Chères amies, chers amis,
Je ressens forcément une émotion particulière en prononçant mon dernier discours en tant que Secrétaire national d’Europe Écologie – Les Verts.
Je veux dire merci aux militantes et aux militants qui composent notre mouvement.
Merci de m’avoir fait confiance tout au long du mandat qui s’achève.
Merci d’avoir créé les conditions de la réussite de l’écologie en mettant un terme à nos querelles incessantes.
Merci d’avoir déjoué les prédictions des volatiles de mauvaise augure qui prédisaient notre disparition.
Merci à chacune et à chacun d’entre vous d’avoir tenu bon quand on nous enjoignait de baisser pavillon. C’est la nuit qu’il fait beau croire à la lumière et c’est par temps difficile qu’on reconnait les âmes fortes.
En œuvrant à construire collectivement la maison de l’écologie politique, vous n’avez perdu ni votre temps ni votre honneur quand d’autres perdaient les deux.
Je veux remercier Yannick Jadot pour la détermination qui a été la sienne dans la campagne des européennes et remercier dans le même mouvement chacune et chacun de mes colistières et colistiers. Je veux aussi que soient saluées les petites mains de l’ombre qui, partout en France, ont donné de leur temps sans compter pour qu’EELV renoue avec le succès.
Ce ne sont ni les rêves de gloire ni les promesses de postes qui ont animé les militantes et les militants écologistes qui font vivre EELV, mais certainement l’idée que notre engagement participe du destin du monde.
J’ai eu la charge de nous conduire, de nous guider, de cheminer à vos côtés en première ligne. Sachez que c’est avec fierté que j’ai rempli cette mission. Je vous laisse juge de ce qui a été fait. Et je mesure ce qui reste à faire. Mais si je tire une leçon de la période écoulée, c’est que ce qui a été accompli l’a été collectivement. Et si le vent qui semble nous porter a été favorable, c’est que nous avons su garder le cap.
Ma feuille de route n’a pas varié : unité d’EELV pour créer un point d’ancrage solide pour l’émergence de l’écologie politique, affirmation de notre singularité pour sortir des cosmogonies politiques anciennes, dialogue respectueux avec les autres forces politiques et les organisations issues de la société civile pour créer les conditions de la convergence la plus large possible chaque fois que nécessaire.
À la place de parlementaire qui est désormais la mienne, je continuerai à œuvrer pour l’émergence d’un mouvement écologiste fort. Notre pays en a besoin. Qui d’autre que les écologistes pour porter conjointement l’urgence climatique, l’idée de justice dans une société de sobriété, la défense des communs naturels et artificiels, la protection du vivant sous toutes ses formes et le respect des droits humains ? Qui d’autre propose de sortir du productivisme, de répudier le dogme de la croissance et de donner des droits à la nature ?
Il arrive que tel ou telle reprenne nos idées sans même nous en créditer.
Gardons la tête froide. Je crois que la cohérence de notre pensée et de nos actes dessine une offre politique spécifique, qui n’est pas soluble dans les traditions politiques antécédentes. Qu’à droite ou à gauche on se réclame dorénavant de l’écologie est une avancée. Parfois, c’est par calcul, d’autres fois, plus sincèrement que des responsables politiques s’emparent d’enjeux qu’ils méconnaissaient hier encore. C’est le destin des idées pionnières que de surprendre, avant que d’être reprises en étant, parfois, vidées de leur charge subversive.
On peut nous copier. On peut nous plagier, voire même nous parodier, ou tenter de nous spolier. Mais que les tenants de l’ordre établi se le tiennent désormais pour dit, on ne peut décourager un écologiste.
Nous venons de trop loin pour nous arrêter en chemin.
Nos journées d’été de Toulouse s’ouvrent dans un moment particulier de notre histoire. Les questions posées par les écologistes sont désormais sur le devant de la scène. Pour celles et ceux d’entre nous qui ont connu les années de disette où nos alertes constantes ne récoltaient que quolibets et railleries, le contraste est saisissant.
Pour autant, je ne souhaite pas placer nos journées d’été sous le signe de l’autosatisfaction, mais vous invite au contraire à faire chemin ensemble sous l’égide de la vigilance la plus haute.
Je nous appelle à nous défier absolument de la tentation de l’arrogance.
Si, pris d’une fièvre soudaine, nous nous mettons à faire la leçon à tout le monde, nul ne nous accordera le moindre crédit. Parce que nous avons vocation à conduire la construction d’une alternative majoritaire dans le pays, nous devons avoir la modestie chevillée au corps. Sinon, nous reproduirons les fautes qui ont conduit des forces plus installées que nous à la débâcle. Jadis, nous avons connu des partenaires écrasants, méprisants, rempli de la morgue des dominants.
La mémoire de leurs erreurs doit nous guider. Aucun argument d’autorité ne nous installera durablement au premier rang. Pour convaincre, il nous faut proposer une lecture inédite du monde et des moyens d’y vivre mieux.
Nous avons un devoir d’élucidation qui doit, par exemple, nous conduire à expliquer que la crise écologique et la crise financière qui viennent ont la même source. Les forces anciennes sont prises en tenaille entre la pensée unique économique, qui fait de la croissance l’arbitre de toute chose, et la crise écologique, qui demande justement d’inverser l’ordre des priorités. Notre force, c’est que nous remplaçons la promesse sociale-démocrate, devenue intenable faute de s’être débarrassée de sa gangue productiviste.
En Europe, sous domination intellectuelle des libéraux, les partis socialistes n’ont pas tenu leur promesse de rendre juste la répartition des pseudos fruits de la société d’abondance. À ce stade, ils sont donc disqualifiés. Et la question cardinale est celle des communs, naturels ou artificiels. De leur bonne gestion partagée dépend notre destin. L’écologie est la force qui propose le projet le plus harmonieux et protecteur de gestion de ces communs.
Nous devons patiemment continuer à construire l’appareil théorique et programmatique qui permet d’affirmer cette perspective. Je souhaite saluer ici publiquement le travail de prospective d’Alain Coulombel et Marie Toussaint qui, chacun à leur place et à leur manière, dans le dernier mandat, ont enrichi notre patrimoine politique de thématiques nouvelles comme la vigilance face au transhumanisme ou le respect des droits de la nature.
Nous ne devons pas céder un pouce de terrain dans la bataille pour faire émerger les questions essentielles de notre temps. Militer n’est pas seulement agir. C’est d’abord réfléchir. Réaffirmer ce primat de la pensée, c’est déjà résister à la folie de la vitesse, à l’emballement perpétuel des réseaux sociaux qui promettaient juste de nous relier et qui monnayent nos données et notre temps de cerveau disponible.
À l’heure où Facebook veut désormais battre monnaie comme un État, à l’heure où Google et Amazon étendent chaque jour leur influence sans rendre de comptes à quiconque, les écologistes affirment sans détour la nécessité de lutter contre un capitalisme de plateforme devenu un capitalisme de surveillance. Nous ne voulons pas d’une société d’obsolescence programmée où, au terme d’un engrenage sans limite, c’est nos vies elles-mêmes qui deviennent obsolètes.
Les questions nouvelles nous taraudent. Mais les questions anciennes nous obligent. Au premier rang desquelles la question de la République. Je ne serai pas long, mais je veux dire ici que puisque désormais nous prétendons à l’exercice du pouvoir dans notre pays, nous aurons à définir la spécificité de notre conception de la République.
En un mot, les écologistes que nous sommes enrichissent l’idée républicaine en veillant à la rendre réellement universelle : la République écologiste ne supporte pas de frontières dans l’ambition de protection qui est la sienne, pas plus qu’elle ne tolère les discriminations puisqu’elle affirme notre destin terrestre commun. J’y reviendrai dans les mois qui viennent.
Les sujets ne manquent pas et figurent d’ailleurs au programme de nos journées d’été, mais mon propos doit s’achever. Je résume donc. Le succès des élections européennes ne nous accorde aucun passe-droit, il nous confère par contre des devoirs essentiels.
Au premier rang desquels le devoir de constance.
Ce que nous avons construit ensemble doit être consolidé. J’y veillerai, durablement. Ne laissons pas la tyrannie des égos détruire le fruit de notre travail commun. Aucune personnalité ne peut réussir seule. Aucune étoile filante ne peut se prévaloir de notre succès commun pour écrire une trajectoire solitaire. L’histoire récente l’a montré : c’est ensemble que nous sommes une force qui compte.
Je sais que nous rentrons dans la période de la préparation du congrès. J’y prendrai part.
Chacun connait la ligne qui est la mienne et mes préférences. Entre l’affirmation et l’aliénation, il fallait choisir. J’ai choisi. J’ai défendu l’écologie affranchie et j’entends qu’elle le demeure. Refusez tout retour en arrière. L’écologie affranchie n’est pas une écologie de circonstance qui tournerait selon le vent : elle est, au contraire, le souffle du renouveau qui doit redessiner les clivages autour desquels s’organise notre vie politique. Nous ne sommes pas sortis de la tutelle sociale-démocrate pour nous perdre dans le marais centriste, mais pour réorganiser la vie politique de notre pays autour des questions vitales que nous posons. Pour les années qui viennent, l’écologie doit être cardinale. Voilà la conviction qui m’anime et que je continuerai à défendre.
Je ne désigne ni héritière ni héritier parce que je ne suis propriétaire de rien. C’est aux militantes et aux militants de se déterminer en conscience. Je refuse par ailleurs d’attacher une cible dans le dos de mes ami•e•s. Personne n’ignorera cependant que j’ai un avis sur les personnes capables d’exercer la rude charge d’être secrétaire national d’EELV.
L’enjeu du congrès n’est pas de perpétuer un pouvoir, mais de réinventer notre mouvement. Nous devons nous dépasser et construire un mouvement plus vaste, plus influent, plus conquérant. J’ajoute qu’à l’heure où s’éveille la génération climat, aucun collectif ne doit plus étouffer les talents qui demandent à éclore et les destins qui doivent s’affirmer. Notre rôle n’est pas de couper des têtes, mais de faire fleurir des vocations. Je formule en particulier le vœu que dans un moment où, partout dans le monde, des femmes se dressent pour leurs droits, notre mouvement veille à créer les conditions de leur engagement en notre sein. Il ne s’agit pas de donner une place aux femmes comme on concède un strapontin, mais bel et bien de reconnaitre la nécessité absolue de sortir du patriarcat. Il est temps !
Pour les élections municipales, je souhaite que nos listes soient de large rassemblement, ouvertes à la diversité de notre pays, et qu’elles représentent tous les affluents du changement. C’est l’une des conditions du succès : favoriser l’entrée en politique de citoyennes et de citoyens qui, jadis, s’en tenaient éloigné•e•s. Que, partout dans le pays, dans les villes et les campagnes, des listes vertes portent nos propositions pour agir localement pour l’écologie. Et qu’on ne nous demande pas uniquement de savoir pour qui nous nous désisterons au second tour. Nous ne sommes ni ambigus ni ambidextres. Mais nous ne sommes pas une force d’appoint. Nous postulons à conduire le changement.
Les choses sont simples. Si on veut des maires écologistes qui conduisent une politique écologique, il faut voter pour les listes conduites par EELV.
Nous n’avons plus le temps de perdre du temps. Ce siècle débute et, pourtant, il est déjà minuit au cadran de l’histoire. Notre responsabilité immédiate est de construire une alternative au libéralisme inconséquent, qui, faisant de la marchandise la mesure de toute chose, a fini par mettre en péril notre avenir, en détruisant les équilibres naturels à un stade jamais atteint auparavant.
Dans le même temps, nous devons conjurer la montée des nationaux populistes qui, partout sur la planète, font de la guerre de tous contre chacun la matrice de leur politique. La haine est leur carburant. Trump, Le Pen, Bolsonaro, Orban, Salvini : leurs noms diffèrent et leurs références parfois divergent, mais toujours leur programme porte la barbarie comme la nuée ardente porte l’orage.
Notre devoir est de les combattre et de les battre. Notre rôle est de rendre l’avenir possible. Ici, ensemble, voilà ce à quoi nous travaillons.
Nos journées d’été s’ouvrent et je veux dire merci aux femmes et aux hommes qui, pour la première fois, y participent. Je vous dis bienvenue. Interrogez-nous chaque fois que possible et bousculez-nous chaque fois que nécessaire. Vous êtes ici chez vous. L’écologie vous appartient. Et l’avenir aussi.