Tribune publiée dans Terra eco, par Hélène Gassin (Vice-présidente EELV de la région Ile-de-France) et Arnaud Gossement (Avocat et Maître de conférences à Sciences Po)
Chronique – Le débat sur l’énergie en France est encombré de présupposés, voire quelques mythes qui confinent parfois au mensonge.
L’attitude de nombre de dirigeants français face au drame intolérable de Fukushima est en partie le produit de ces croyances. Devant l’ampleur de la pollution mentale qu’elles engendrent il est impératif de les déconstruire. L’indépendance énergétique fait partie de ces dogmes construits il y a quelques décennies lorsque le nucléaire français construisait sa rhétorique, inventait son « story telling » pourrait on dire.
Ainsi, la France est supposée jouir d’une grande indépendance en matière d’énergie, grâce à l’énergie nucléaire.
Le taux officiel d’indépendance énergétique oscille entre 50 et 51% selon les années. Une telle performance dans un pays qui importe la quasi-intégralité du pétrole, du gaz, de l’uranium et du charbon qu’il consomme a de quoi étonner. Cela mérite donc que l’on y regarde de près.
Le taux d’indépendance énergétique est officiellement défini et calculé comme la part des productions énergétiques « nationales » dans la consommation totale d’énergie primaire [1] et ça paraît effectivement logique.
Mais la première limite concerne la prise en compte de l’électricité nucléaire. Pour établir des unités communes additionnables et comparables – les tonnes équivalent pétrole -, la comptabilité de l’énergie évalue la quantité de combustible fossile qui aurait été nécessaire pour produire le même résultat mais en utilisant le rendement de la technologie considérée, soit 33% pour le nucléaire. En effet, seulement 33% de la chaleur dégagée par le réacteur est convertie en électricité, le reste est dispersé.
Mais si l’on cherche à savoir quelle quantité de combustible importé est évitée par le recours à des moyens de production « nationaux », est-il bien utile de prendre en compte les quantités de chaleur perdues du fait du mauvais rendement des centrales nucléaires ?
C’est comme si l’on comparait la valeur nutritionnelle d’un ration de pommes de terres et d’artichauts sur la base du produit initial et pas de ce que l’on consomme vraiment…
Avec cette règle plus les rendements sont mauvais plus l’indépendance est forte puisqu’elle est calculée non pas à partir du service rendu (l’électricité) mais à partir de toute l’énergie dépensée, y compris celle qui va réchauffer les oiseaux ou les rivières.
Si le rendement du nucléaire était de 10% l’indépendance énergétique de la France atteindrait 72% !
Une méthode permettant d’obtenir une image plus juste est de calculer la quantité de gaz naturel qu’il serait nécessaire d’importer pour produire autant d’électricité que le parc nucléaire, avec des centrales à cycle combiné d’un rendement de 55%.
Les experts de l’association Global Chance ont refait les calculs sur cette base et obtiennent un taux d’indépendance énergétique de 36% seulement [2].
Mais la plus importante limite à cette méthode est sans aucun doute qu’elle considère l’électricité nucléaire comme une énergie nationale alors que la totalité du minerai d’uranium est importé. On nous explique généralement que l’essentiel de la valeur ajoutée étant dégagé ici, on considère que l’uranium est français. C’est un peu comme si l’on disait que tout le pétrole raffiné en France devenait français… Cela reste pourtant une importation physique bien réelle et dénote une conception très particulière de nos relations avec un pays comme le Niger…
En considérant le nucléaire comme une énergie importée dans la comptabilité officielle, le taux d’indépendance énergétique chute à moins de 10% !
Le mythe de l’indépendance énergétique française a la peau dure. Il dénature le débat en imposant une vision totalement déformée de la réalité. La France est en fait doublement dépendante, du pétrole ET du nucléaire. Ce sentiment d’indépendance est à rattacher à l’histoire du développement du nucléaire en France. Vision gaullienne d’indépendance stratégique avec la mise au point de la bombe tout d’abord, puis lancement d’un vaste programme électro-nucléaire à la suite du choc pétrolier de 1973. Le nucléaire est donc perçu comme élément majeur pour la position de la France comme grande puissance indépendante des Etats-Unis pour sa défense via la dissuasion nucléaire, et ensuite indépendante des importations de pétrole pour sa production d’électricité. Ce deuxième point étant immédiatement extrapolé en indépendance énergétique puisque le fait d’importer massivement le pétrole utilisé comme carburant est ignoré dans un pays où l’ensemble des problèmes énergétiques est largement assimilé aux problèmes de fourniture de l’électricité.
[1] L’énergie « primaire » correspond à des produits énergétiques « bruts » utilisés tels qu’ils sont fournis par la nature ou à peu près : charbon, pétrole, gaz naturel, bois… Pour l’électricité, on considère comme « électricité primaire » : nucléaire, hydraulique, éolien, photovoltaïque. L’énergie finale est celle réellement disponible après transformation, hors auto-consommation, pertes etc. En France l’énergie finale représente environ 60% de l’énergie primaire.
[2] Retrouver le calcul sur le « petit mémento énergétique » – Global Chance, Janvier 2003. Les ordres de grandeur des différentes énergies n’ont hélas pas changé.