Les écologistes et la retraite
Europe Ecologie/Les Verts s’est engagé à fond dans la bataille contre la réforme des retraites Sarkozy/Fillon/Woerth. Nous nous y sommes engagés avec notre originalité d’écologistes, en soulignant (non sans succès) son enjeu essentiel : la conquête du temps libéré.
Aujourd’hui, la lutte est entrée dans une nouvelle étape. Même si peu de futurs retraités croient qu’il est possible d’empêcher la ratification de cette loi inefficace et profondément injuste. La mobilisation, qui reste élevée, vise désormais à faire pression sur les forces progressistes dont on attend une victoire en 2012.
Il ne suffira pas d’abolir cette loi ! Il en faudra une nouvelle, car la part des retraités augmente dans la population, les dettes sur les générations futures s’accumulent. La bataille est donc à la fois sur le partage du travail et sur le partage des richesses.
Sur ces deux points, la mobilisation a abouti à un large accord du peuple français, mais qui cache bien des divergences sur des détails importants. Les écologistes ont leur point de vue, mais ne l’imposeront pas d’autorité. Après une victoire en 2012, un large débat doit avoir lieu entre toutes les forces sociales.
Accord général : ce qui est en jeu, c’est la question du temps libre. Mais cela ouvre un premier grand débat. Le progrès technique s’est toujours partagé entre gains de pouvoir d’achat et gains de temps libre. La libération du temps de vivre s’est focalisée, suivant les époques, sur le début de la vie active (interdiction du travail des enfants), le travail quotidien (journée de 8 heures), la durée hebdomadaire (40 heures puis 35 heures), la durée dans l’année (congés payés), le départ en retraite (les 60 ans).
Les écologistes, tout en se battant pour l’amélioration de la qualité de vie des plus démunis et des petits salaires, privilégient la conquête du temps libre pour deux raisons :
- – plus on a de temps libre, plus on peut enrichir sa vie, enrichir ses liens avec sa famille, ses amis et ses voisins, et surtout vivre plus longtemps et en bonne santé.
- – Quand le chômage est élevé, et toute chose égale par ailleurs, mieux vaut partager les emplois disponibles, afin que chacun puisse trouver un emploi. La réforme Fillon, ce sont des centaines de milliers d’emplois en moins.
Travailler moins, travailler tous et vivre mieux : telle est l’orientation des écologistes.
Depuis des années, la droite cherche au contraire à faire « travailler plus … pour gagner moins». Ses cibles sont d’une part l’affaiblissement des 35 h, et d’autre part, le rallongement de la durée de vie au travail, en augmentant le nombre de trimestres de cotisation ou en repoussant l’âge de la retraite sans décote. Aujourd’hui, la bataille pour le temps libre se mène essentiellement de ce côté-ci, parce que c’est là que la droite porte son offensive, et aussi parce que les 35 heures « avec flexibilité et annualisation » de la loi Aubry ont parfois perturbé la vie familiale des salariés, tout en exacerbant l’intensité et la pénibilité du travail.
Faut-il pour autant tout miser sur la réduction du temps de travail en «fin de carrière » ? Nous ne le pensons pas. Il faut revenir aux dates butoirs de 60 et 65 ans, il faut réduire le nombre de trimestres de cotisations obligatoires (40 ans). Mais faut-il revenir à 37 ans et demi de cotisations ? Ne vaut-il pas mieux de reprendre la réduction du temps de travail tout au long de la vie, pour sauvegarder la santé et développer une vie libre hors-travail ? C’est plutôt notre option, mais il faudra en discuter.
D’ailleurs, la durée de cotisation nécessaire dépend crucialement de deux choses :
- – À quel moment commence-t-on à cotiser ? Il faudra trouver des solutions intelligentes pour les étudiants et pour les personnes aux carrières hachées, notamment les femmes.
- – Tous les métiers ne sont pas également épuisants. Les ouvriers meurent sept ans avant les cadres. Il faut donc, avant qu’ils ne soient malades ou blessés, réduire la durée de cotisation dans les branches les plus usantes.
Cela n’empêche pas de lutter contre la pénibilité, la dangerosité, le stress au travail : travailler plus lentement et plus intelligemment, avoir plus de temps libre tout au long de la vie : on y revient toujours.
Le deuxième grand débat, c’est : comment tenir compte de la diversité des conditions d’un individu, d’une famille à l’autre. Nous ne pensons pas que chacun doit partir exactement à la même date, que chacun soit dans les mêmes conditions pour vivre confortablement sa retraite. Nous sommes pour un mécanisme permettant le passage progressif à la retraite, sur la base des normes générales d’âge et de durée de cotisation. Il faut négocier cette souplesse, afin que chacun puisse choisir en fonction notamment de son contexte familial.
De la même façon, tout le monde n’a pas un héritage, tout le monde n’a pas des enfants à charge lors du passage à la retraite, tout le monde n’est pas propriétaire de son logement. La possibilité d’une épargne-retraite doit être reconnue et garantie. Mais cette épargne complémentaire retraite ne doit pas permettre à des entreprises financières de s’enrichir aux dépens des cotisants. Nous sommes pour des solutions mutualistes, comme la complémentaire maladie.
Troisième grand débat : qui doit payer la hausse nécessaire de la part du revenu national allant au financement des retraites ? D’ici 2050, il faut 0.3% de plus par an. Ne comptons pas trop sur les gains de productivité futurs, souvent acquis au détriment de l’environnement et donc de la santé et de la qualité de vie des générations futures. En revanche, depuis les années 80, les gains de productivité passés ont été attribués presque entièrement aux revenus de la propriété. Si nous considérons normal que les salariés paient une petite partie du coût croissant de la retraite dans leurs cotisations, cette hausse doit être bien moindre que celle pesant sur les revenus de la propriété, afin de rétablir un équilibre sain et juste dans la société. Il faut aujourd’hui taxer les profits, les intérêts financiers et les dividendes distribués.
On ne peut se contenter d’augmenter le taux des « cotisations employeurs ». Cela aboutit à surtaxer les entreprises qui emploient de la main-d’œuvre au détriment des pôles financiers d’accaparement à des profits : une menace pour la compétitivité et l’emploi. C’est au moment où les profits sont distribués aux ménages aisés qu’il faut les taxer pour la retraite, comme ils le sont déjà pour la maladie à travers la CSG.
Dernier débat enfin : l’âge et le montant de la retraite sont très loin d’épuiser le problème d’une écologie du troisième âge. L’espérance de vie en bonne santé est de 63 ans, et encore ce résultat a été obtenu largement par l’avancement de l’âge de la retraite avant que les travailleurs ne soient brisés. Le féminisme a remis en question que « s’occuper des vieux, c’est l’affaire des filles et des brus ». Une vieillesse heureuse suppose que les anciens participent à la vie de la cité, elle suppose aussi que la communauté veille sur ses anciens, par un large développement de l’économie sociale et solidaire.
Alain Lipietz, pour le chantier économie