Bilan d’un an de gouvernement Ayrault sur l’agriculture
Selon la commission agriculture d’EELV
En matière de politique agricole, le bilan global de cette année est ambivalent. On note, d’une part, avec le projet agroécologique, un vrai changement de paradigme dans le discours, susceptible de faire évoluer les mentalités, et d’autre part, en dehors du plan bio et du projet de loi d’avenir qui restent à concrétiser, des actes politiques à rebours du projet agroécologique. Il apparait clairement que le Ministre cherche à ménager la chèvre et le chou, ne souhaitant fâcher personne dans le monde agricole. La conséquence directe de cette tentative de conciliation entre un modèle alternatif et le système actuel, est que les chèvres continuent de manger les choux, et que la transition écologique de l’agriculture ne peut pas advenir dans ces conditions. Il faut toutefois rappeler que l’organisation et la force du lobby agricole, accoutumé à une forme de cogestion, transforme les tentatives d’évolution en champ de mines. L’avènement du projet agroécologique nécessite sans conteste de sortir du monde «agricolo-agricole », en prenant appui sur les citoyens et un positionnement interministériel. En effet, l’agriculture ne concerne plus seulement les agriculteurs, comme avant, mais l’ensemble de la société et des élus, du fait des enjeux environnementaux, sanitaires, alimentaires, sociaux, de vie des territoires ; les collectivités doivent notamment être beaucoup plus impliquées dans l’agriculture qui impacte fortement l’aménagement du territoire. Sur ce point, le dialogue n’est pas suffisamment ouvert. Force est de constater que l’Etat fonctionne en silos là où il devrait repenser complètement son organisation (actions transversales éco-agri-environnementales en lien avec les collectivités).
Des pas sont faits en direction d’un retour de l’agronomie dans l’agriculture, pourtant le conseil aux agriculteurs pose un réel problème par son lien aux coopératives distributrices de produits et aux chambres. Il n’y a pas de souhait de remettre en cause l’économie globale de l’agriculture, de toucher aux « grandes masses », sous prétexte qu’il faut produire, répondre à la demande, être compétitif et préserver les emplois (alors que l’agriculture véritablement écologique emploie en moyenne 30% de plus que l’agriculture conventionnelle). Les débats s’orientent certes vers une réforme globale de l’agriculture mais « très progressivement ». Pourtant les deux modèles ne peuvent coexister : l’agriculture conventionnelle se développe bel et bien au détriment de l’agriculture alternative.
Le clivage n’est pas nouveau entre Parti Socialiste et EELV sur la question de la politique agricole. Les écologistes sont perçus comme des défenseurs du « small is beautiful », à l’inverse du PS qui défend l’idée qu’il est possible de faire de très bonnes choses dans de très grosses exploitations, en conservant un modèle productiviste. Des exemples illustrent ces désaccords de fond : la relance porcine en Bretagne, la poursuite de la défiscalisation des agrocarburants, le non changement du mode de scrutin des chambres d’agriculture, une posture peu ambitieuse dans le cadre de la réforme de la PAC et en particulier une trop forte progressivité préconisée pour la convergence des aides PAC, l’élargissement des Contributions Obligatoires Volontaires qui doivent désormais être payées sur un plus grand nombre de semences, au lieu de « libérer les semences de ferme » (projet à l’agenda mais sans cesse reporté), un plan abeille inadapté aux enjeux notamment sur les insecticides… Par ailleurs les signaux ne semblent pas indiquer que le chemin de la transition est pris sur la politique de l’agro-alimentaire, qui obéit aux leitmotive de la compétitivité et de l’exportation, vains et coûteux pour les territoires.
Pour reprendre le cas breton, les écologistes défendent une autre production porcine, déconcentrée, plus artisanale, alternative, alors que le Ministre souhaite, pour préserver la production et ce malgré une baisse tendancielle de la consommation, agrandir les porcheries. Les mesures promues visent donc à simplifier la règlementation, promouvoir des méthaniseurs comme « solution miracle » aux problèmes d’excès d’azote, et le maintien de l’ensemble les abattoirs. Or, d’une part la méthanisation ne supprime en rien l’azote, d’autre part les méthaniseurs adossés à des grosses unités de production porcine ont surtout pour fonction de les rentabiliser, et donc permettent de renforcer un modèle dont nous dénonçons les conséquences environnementales, sociales et sanitaires.
La question agricole séduit pourtant de plus en plus les citoyens, qui s’intéressent à la qualité de ce qu’ils mangent, à la provenance des aliments, à la santé. Il y a un virage à prendre, pour lequel un certain nombre de conditions semblent réunies, et qui n’est pris pour l’instant que verbalement et très timidement, écrasé par le leitmotiv d’une compétitivité absurde et vaine qui a comme premier effet de tuer les territoires. De fait le «plan social silencieux » se poursuit en agriculture, avec les disparitions quotidiennes de fermes, les pertes d’emplois agricoles, l’industrialisation et la concentration de l’agriculture, la détérioration et l’amenuisement des sols… Cette tendance pourrait s’aggraver avec l’accord transatlantique en cours de négociation, pour lequel le gouvernement, obnubilé par l’exception culturelle, ne semble pas avoir pris la mesure des enjeux agricoles et agro-alimentaires.
Récemment, une fiscalité agricole plus ambitieuse a été votée au parlement. Reste à espérer que ces avancées soient prises en compte dans le projet de loi de finances. La loi d’avenir agricole, la loi logement et urbanisme (qui touche à l’artificialisation des sols), et la manière dont la PAC sera traduite en France notamment au niveau des régions, pourraient constituer des leviers pour la transition écologique de l’agriculture. Espérons que ces leviers seront véritablement actionnés.