Les scientifiques du climat continueront-ils à prêcher dans le désert ? Le 3ème volet de leur 5ème rapport est sorti la semaine dernière, et… rien ou presque à part un accueil poli qui masque mal une triste indifférence. Les rapports se suivent et deviennent de plus en plus alarmistes. La probabilité de rester sous la barre fatidique des 2 degrés d’augmentation de la température moyenne par rapport aux années pré-industrielles s’amenuise année après année. Et les impacts se précisent sur les territoires : dérèglement des moussons en Chine, montée des eaux réévaluée qui menace une part croissance de nos mégapoles littorales, sécheresse accrue dans les zones déjà sous tension comme le Sahel, etc. Et pourtant rien ne change ou presque.
J’ai vécu comme ministre en charge de la préparation de la Conférence de Paris de décembre 2015, qui sera sans doute la dernière chance de rester sous les deux degrés, toute la schizophrénie de la pensée dominante de l’immense majorité des décideurs. Plus personne ne nie la réalité du changement climatique. La Banque mondiale, qui s’est mise à prendre l’ampleur du problème sur le tard, parle maintenant de « cataclysme » à propos d’une augmentation de 4 degrés des températures. Mais aucun des décideurs que j’ai cotoyé n’est prêt à revoir son logiciel pour l’adapter à la nouvelle donne climatique. Alors que faire ? Je propose une stratégie qui repose sur quatre piliers.
Tout d’abord continuer inlassablement à alerter et à faire prendre conscience des dangers sur la base des analyses des scientifiques. Le recul des traits de côte sur le littoral atlantique en France par exemple est une image forte qui parle à tous et que nous devrions davantage mettre en avant.
Ensuite offrir des solutions alternatives en développant une écologie des solutions. C’est vrai au niveau local en permettant aux familles populaires de réduire leur consommation et donc leur facture d’énergie grâce aux « tiers investisseurs » développés par les élus écologistes dans les régions. Mais aussi au niveau international en construisant des alternatives financièrement accessibles au développement du charbon et du fuel dans les pays du Sud ou dans les pays de l’ancienne Europe de l’Est. La jonction qui est en train de se faire entre la révolution de l’économie numérique et l’économie verte ouvre des perspectives nouvelles de solutions concrètes que l’écologie doit à mes yeux porter et incarner.
Dénoncer les faux semblants et les hypocrisies de tous ceux qui, en France comme en Europe, font des grands discours sur le climat mais bloquent un objectif contraignant sur les renouvelables en Europe, empêchent l’adoption de normes plus strictes sur les émissions des voitures au détriment du climat comme du pouvoir d’achat des ménages ou encore refusent d’instaurer une taxe carbone aux frontières de l’Union pour mettre fin au dumping environnemental.
Enfin, gagner la bataille culturelle. Il s’agit de montrer qu’au-delà de notre responsabilité morale vis à vis du reste de l’humanité, présente et à venir, combattre le dérèglement climatique c’est aussi notre intérêt direct car plus nous attendons plus cela nous coûtera cher, et qu’il y a un potentiel immense d’emplois à créer en remplaçant de l’énergie par du travail humain (par exemple en remplaçant le gaz que nous importons par du travail d’artisans qui isolent nos bâtiments).
Voilà, à mes yeux, la responsabilité qui est la nôtre. Elle est immense mais elle découle tout simplement de ce que nous disent depuis des années les scientifiques du climat. Et pour commencer, je suggère à chacun de nos élus de faire une copie du « résumé pour décideurs » du dernier rapport et de le remettre en main propre à tous les « décideurs » qui l’entourent ! On ne sait jamais…
Pascal Canfin
Lire le rapport du GIEC (groupe de travail n°3)