EELV a fait ses voeux à la presse mercredi 14 janvier. Retrouvez l’intégralité du discours de la secrétaire nationale Emmanuelle Cosse :
Seul le prononcé fait foi
Chers amis,
Mesdames, Messieurs,
Nous sortons d’une semaine terrible et les mots sont encore extrêmement difficiles à trouver. L’émotion est toujours aussi forte et dans ces moments, nous devons faire encore plus preuve d’humilité.
C’est pourquoi, en donnant à ses vœux, vous le comprendrez, une forme particulière par rapport à ce qui était initialement prévu, je vais essayer de dire les choses le plus simplement et clairement possible, pour rendre hommage aux victimes et tenter de tracer des perspectives.
Avec le drame de Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’épicerie casher de la porte de Vincennes, c’est toute la France et ses valeurs qui ont été attaquées.
Trois terroristes s’en sont pris à des journalistes parce qu’ils étaient journalistes, à des policiers parce qu’ils étaient représentants des forces de l’ordre, et à des citoyens anonymes parce qu’ils étaient juifs.
En choisissant délibérément leurs cibles, Charb, Cabu, Wolinski, Tignous, Honoré, Bernard Maris, Mustapha Ourrad, Elsa Cayat, Frédéric Boisseau, Michel Renaud, Franck Brinsolaro, Ahmed Merabet, Clarissa Jean-Philippe, Yoav Hattab, Philippe Braham, Yohan Cohen, François-Michel Saada, c’est bien à la société entière qu’ils s’en sont pris, dans toutes ses composantes et sa diversité.
Je me permets de leur rendre hommage une nouvelle fois au nom des écologistes et de transmettre à leurs familles nos condoléances et nos pensées les plus chaleureuses. Nos pensées vont également à celles et ceux qui ont été blessés dans ces attaques.
Et j’aimerais bien sûr commencer par saluer la formidable réaction de notre pays, cette immense vague d’empathie et d’humanité qui s’est levée et qui a fait notre fierté.
Dans un réflexe de survie républicaine et citoyenne, les français ont formulé d’eux-mêmes la réponse à cette attaque : unité, amour de l’autre et liberté.
Dès le mercredi soir, des milliers de gens convergeaient place de la République à Paris et dans le reste de la France, sans peur, pour manifester leur solidarité.
En tant que parti politique, acteur du vivre ensemble, aux côtés d’autres formations politiques, d’associations, de syndicats, les écologistes ont très vite pris leur part à l’organisation des marches citoyennes. Il a été essentiel pour nous, de montrer, dans un tel moment, et après cette tragédie, que nous étions capables de surmonter nos différences.
C’était cela le plus important, être ensemble. Et permettre la mobilisation la plus large. Tout le reste était secondaire : même les tentatives d’instrumentalisation, les intentions peu scrupuleuses de certains dirigeants internationaux ou encore le pitoyable spectacle que nous a offert la famille Le Pen.
Tout cela a été balayé par un élan citoyen historique. Les marches de ce week-end ont été l’occasion de réaffirmer l’essentiel, le premier cercle de valeurs, le noyau dur qui permet l’existence de tout le reste, le socle républicain : liberté, égalité, fraternité.
C’est la démocratie que le peuple français a réhabilité en marchant d’un seul pas le week-end dernier. L’enjeu maintenant est de prolonger ce sursaut citoyen, de le concrétiser par des actes, de le faire vivre sans le travestir.
Cela implique en premier lieu, pour nous militants politiques, responsabilité et dignité. Je sais la tâche difficile. Car le spectre de la vengeance et la tentation de la guerre sont déjà là.
Charlie Hebdo, c’est d’abord la création, l’imagination et la culture.
Charlie Hebdo, c’est l’inverse des extrêmes, de la haine et de la peur. C’est un journal satirique dont l’objet est de déconstruire les conventions et les symboles mais aussi de sortir des analyses convenues. Au premier imbécile qui passe pour ériger sa règle et donner sa leçon, ils prennent leurs crayons pour dévoiler les vanités, et faire tomber les certitudes de chapelle.
Charlie Hebdo, c’est aussi l’irrévérence. Dans leur construction, les écologistes ont été très marqués par ce caractère libertaire hérité de mai 68. Nous partageons avec eux le goût de la remise en cause des conservatismes et des pudeurs, cette audace qui manque souvent aux sociétés d’aujourd’hui, minées par l’uniformisation et la marchandisation à outrance.
Charlie Hebdo a souvent accompagné les grands combats de société. Ils étaient par exemple aux premières loges sur le combat contre la peine de mort, croquant avec justesse le manque de courage de Pompidou et de Giscard d’Estaing. Ou encore, comme le raconte Gisèle Halimi, le “manifeste des 343“ n’aurait pas fait autant bouger les lignes si Charlie Hebdo ne l’avait pas renommé le “manifeste des 343 salopes“. Nous devons nous en souvenir alors que nous fêterons samedi prochain les 40 ans de la loi Veil autorisant l’IVG.
Et bien sûr, Charlie Hebdo est un des premiers médias à avoir traité l’écologie de façon politique. Pierre Fournier, journaliste et dessinateur à Charlie Hebdo, est à l’origine de la première manifestation anti-nucléaire, qui a réunit 15000 personnes en juillet 1971 contre le projet de centrale nucléaire du Bugey dans l’Ain. Nombreux étaient les dessins qui raillaient les chasseurs et leurs pratiques peu respectueuses de la dignité animale.
Ils ne se sont pas privés, non plus, de caricaturer les défauts des Verts, les multiples leaders et chefs autoproclamés, nous mettant devant nos contradictions et illustrant nos débats d’une bien meilleure manière que certains de nos discours.
En tant qu’écologistes, nous devons donc beaucoup à ceux qui sont tombés dans les locaux de Charlie Hebdo. Avec certains d’entre eux, nous avions fait un bout de chemin ensemble. Je pense notamment à Cabu, cet amoureux du vélo qui nous avait fait l’honneur de dessiner pour nous, à plusieurs reprises, notamment pour aider des campagnes électorales sans le sou. Je pense également à Bernard Maris, qui nous faisait aimer l’économie et qui s’était présenté sous la bannière des Verts, aux législatives de 2002 à Paris. Maris était un économiste engagé et humain, dont les travaux sur la croissance, qu’il qualifiait de « quête morbide », continueront de marquer la pensée anti-productiviste.
Je pense aussi à Tignous, très engagé sur ces sujets. Ou encore à Fabrice Nicolino, blessé durant l’attaque, dont on connaît le travail d’enquête remarquable. Tous deux comptent des camarades très chers dans ce parti.
On doit se souvenir de la justesse de leurs coups de crayons. Mais aussi poursuivre la discussion sur les débats qu’ils ont lancés et qui ont suscités tant de controverses.
Et maintenant que faire ? Je me refuse à faire comme si les attentats de la semaine dernière n’auront aucun impact sur la vie politique à laquelle nous participons. La gravité de ces attaques, ces 17 morts, ces mobilisations des derniers jours, ne peuvent pas être effacées par le retour du train-train politique.
Notre pays connaît une véritable crise morale, qui a amené un parti d’extrême droite en tête des dernières élections européennes. Notre pays montre son incapacité à répondre durablement à cette France à deux vitesses. Dix ans après les émeutes dans les quartiers populaires, et malgré des investissements massifs qui ont pu y être faits, la pauvreté, l’isolement et l’enclavement y demeurent. Le manque de perspectives de tant de jeunes doit nous saisir pour que l’on puisse leur offrir un meilleur avenir.
Après la dignité, vient le temps de la responsabilité. Et notre responsabilité, c’est de prendre à bras le corps ces sujets et d’y apporter des réponses pérennes. C’est de ne pas se jeter dans la facilité en faisant de la gesticulation sécuritaire et politicienne.
Il nous importe tout d’abord de tout faire pour poursuivre la dynamique citoyenne de ces derniers jours. Cela passe par la remise au centre des citoyens, partout où ils ont été privés de leur pouvoir d’agir. Nous devons lui donner suite, la concrétiser, en engageant de grandes réformes institutionnelles.
Cela passe aussi évidemment par une réhabilitation de la représentation politique. Les banlieusards, les ouvriers, les femmes, les jeunes et la diversité des origines ne sont pas représentés dans les institutions. Cela ne peut plus durer.
La proportionnelle, le non-cumul des mandats, y compris dans le temps, et le statut de l’élu permettant de sortir des logiques de carrière doivent être mis en place.
Il est également temps d’aller au bout d’un droit de vote des étrangers aux élections locales. Enfin, nous devons concrétiser le pouvoir d’agir citoyen en relançant une dynamique participative et en innovant dans les pratiques démocratiques, comme les référendums locaux ou le droit d’interpellation citoyenne.
Plus largement, il y a urgence à sortir des logiques d’autoritarisme et de violence qui ont particulièrement marquées l’année 2014. Cela passe par une refonte des méthodes de débat public et une redéfinition de l’utilité publique, prenant en compte les bienfaits de la nature et les atteintes à l’environnement afin d’éviter les impasses de Notre-Dame-des-Landes, Sivens ou Roybon.
Nous devons également nous attaquer au terrorisme. Le débat est d’ores et déjà ouvert sur la manière dont nous devons y répondre. Mettons-nous en garde contre les élans guerriers.
Les écologistes ne sont pas de ceux qui déclarent la guerre ouverte, surtout pas à une soi-disante civilisation qu’aurait représentée les trois terroristes. Face à la terreur, les écologistes préconisent le même remède que celui avancé par les responsables politiques norvégiens après le drame d’Utoya : “plus de générosité, plus de tolérance, plus de démocratie.“
C’est bien le mot « liberté » qui était scandé ce week-end dans la rue. Demander plus de protection et le maintien des valeurs de la France ne veut pas dire accepter des procédures d’exception, du toujours-plus sécuritaire, comme nous l’avons vu durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy.
La facilité, c’est de demander à la va-vite un Patriot Act à la française, la déchéance de la nationalité, la fermeture des frontières, voir le rétablissement de la peine de mort, comme l’ont fait de nombreux responsables de droite et d’extrême droite. Le Patriot Act n’était pas une mesure de protection, mais bien une mesure de déconstruction des droits, des libertés et finalement, de la sécurité. S’inscrire dans ce chemin serait aujourd’hui irresponsable.
Notre responsabilité, c’est de regarder avec honnêteté et lucidité les événements de ces derniers jours.
Les attaques de la semaine dernière, comme les précédentes ont été menées par des Français, dont certains ont été élevé par les institutions françaises, dont la radicalisation s’est souvent faite en prison. Ils ont été surveillés de nombreuses années et étaient connus des services de renseignement.
Les prisons de la République française sont tristement connues pour être la honte de la République. Conditions de détention mauvaises, faiblesse de l’encadrement social, éducatif et culturel, manque de formations et de rémunérations des aumôniers, absence de suivi après la détention, manque de prévention de la récidive, nous connaissons tous ces sujets depuis trop longtemps. Ces 15 dernières années, malgré des rapports d’enquêtes multiples, des alertes extrêmement fortes, la priorité a surtout été mise pour renforcer les peines, construire plus de prisons.
Heureusement la récente réforme pénale et la suppression des peines planchers sont des étapes importantes. Mais cela impose de remettre véritablement à plat le système carcéral. Et de mettre en place des mesures de suivi, permettant de sortir les jeunes déboussolés des trajectoires qui les transforment en monstre.
De la même manière, ces évènements ont mis en lumière, et le Ministère de l’Intérieur ne s’en est pas caché, du manque des moyens et de ressources humaines pour mener à bien les missions de surveillance nécessaires. C’est bien d’ailleurs pourquoi nous continuons à dire que l’urgence doit porter sur le renforcement de ses moyens d’action plutôt qu’un nouvel arsenal législatif pensé à la va-vite.
Ce que nous venons de vivre, impose également au pays de s’interroger sur la politique étrangère française et surtout la politique étrangère européenne. Comme les parlementaires écologistes ont pu le dire hier dans le débat sur le conflit en Irak et en Syrie, les opérations militaires seules ne résoudront rien. Si on ne s’attaque pas au financement des groupes djihadistes, notamment par certains pays du golf qui tiennent un double discours, la violence ne cessera pas.
Ayons également en tête que si beaucoup de djihadistes sont des purs produits de l’Occident, d’autres continents sont frappés par des horreurs immondes. Souvenons-nous de ce qui s’est passé au Pakistan où 132 enfants ont été massacrés. Je pense aussi à ce qui se passe en Afrique où Boko Haram à fait des ravages dans des villages du Nigéria. Ce week-end, nous avons aussi marché pour eux.
Surtout, et j’en finirai par là, nous devons mettre en œuvre de nouvelles politiques d’égalité, d’intégration et d’éducation. Cela passe par un volontarisme de l’action publique, une reconquête des territoires par des services publics de proximité.
Il faut rappeler des choses simples : les hommes ne naissent pas fondamentalement bons, mais ne naissent pas terroristes non plus. Il y a donc des marges de manœuvre, des leviers que nous pouvons actionner pour réduire à la source le nombre de candidats au djihad.
Je le redis, il ne s’agit pas d’une guerre de civilisation. La barbarie, c’est l’inverse de la civilisation. Non, ce que nous devons combattre c’est l’ignorance, le décrochage scolaire, l’illettrisme, le chômage et l’absence de perspectives d’avenir.
Nous devons combattre la désespérance et ses causes sociales qui poussent certains jeunes dans une nouvelle famille, celle des prédicateurs qui leur proposent une autre échelle de valeur.
Mieux s’occuper des jeunes de France produira de meilleurs résultats que de fermer les frontières ou d’en inventer de nouvelles. Voilà la réalité.
N’oublions pas le rôle jouer par le salarié de l’épicerie casher, Lassana Bathily, régularisé en 2011, élève du lycée Hector Guimard du 19e arrondissement, lycée que je connais bien.
Il est intéressant de connaître l’histoire de Lassana alors, que plusieurs dizaines de jeunes lycées majeurs sans-papiers qui suivent des formations à Paris se battent actuellement pour obtenir leur régularisation et surtout ne plus dormir à la rue.
L’histoire de Lassana, comme celles de milliers de personnes illustre une nouvelle fois le rôle positif de l’immigration, montrée du doigt trop souvent alors qu’elle est une chance pour la France. A la fermeture des frontières, nous, écologistes, préférons le droit d’asile et la régularisation des sans-papiers et une véritable politique d’intégration, un véritable accès aux formations et au travail.
Plus d’égalité avec des services publics dans les territoires, plus de fraternité entre les peuples, plus de libertés en permettant aux humains de se déplacer aussi facilement que les produits manufacturés ou financiers. Voilà un programme digne du sursaut républicain de ce week-end.
Nous devons aider à la redéfinition de la manière de faire société, retrouver un esprit similaire à celui du conseil de la résistance, quand nous avons mis en place les grands systèmes de solidarité aujourd’hui remis en cause.
Nous devons également redéfinir un nouveau pacte social avec les religions. Ces dernières ne vivront pas de manière apaisée en France si on ne leur laisse pas suffisamment d’espaces de respiration tout en respectant la laïcité. Il faut ainsi garantir la possibilité d’exercer sa foi en toute liberté et en toute sécurité partout en France.
Je tiens à le dire ici avec force, les musulmans n’ont pas à s’excuser. À l’heure où les actes de violence contre les musulmans se multiplient, les mosquées doivent être protégées, comme les synagogues.
L’islamophobie et l’antisémitisme sont les deux faces d’une même haine. Elles n’ont pas leur place en France et les marches citoyennes l’ont montré. Le camp de la paix a de la ressource en France, comme dans d’autres pays. En Allemagne lundi dernier, quand 18000 personnes manifestaient contre l’Islam, 100 000 étaient présents dans une contre-manifestation.
C’est sur cette base que nous voulons nous appuyer pour construire l’avenir. Dans le respect des différences, nous appelons à reconstruire un pacte social avec toutes les forces républicaines et de progrès.
Après avoir sombré dans l’horreur, les Françaises et les Français et toutes celles et ceux qui vivent dans ce pays ont pris de la hauteur pour redonner un sens au vivre ensemble, dont le contenu s’était étiolé ces dernières années. Les politiques doivent, à leur niveau, donner corps à cette reconquête citoyenne. C’est ce que les écologistes auront à cœur de faire durant toute l’année 2015.
De la même manière, nous serons extrêmement mobilisés pour la COP21 qui aura lieu en fin d’année à Paris. Tous ces sujets posent évidemment la question de l’engagement des citoyens autour de questions aussi importantes que le réchauffement climatique. Tous ces sujets seront au coeur de nos priorités, de notre action et nous voulons absolument prendre part aux événements d’aujourd’hui pour qu’il y ait un sursaut politique extrêmement important dans notre pays.
Emmanuelle Cosse,
Secrétaire nationale d’Europe Ecologie Les Verts