François de Rugy est député et co-président du groupe écologiste à l’Assemblée nationale
Vous connaissez bien Alcatel Lucent, dont une unité est située dans votre circonscription. Comment analysez-vous ce dernier plan de réduction d’effectifs annoncé par l’équipementier ?
C’est d’abord le résultat d’une suite déplorable de décisions de choix managériaux erratiques : depuis quinze ans, l’entreprise est ballotée au gré des changements de dirigeants, chaque nouveau PDG présentant son « plan ». Ces plans successifs ne produisent jamais les résultats escomptés. L’un des anciens patrons d’Alcatel avait théorisé « l’entreprise sans usines » ! Après l’alliance avec Lucent, le mouvement s’est accéléré : on n’a cessé de détruire de l’emploi pour tenter de rétablir les comptes, déficitaires depuis 7 ans, faute de stratégie fondée sur les produits et services. Et aujourd’hui, c’est précisément pour des raisons financières – pour faire face à de vraies difficultés de trésorerie – que ce nouveau plan est présenté !
Vous les contestez, ces difficultés de trésorerie ?
Bien sûr que non ! Les difficultés sont même très inquiétantes, et la nouvelle direction de l’entreprise, arrivée au printemps, n’est pas responsable de cette situation. Mais on n’en sortira pas si on ne pose pas la question de la stratégie industrielle et si on ne remet pas en cause les choix politiques qui ont conduit à cette impasse.
Les choix politiques, c’est d’abord la doxa de la commission européenne, qui prétend en permanence privilégier « le consommateur », sans se poser la question des salariés. Alcatel Lucent, c’est d’abord un équipementier qui, comme tous les équipementiers européens, souffre alors que le secteur des Telecom se développe. Pourquoi ce paradoxe ? Parce qu’on a incité les opérateurs de télécom à se placer d’abord et avant tout dans la guerre des prix. Inciter les opérateurs à jouer le low-cost conduit ceux-ci à jouer le low cost dans leur politique d’équipements.
C’est clairement ce qui a été fait par le gouvernement Fillon, lorsqu’il a attribué des licences de téléphonie mobile (3G pui 4G) sans imposer de conditions sociales ou environnementales dans le déploiement des infrastructures. La guerre des prix lancée par Free a pour conséquence concrète une politique de sous-investissement.
Les opérateurs sont libres de leurs choix technologiques et on en est réduit aujourd’hui à leur demander poliment de réfléchir aux conséquences sociales de leurs choix.
Vous pensez donc qu’il est possible de redonner un avenir à cette activité d’équipementier télécom en Europe et en France ?
Oui. Mais cela suppose des choix clairs. Alcatel-Lucent possède un savoir-faire qui fait la différence en matière de miniaturisation des antennes relais, par exemple : des antennes plus petites, mieux intégrées au paysage, émettrices de moins d’ondes électromagnétiques – donc potentiellement moins problématiques pour la santé humaine. Mais pourquoi les opérateurs choisiraient-ils cette solution technologique s’ils n’y sont pas contraints par les normes – notamment par des seuils d’exposition des populations aux ondes redéfinies ? Lorsque nous avons, avec la proposition de loi de Laurence Abeille, posé la question des taux d’émission, on nous a accusés de remettre en cause l’intérêt économique des opérateurs, et donc l’emploi. On voit aujourd’hui à quel point cette vision, imposée par le puissant lobbys des opérateurs était absurde. Lorsque nous parlons de conversion écologique de l’économie, ce n’est pas seulement une question d’énergie ou d’économie sociale et solidaire. Ce sont aussi des choix industriels qui sont à la fois utiles pour l’environnement et favorables à l’emploi !
Peut-on encore espérer sauver Alcatel-Lucent ?
Bien entendu. A condition de voir les pouvoirs publics prendre des décisions claires et audacieuses. A condition d’amener l’entreprise à retravailler le plan qu’elle a présenté – qui est beaucoup trop défensif. Et à condition, enfin, de voir tous les acteurs se mobiliser – des collectivités locales aux entreprises du secteur – pour sortir du chacun pour soi et pour construire de vraies perspectives autour des sites de l’entreprise menacés par ce plan de restructuration.
Photo : Bjoertvedt/Wikimedia