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Déchets nucléaires : Non à CIGEO, oui au débat public

3 questions à Patricia Andriot, élue EELV de Champagne-Ardenne, et opposante à Cigéo

EELV : Patricia Andriot, lors d’un débat public sur le projet Cigéo lundi soir, vous vous êtes heurtée aux opposants au projet, dont vous faites pourtant partie. Que s’est-il passé ?

Patricia Andriot : Lundi 17 juin au soir, une réunion de reprise du débat public devait avoir lieu à Bar-le-Duc, qui n’a pu se tenir devant le brouhaha mené par des opposants au projet et au débat public.

Pour ma part, et alors que j’aurais dû m’exprimer en tant qu’élue opposante au projet, je regrette que ces réunions ne puissent pas se tenir, même si je comprends l’exaspération de ceux qui ont le sentiment de ne pas avoir été écoutés depuis 15 ans. Ils demandent actuellement une prise en compte de leur pétition et un référendum local.

EELV : Quel est votre ressenti suite à la suspension du débat ?

Patricia Andriot : Je suis, comme EELV, opposée au projet, et pour le débat. Empêcher le débat d’avoir lieu est contre-productif, alors que les doutes s’installent quant à la faisabilité du projet dans le calendrier prévu, jusque dans la communauté scientifique.

C’est non seulement anti-démocratique de ne pas laisser s’exprimer des voix différentes, dont des opposants au projet, mais c’est surtout donner la part belle à ceux qui disent « les opposants ne veulent pas le débat car ils n’ont pas d’arguments », ou « les opposants sont contre tout et ne proposent rien », alors que c’est faux : il y a des arguments de bon sens contre le projet qui sont de plus en plus étayés. Enfin, refuser le débat public, c’est le laisser entre les mains des experts alors même que tout l’enjeu est de parvenir à l’inverse ; à ce jeu, l’ANDRA et les nucléocrates ont infiniment plus de moyens que les opposants

EELV : Pensez vous que le débat puisse se poursuivre ?

Patricia Andriot : L’autre conséquence, peut être plus grave encore, c’est que ce genre d’attitude affaiblit la CNDP (Commisson nationale du débat public) qui est un outil imparfait, mais représente un progrès pour la démocratie et l’expression du citoyen face aux grands projets, et que certains veulent affaiblir pour laisser le débat confiné entre experts et parlementaires.A ce stade, je pense qu’il faut plus que jamais se mobiliser pour demander à la CNDP de ne pas baisser les bras et de ne pas se contenter d’un débat sur internet. Il faut envisager d’autres formes d’échanges plus localisées, et il faut se mobiliser chacun à notre niveau pour multiplier les réunions d’informations sur le projet par les différents canaux possibles.C’est dans cet esprit que pour préparer l’avis du Conseil régional de Champagne-Ardennes, le groupe écologiste demande depuis plusieurs semaines l’organisation d’une journée d’information sur le sujet avec l’ensemble des élus du Conseil régional.

 

Patricia Andriot, vice présidente EELV du Conseil Régional de Champagne Ardenne, nous a confiée l’intervention qu’elle avait prévue, qui a pu être entendue sur internet mais pas dans la salle à Bar-le-Duc lundi 17 juin au soir, parce les opposants au débat l’ont boycottée par leur brouhaha. La voici :

 

« Devant la difficulté pour m’exprimer compte tenu des manifestations bruyantes de la salle, j’ai fait le choix de tenter malgré tout de dérouler mes arguments puisque le débat était retransmis et semble t’il audible sur internet. Il semble pour autant que contrairement aux engagements de la CNDP, il ne soit pas encore mis en ligne.

 

Avant de tenter l’intervention, j’ai plusieurs fois tenté de dire avant tout que j’étais contre le projet CIGEO – certains opposants au débat que je connais, le savaient pertinemment, d’autres peut-être pas – j’ai aussi proposé à plusieurs reprises de redonner la parole aux opposants au débat de venir dire pourquoi ils refusaient d’écouter la parole d’une élue, contre le projet. En vain !

 

Voilà ce que j’ai tenté de dire :

 

Vice présidente du Conseil Régional de Champagne Ardenne, membre d’EELV, signataire de la pétition qui a été remise par les opposants et adhérente au Cedra en 1998 ou 1999, je suis clairement contre le projet d’enfouissement des déchets radio actifs. Je précise qu’à ce stade la région Champagne Ardenne, qui aura un avis à rendre courant octobre, ne s’est à ce jour pas prononcé sur le projet CIGEO.

 

Par contre, me concernant, le mandat électif au travers duquel je siège au CLI et au Conseil d’administration du Groupement d’Intérêt Public Haute-Marne, n’a en rien entamé mes convictions d’opposante, bien au contraire.

 

En tant qu’élue, j’aurais voulu exposer les deux types de raisons principales qui rendent ce projet mal conçu inacceptable en l’état et encore plus dans le calendrier proposé. Des raisons liées à la fois à la sécurité des personnes et liées au développement économique et l’attractivité du territoire qui sont deux enjeux qui interrogent l’élue que je suis.

 

Des raisons techniques et scientifiques de plus en plus précises et confirmées par les instances scientifiques et par les différents rapports que ce soit de l’IRSN, de la CNE ou du cabinet indépendant IEER mettent les élus que nous sommes devant une grande responsabilité pour l’avenir, et nous conduisent à ne pouvoir accepter le projet en tant que tel.

 

Le choix de l’enfouissement accentue nettement les risques en matière de transport, mais au delà de cette évidence première, on constate qu’à ce jour on ne dispose pas de schéma abouti sur les modalités de transport (routes ou rails, quels parcours, quelle sécurité, quelle modalité, quels coûts, quelle prise en charge ?)

 

Avant enfouissement, CIGEO sera aussi un lieu d’entreposage en surface, et de mouvements de colis, sur une durée de plusieurs dizaines d’années. Nous disposons à ce stade de très peu d’informations disponibles sur cette étape et dénonçons la discrétion avec laquelle cet aspect du projet a toujours été traité.

 

La question de la réversibilité, pour laquelle il est prévu par la loi de 2006, qu’une nouvelle loi en fixe les conditions éventuelles, étape préalable et condition même de l’autorisation de création de CIGEO : actuellement aucune des réponses de l’ANDRA n’est convaincante sur le sujet.

On pourrait aussi évoquer les questions des risques incendie accru en couche géologique profonde, et accru selon la nature des colis à propos desquels l’ASN émet à ce stade plusieurs restrictions. On pourrait évoquer toutes les questions d’interfaçage. On pourrait évoquer la compatibilité entre un stockage hermétique et la question de la gestion du dégagement d’hydrogène, la question de l’inventaire des déchets et les inconnues sur la nature et les quantités des déchets qui seraient enfouis,… comme des interrogations majeures en termes de sécurité des personnes.

 

On voit donc que sur cet aspect, les principales questions qui se posent ne trouvent pas ce stade des réponses convaincantes résultant des travaux du laboratoire. Il n’est pas possible de passer «  sereinement » à une industrialisation du projet.

 

De ce point de vue, j’en profite pour dénoncer la communication faite autour de CIGEO qui laisse à penser que la construction du projet est déjà actée.

 

En tant qu’élue, je m’interroge aussi sur l’impact du projet en termes d’attractivité, de lisibilité et de développement économique. Dépassant la seule perspective de quelques millions d’euros promis, à propos desquels je ne reviendrai pas sur les modalités actuelles de distribution – faire de manière hâtive de ce territoire un lieu de stockage de déchets en profondeur et, en attendant, d’entreposage en surface, en faire un nœud de transports à un niveau inédit au monde, ne peut pas ne pas entacher l’image d’un territoire pourtant situé entre une filière champagne et une filière d’eaux de sources reconnues mondialement.

 

A l’heure d’une concurrence féroce entre territoires pour défendre leur capacité exportatrice, et donc leur image, l’aliénation de ce territoire par une image de zone de poubelle nucléaire ne peut pas ne pas nous interroger.

 

Zone potentielle de poumon vert et de territoire résidentiel des grands espaces urbains environnants (région parisienne, Belgique, zone urbaine de l’est), le développement d’un projet de stockage mené de surcroit de manière hâtive et sans les garanties de sécurité requises par la loi de 2006 me semble totalement inconséquent et une autre bonne raison de ne pas accepter le projet et de ne pas se laisser bercer d’illusion par quelques millions d’euros de court terme pour compenser un coût de long terme qui se mesurera à une autre échelle.

 

 

Pour conclure, on voit que nous sommes sur un processus inacceptable de surcroît dans le calendrier imparti.

 

La compatibilité entre le calendrier prévu par la loi et les questions posées si dessus semble nettement remise en cause, tout comme la cohérence des étapes entre loi sur la réversibilité, prise en compte de l’écart entre échelle de laboratoire et phasage industriel ou encore autorisation de la création CIGEO. Beaucoup de points d’incertitudes demeurent. Sans compter que la question du tarissement de la production de déchets nucléaires reste entièrement ouverte. »

> Photo : Wikipédia by Ji-Elle

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