela permet la « sérendipité » (c’est-à-dire la découverte fortuite) et l’innovation : Nicolas Huchet, amputé de la main droite, se rend au LabFab de Rennes, y rencontre des professeurs, des étudiants, des demandeurs d’emplois, des retraités, et ils développent ensemble BioNico, un projet de « prothèse de main bionique pilotable par toute personne en ayant besoin ».
  • Dans ces lieux, on vise avant tout à collaborer, et après uniquement à créer de la valeur économique : en d’autres termes, on remplace le secret, qui est souvent à l’honneur dans les process d’innovation, par l’ouverture, le partage et l’échange. En pratique, on promeut l’opensource, qui doit permettre de faire éclore les projets nouveaux sans en compromettre le développement économique. L’une des façons de fonctionner est par exemple de faire appel au financement de la communauté, comme l’a fait le projet FoldaRap, une imprimante 3D pliable opensource.
  • Enfin, dans ces lieux, on fonctionne comme les communautés virtuelles du web, mais on se rencontre dans le monde réel. Tout comme une communauté d’individus passionnés échange sur Internet dans l’objectif de produire du savoir de qualité sur le projet Wikipedia, les ateliers de fabrication numérique sont des espaces dans lesquels des individus vont échanger et collaborer dans l’objectif de concevoir des biens matériels, mais aussi des services et des services publics de qualité.

Ces quatre caractéristiques permettent de faire des ateliers de fabrication numérique des espaces dans lesquels on peut :

  • Produire, réparer, bidouiller ;
  • Apprendre (de ses pairs) en faisant ;
  • Inventer de nouveaux produits et services, innover.

 

En pratique, que fait-on dans un atelier de fabrication numérique ?

F B.-D. : les ateliers de fabrication numérique sont ce qu’en fait la communauté de ses utilisateurs. On les distingue ainsi en fonction de la communauté qui les anime :

  • Les ateliers de fabrication numérique d’entreprise s’adressent à la communauté des salariés et innovateurs de l’entreprise et poursuivent des objectifs d’innovation (par la collaboration) et de gestion des ressources humaines (formation notamment).
  • Les ateliers de fabrication numérique grand public s’adressent à une communauté de citoyens et ont des objectifs « émancipatoires » : il s’agit de permettre à tout individu d’avoir accès aux machines et aux compétences qui lui permettront de produire ce dont il a besoin, de réparer ou d’améliorer ce qu’il possède, d’acquérir de nouveaux savoirs et savoir-faire, de transmettre ses savoirs et savoir-faire, de créer de nouveaux produits, de penser par la collaboration avec autrui à de nouveaux projets, notamment économiques, etc.
  • Les ateliers de fabrication numérique professionnels s’adressent à une communauté plus professionnelle ou à vocation professionnelle : des artisans, des porteurs de projets, des artistes, des startups, etc. Ils fonctionnent ainsi comme des incubateurs d’entreprises avec une composante matérielle.
  • Enfin, les ateliers de fabrication numérique d’apprentissage s’adressent à une communauté d’apprenants : principalement des étudiants, de formation et de compétences variées, qui travaillent en « mode projet » avec des pairs d’autres disciplines.

 

Quels en seront les impacts sur nos modes de vie, nos modes de consommation, nos façons de travailler ?

F B.-D. :  les ateliers de fabrication numérique promeuvent avant tout la rencontre et la collaboration. Dans une société dont les individus sont de plus en plus « seuls pour faire du bowling » comme l’expliquait Robert Putnam en 1995 (Bowling alone : America’s Declining Social Capital), ils sont le prétexte pour se rencontrer, échanger et travailler ensemble. C’est le premier impact, majeur, que nous pouvons en attendre sur nos modes de vie.

D’autres conséquences peuvent en découler. Tout d’abord, cela peut impliquer une forme d’émancipation vis-à-vis de la société de consommation : l’individu n’est plus nécessairement un client, il peut produire localement exactement ce dont il a besoin. Cette idée se retrouve notamment dans le projet de FabCity à Barcelone : avec « un FabLab dans chaque quartier », les citoyens retrouvent une capacité d’agir sur leur environnement.

D’une façon assez similaire, les ateliers de fabrication numérique peuvent permettre à tous d’accéder aux compétences et aux outils de conception, de prototypage et de production : chacun peut ainsi devenir un potentiel innovateur et un potentiel « startupper ».

Enfin, de façon plus générale, les ateliers de fabrication numérique apportent avec eux de nouvelles façons de travailler, plus horizontales et collaboratives. Ils rendent les frontières des organisations plus poreuses, qu’il s’agisse par exemple des entreprises, qui peuvent s’ouvrir à leurs consommateurs, à leurs fournisseurs, etc., ou encore des écoles et autres institutions d’apprentissage, qui peuvent faire travailler leurs élèves avec des élèves d’autres formations, voire avec des entreprises.

Si l’on en croit l’éthique hacker qui est fortement impliquée dans le développement des lieux de ce type (y compris au sein du MIT), les ateliers de fabrication numérique seront même l’occasion de faire que le travail devienne… un choix et un plaisir.

Les collectivités et les élus ont-ils un rôle un jouer ?

F B.-D. : l’Etat s’est déjà emparé de la question des ateliers de fabrication numérique, notamment à travers un appel à projet réalisé en 2013 visant à financer des lieux de ce type économiquement viables. D’autres acteurs publics ou parapublics, comme des Universités, des Ecoles ou encore quelques Conseils régionaux, ont également lancé des programmes dans ce sens.

De nombreuses entreprises ont déjà compris l’intérêt que ce type de dispositifs pouvait avoir pour elles : les ateliers de fabrication numérique sont source d’effets positifs en termes de RH, d’innovation, de marketing, de positionnement stratégique.

Les collectivités territoriales ne devraient cependant pas rester en retrait. Non seulement les ateliers de fabrication numérique ont un rôle notable à jouer dans le maillage territorial en outils d’innovation et de création d’entreprise ; mais ils ne se réduisent pas à leurs fonctions économiques. Ils doivent également être envisagés dans leurs potentialités en termes « d’émancipation » et de citoyenneté : apprentissage pair-à-pair, insertion, production locale, etc.

François Bottollier-Depois -> fbdepois@gmail.com

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